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Prolégomènes sur la Sécurité sociale et la citoyenneté

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Dans ses différentes publications, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) présente la sécurité sociale comme, « la protection que la société assure aux individus et aux ménages pour leur permettre d’accéder aux soins de santé et leur garantir une sécurité de revenu, notamment dans les circonstances suivantes : vieillesse, chômage, maladie, invalidité, accident du travail, maternité, disparition d’un soutien de famille ». 

Par ailleurs, et à intervalles réguliers, la protection sociale et la sécurité sociale qui sont pris pour des synonymes, se retrouvent au cœur des conversations ou des débats publics, à défaut d’être réellement au cœur des préoccupations. Invariablement, ce sont les mêmes inquisiteurs, les mêmes procureurs et les mêmes incantations que l’on retrouve, sans que l’on puisse réellement tirer de sérieux enseignements de leur salmigondis récurrent. Pour ceux qui ont de la mémoire, ce que j’écrivais en juin 2022 peut être repris aujourd’hui en changeant simplement les acronymes :

« Que la CNSS rencontre des difficultés n’est un secret pour personne. Que chacun ait son idée ou ses explications ne saurait surprendre. Les premières sont récurrentes même si la séquence en cours est annonciatrice de conséquences plus graves, pouvant aller, si l’on en croit les oracles, jusqu’à une cessation des paiements. En ce qui concerne les secondes, elles renvoient à la responsabilité de la situation actuelle, qui serait la résultante d’une gestion cavalière empreinte de kleptocratie. La dénonciation du salaire exorbitant, ou du train de vie de tel directeur ou des cadres dirigeants, vient au soutien de ces affirmations. » (https://gabonmediatime.com/cnss-des-questions-et-des-questions/, 9 juin 2022 ; https://gabonactu.com/blog/2022/06/07/83680-2/ , 7 juin 2022).

Je poursuivais : 

« Les solutions ne manquent pas dans ce climat. Pour le plus grand nombre, le « faut qu’on » et le « y’a qu’à » tiennent lieu de vademecum. Il suffirait de changer les hommes ou les femmes à la tête de la CNSS pour que tout aille pour le mieux dans le meilleur des Gabon. Mais, d’où viendraient ces hommes et ces femmes ? A cette question, la réponse demeure évasive, si l’on dépasse le stade de la référence aux personnes compétentes. Hélas ! trois fois hélas, la réalité est autrement plus complexe. ». 

Pour conclure, je m’hasardais à avancer ce qui suit : « Au risque de décevoir la foule des lyncheurs, je ne me prononcerai pas sur les responsabilités des dirigeants de la CNSS, ce n’est pas de mon ressort. J’aggraverai même mon cas en affirmant que, quel que soit le directeur général que l’on placerait à la tête de la CNSS, le chemin de croix de la caisse ne s’arrêterait point ».

Près de deux ans plus tard, même si les projecteurs de la critique féroce et parfois de la calomnie ne sont plus braqués sur elle, personne ne peut décemment soutenir qu’il y a eu une embellie à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS). 

Aujourd’hui, c’est au tour de la Caisse Nationale Maladie et de Garantie Sociale (CNAMGS) d’être vouée aux gémonies. Certes, à la faveur de la nomination d’une nouvelle direction et d’une habile communication, des lendemains meilleurs sont annoncés pour cette caisse. Pourtant, sans être une grande pythonisse, les mêmes causes produisant les mêmes effets, il y a à parier que dans quelques mois, se feront entendre les mêmes chœurs des sycophantes dénonçant avec véhémence la gestion calamiteuse, et les détournements scandaleux opérés par ceux qui sont célébrés maintenant. Thucydide nous ayant appris que l’histoire était un éternellement recommencement, nous pourrions nous contenter d’attendre patiemment la réalisation de ces oracles. Mais, ce n’est pas le sentier que nous avons entrepris d’emprunter. 

