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Yvon Patrick Ndinga : «La transformation locale du manganèse fera naître un tissu industriel»

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Par décision du Conseil des Ministres en date du 30 mai 2025, le Gouvernement de la République Gabonaise conduit par le Chef de l’État, son Excellence, le Président Brice Clotaire OLIGUI NGUEMA a pris, une batterie de résolution, parmi lesquelles, la décision relative à « l’interdiction formelle, pour compter du 1er janvier 2029, de l’exportation du manganèse brut, ressource stratégique dont le Gabon est le deuxième producteur mondial ». Il m’échoit de vous présenter, dans les lignes qui suivent, mon analyse de ladite décision. 

Contexte

Soixante cinq ans après son indépendance, le Gabon semble avoir tiré les enseignements de cette période postindépendance. 

Au lendemain de l’accession du pays à la souveraineté internationale en 1960, les premiers défis étaient de couvrir l’énorme besoin en ressources humaines afin de prendre le relais des colonisateurs qui occupaient l’essentiel des postes dans l’administration, après leur départ des colonies devenues Républiques. Cela s’est traduit par une nécessité de formation accrue dans tous les domaines en vue de se doter d’une élite devant exercer, pour la grande partie dans l’administration publique et progressivement dans le privé.

Cette première partie de la vie du pays a, en effet, été consacrée à bâtir une architecture administrative et économique ayant donné quelques résultats appréciables. 

Le “boom pétrolier” des années 70 a fait entrer le pays dans une zone de confort, privilégiant une économie de rente au détriment des autres secteurs. En outre, les différentes crises économiques internationales successives auxquelles le pays a fait face au cours des années 80, 90 et 2000, auxquels et la dévaluation du Franc CFA du 11 janvier 1994 ont montré les limites d’un système économique basé exclusivement sur l’extraction et l’exportation des matières premières brutes (pétrole, bois, uranium, or, manganèse, produits halieutiques, agricoles, etc.). Ce modèle a généré certes, des retombées économiques et financières significatives pour le pays mais sans réelle valeur ajoutée à ces produits, avec une dépendance aux aléas du marché international.

Avec une population de deux millions d’âmes, composée à 75% des jeunes et un taux de chômage dépassant les 40%, un changement de cap était bien plus que nécessaire pour inverser la tendance et réduire le niveau de paupérisation très élevé de sa population. Le Gabon devait oser le pari de la diversification de son économie en misant sur une transformation locale de ses matières premières.

Enjeux

Devant tirer les enseignements des résultats obtenus par les pays d’Asie du sud dont certains avaient un PIB par habitant inférieur ou similaire au sien, au cours des années 70/80, ayant fait le pari de l’industrialisation, le Gabon, conscient de sa position stratégique, doit pleinement tirer avantage des richesses dont il regorge, pour le bien de son économie et, in fine de sa population.

En sa qualité d’État souverain, le Gabon choisit l’orientation stratégique à même de lui garantir l’atteinte des résultats économiques, scientifiques et technologiques escomptés en vue d’améliorer le niveau et le cadre de vie de ses habitants. Il met donc en place les conditions juridiques et infrastructurelles permettant aux partenaires ou opérateurs économiques intéressés d’y souscrire dans un partenariat « Win-Win ». 

En attendant la mise en exploitation du gisement de Manganèse de Mbigou dans la province de la Ngounié (sud du Gabon) dont le démarrage devrait dépendre de la mise en exploitation du port en eau profonde de Mayumba (sud du Gabon) et de la ligne de chemin de fer Booué-Mayumba, le Gabon compte à ce jour trois opérateurs qui exploitent son manganèse. Il s’agit de la Compagnie Minière de l’Ogooué (COMILOG qui exploite le manganèse depuis 1962 à Moanda dans le Haut-Ogooué) par ailleurs filiale du Groupe ERAMET, C.I.C.M.H.Z (entreprise chinoise basée à Ndjolé dans le Moyen Ogooué) et de Gabon Mining Logistic (entreprise australienne, exploitant le manganèse à Okondja, dans le Haut Ogooué).  

Depuis cette décision de l’État gabonais, des trois opérateurs supra mentionnés, seul le Groupe Eramet a, officiellement réagit par le biais de son Président Directeur Général, Mme Christel BORIES, au travers d’un entretien accordé à un média français au cours de l’émission “ECORAMA”. On serait avisé d’avoir la réaction des deux autres opérateurs, si tant qu’ils l’ont fait (…). Dans tous les cas, la réaction d’Eramet en dit long sur cette actualité.

Remettre l’église au centre du village. Il importe pour tout opérateur qui souhaite exploiter le manganèse au delà du deadline indiqué par le Gabon, de mettre en œuvre les moyens et modalités devant lui permettre d’exercer après le 1er janvier 2029, suivant le nouveau cadre définit par l’État. 

Toute démarche contraire irait à l’encontre des intérêts du Gabon. 

Il est important de rappeler qu’avant la mise en exploitation en 2015, du Complexe Métallurgique de Moanda (C2M) appartenant à Comilog, les problématiques énergétiques se posaient aussi en ce temps, mais l’État gabonais soucieux d’offrir de l’énergie avait pris la résolution d’investir en construisant le barrage hydro-électrique de POUBARA 2 qui permettrait de couvrir largement les besoins énergétiques de C2M à un coût du KW très compétitif, c’est à dire inférieur à celui du marché international (12 francs le KW contre plus de 15 francs en Europe, 18 francs aux USA, 22 en France, 0,12 dollars CAD le KW au Canada, soit 49 francs CFA, 16 francs CFA en Afrique du Sud et 15,65 francs CFA au Brésil à la même période). 

Les capacités énergétiques de POUBARA 2 ne sont à ce jour, exploitées qu’à hauteur de 60% dont près des ¾ pour couvrir la demande de C2M. En y intégrant le futur barrage de Booué, celles-ci devront permettre de couvrir les besoins des usines de transformation des trois opérateurs actuels exploitant le manganèse, en plus des besoins nécessaires requis pour la transformation du fer de BELINGA (nord-est). 

Au 31/12/2024, la production annuelle de manganèse du Gabon était de 10 millions de tonnes dont 6,8 millions pour Comilog. En transformant localement ce volume, on obtiendrait 2 à 3 tonnes de produit finis, soit du ferromanganèse soit du silicone manganèse, voire des alliages ou autres dérivés que sont les lithium, batteries ou piles, etc.

Au delà de la transformation du manganèse au Gabon en particulier et d’autres matières premières en général, cette décision présente des enjeux stratégiques majeurs que nous aborderons en termes de retombées.

  1. Retombées

La décision d’interdire pour compter du 1er janvier 2029, l’exportation du manganèse brut, renforcée par les mesures contenues dans le communiqué de presse du Ministère de l’Économie, des Finances, de la dette et des Participation Chargée de Lutte contre la Vie Chère du 21 juin 2025 va inéluctablement et irréversiblement bouleverser le paysage économique, infrastructurel ainsi que le marché de l’emploi au Gabon, mais pas que…

Parmi ces mesures prises par M. Henri Claude OYIMA, par ailleurs, Ministre et ex PDG du groupe BGFI-Bank, nous nous intéressons à deux d’entre elles à savoir « la domiciliation des recettes d’exportation dans les livres des banques gabonaises » (a) et « l’obligation pour les grandes entreprises d’ériger des sièges sociaux au Gabon » (b).

Que retenir des deux mesures supra ? 

a/- De la domiciliation des recettes d’exportation dans les livres des banques gabonaises. Certaines filiales des multinationales détiennent des comptes ouverts en Europe afin d’y domicilier l’essentiel des recettes liées à leurs exportations. L’argent issu de l’exploitation des matières premières censé donc circuler dans l’économie des pays où elles sont extraites, profitent le plus au fonctionnement des économies des pays qui les importent (achètent) auprès du Gabon. Si ce choix peut s’avérer profitable pour ces filiales ou les groupes auxquelles elles appartiennent, elle l’est moins pour le pays et la BEAC qui, de ce fait, se prive des liquidités financières importantes pour son économie. 

De plus, ces filiales importent la quasi totalités des machines et pièces détachées destinées à l’exploitation de ces matières. Le paiement de ces importations se faisant en devise (cela se traduit par le rachat de l’équivalent en devise de la somme nécessaire à l’acquisition d’un bien et service convertible en francs CFA par le biais des devises disponibles dans nos banques commerciales ou à la banque centrale). La combinaison de ces deux situations contribue à la dégradation du niveau des réserves de change du pays, voire de la BEAC. 

Or en domiciliant les recettes des exportations dans les comptes de ces entreprises au niveau des banques implantées au Gabon, les clients paient dans notre monnaie ou en devise et cela donne du poids à notre monnaie. Cela se traduit par l’augmentation de la quantité de monnaie en circulation dans le pays tout en profitant pleinement à l’économie de notre pays ou de la sous région. On se retrouverait dans la situation décrite plus haut en inversant les rôles.   

b/- De l’obligation pour les grandes entreprises d’ériger des sièges sociaux au Gabon. Cette mesure est motivée par le constat fait sur le terrain. De nombreuses (grandes) entreprises réalisant un chiffre d’affaires annuel évalué à des dizaines de milliards possèdent des sièges ne reflétant pas le poids ou la taille de celles-ci. Outre le fait que ladite mesure permette aux grandes entreprises de disposer d’un local digne de leurs standings, elle contribuera par ailleurs à embellir l’image du pays à travers l’acquisition ou la construction de bâtiments/immeubles servant à abriter les sièges de ces entreprises. Ainsi, le cadre de travail devrait connaître une amélioration. Aussi, les travaux de construction de ces sièges entraineraient la relance du secteur BTP et, in fine, de la consommation directe par l’effet induit occasionné par l’activité dans le BTP.

Retombées de la transformation pour le Gabon

La transformation locale du manganèse qui va marquer la fin des exportations brutes fera naître un tissu industriel à l’origine de la création de tout un écosystème d’activités annexes et connexes autour de l’industrie minière.

Tout d’abord, la transformation apporte plus de valeur ajoutée à l’économie. Très concrètement, l’impact financier est significatif, un produit transformé multiplie les gains par 10, voire plus. 

Ensuite, il y’a la création et l’accroissement significatif des emplois directs et indirects entraînant la baisse du chômage dans le pays et donc la réduction de la pauvreté. On notera également la maîtrise de la chaine de production au niveau local, ce qui n’est pas le cas dans le système d’exportation (ventes) de matières premières brutes. 

Sur le plan macro-économique, elle génère pour l’état des recettes budgétaires supplémentaires du point de vue fiscal, voire douanier du fait de l’importation des machines et outillages destinés à la production ou autres intrants. Cela donne plus de leviers à l’État en lui permettant donc de financer le développement des infrastructures (énergétiques, routières, des établissements scolaires et universitaires, des hôpitaux, adduction d’eau), aménagement du territoire, etc… 

La mise en place des usines destinées à la transformation entraînant une demande de main d’œuvre, qui se traduit donc par l’accroissement de la population à l’origine d’une forte demande en termes :

  • d’habitat et de mobilier pour loger et équiper la population additionnelle ;
  • de santé, avec un besoin de structures médicales publiques, privées et paramédicales destinées à couvrir la demande croissante ;
  • de sécurité et sûreté. On parlera de sécurité publique avec la construction par l’État de commissariat, de brigade de gendarmerie, de caserne de sapeurs pompiers, de camp militaire ou le cas échéant de base de marine navale. La sécurité privée ne serait pas en reste avec la création des sociétés de gardiennage et de sécurité, voire offrant des services de télésurveillance, de géolocalisation et dérivés ; 
  • d’éducation avec la construction d’établissements préscolaires, scolaires et universitaires destinés à la jeunesse mais aussi des établissements professionnels hautement spécialisés devant contribuer au perfectionnement du personnel venant aussi bien du Gabon que d’autres pays exprimant la demande ;
  • de transport et logistique pour favoriser les mouvements croissants des biens et de personnes (routes, airs, ferroviaire, fluvial ou maritime le cas échéant) par la mise en place d’infrastructures et systèmes y relatifs ;
  • de défis alimentaires. Il faudra en outre nourrir cette population en pleine expansion. Cela génère un besoin en établissements spécialisés dans la restauration, le développement d’une filière agricole susceptible de couvrir cette demande croissante de la population ;
  • média et presse. Le développement de l’activité économique et l’augmentation de la population suscite une demande en termes de besoins en couverture médiatique pour couvrir l’actualité et raconter la vie de la cité. La naissance d’organe de presse ou médias en serait la réponse.

Ainsi, par effet domino, la naissance des infrastructures sportives, hôtelières, le développement du tourisme, ainsi que les besoins en services financiers, bancaires et en assurances, sans omettre les cabinets spécialisés dans les domaines juridiques, comptables et fiscaux, agence de communication, etc…

A contrario, et cela est évident, les villes où sont transformées actuellement le manganèse extrait du Gabon, du fait de cette décision, connaîtront une baisse de l’activité économique, entrainant entre autres et parallèlement, la baisse des impôts générés par cette situation, des pertes d’emploi à l’origine du chômage, des tensions sociales et à l’augmentation de l’insécurité qui en seraient le pendant. 

En définitive, la transformation du manganèse localement ferait rentrer le Gabon à un stade supérieur. Le pays deviendrait une place forte, en ce qui concerne l’industrialisation de la filière minière, renforçant sa position stratégique dans le monde. C’est assurément le chemin à suivre pour donner du sens à ce passage de l’hymne national du Gabon, je cite « c’est enfin notre essor vers la félicité ». 

 Yvon Patrick Ndinga,

Cadre comptable et financier du privé,

ancien Chef de Division Contrôle Financier SETRAG, filiale du groupe Eramet

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