S’agissant d’un sujet que nous considérons d’une importance capitale pour notre pays, nous avons en effet décidé de ne pas nous tenir à l’écart de ces débats, et d’exercer pleinement notre citoyenneté en prenant nos responsabilités, eu égard aux quelques compétences ou connaissances qui nous sont reconnues en la matière. De plus, et tout en n’occultant pas ses insuffisances et ses lacunes, la CNAMGS est aujourd’hui une réussite dont l’ensemble des Gabonais peuvent s’enorgueillir. Seuls ceux qui n’ont été ni malades, ni jamais eu de parents malades peuvent prétendre le contraire. Que l’on compare la situation qui prévalait avant l’avènement de la CNAMGS et aujourd’hui ! Le fossé est énorme. 

C’est pour cela qu’il nous paraît utile, plutôt que d’ouvrir un énième procès de cette institution, de participer au débat public en proposant ce que nous pensons être bénéfique non seulement à la CNAMGS, mais à l’ensemble des Gabonais. La crise de la CNAMGS à laquelle nous avons assisté n’était en effet que la partie visible d’un iceberg que l’on ne saurait davantage ignorer. Notre réflexion ne peut donc que dépasser les seules questions de gouvernance, et appréhender plutôt l’ensemble des garanties sociales au Gabon comme des droits du citoyen. 

Pour le Pr Fulchiron, la citoyenneté peut être définie, « comme un lien de nature politique qui commande la jouissance et l’exercice des droits politiques et des droits civiques ». Point n’est besoin d’ausculter tous ces droits, nous nous en tiendrons simplement à la catégorie des droits sociaux. Parmi ceux-ci, le droit à la sécurité sociale retiendra particulièrement notre attention. Quoique nombre de nos compatriotes l’ignorent, au-delà de son volet institutionnel, la sécurité sociale est avant tout un droit fondamental de tout citoyen. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la plupart des Etats l’ont consacré dans leurs constitutions. Le Gabon, depuis son indépendance n’y a pas échappé. 

Le Titre Préliminaire de la Constitution de 1991 prévoyait que : 

« l’Etat, selon ses possibilités, garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère, aux handicapés, aux vieux travailleurs et aux personnes âgées, la protection de la santé, la sécurité sociale, un environnement matériel préservé, le repos et les loisirs ». 

Même si cela n’est pas écrit expressis verbis, le Préambule de la Constitution promulguée le 19 décembre 2024 va dans le même sens en proclamant que : 

« Le peuple gabonais affirme solennellement et souverainement son attachement aux droits de l’Homme et aux libertés fondamentales, tels qu’ils résultent de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, consacrés par la Charte africaine des Droits de l’Homme et des peuples de 1981 et par la Charte Nationale des Libertés de 1990 (…) ». 

A partir de ce Préambule et des textes auxquels il se réfère, des obligations pèsent sur l’Etat gabonais. Si la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples dispose au 2ème alinéa de son article 16 que :

« Les États parties s’engagent à prendre les mesures nécessaires en vue de protéger la santé de leurs populations et de leur assurer l’assistance médicale en cas de maladie », c’est surtout l’article 22 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui est le texte de référence en la matière. Il énonce en effet que : « Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays. » 

Il est complété par l’article 25 qui édicte que :

« 1. Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté.

2. La maternité et l’enfance ont droit à une aide et à une assistance spéciales. Tous les enfants, qu’ils soient nés dans le mariage ou hors mariage, jouissent de la même protection sociale. ».

Pour le Haut-Commissariat des Droits de l’Homme des Nations Unies, « Droit humain fondamental, la sécurité sociale est un outil puissant de lutte contre la discrimination et un instrument essentiel pour réduire la pauvreté et promouvoir l’inclusion sociale. Elle vise à offrir une sécurité de revenu et un soutien à chaque étape de la vie, en prêtant une attention particulière aux plus marginalisés ». C’est sous cet angle que nous envisagerons les attentes du citoyen en la matière.

Pour simplifier la compréhension du plus grand nombre, nous n’entrerons pas ici dans des débats érudits sur la nature du droit à la sécurité sociale et à son applicabilité. Notre préoccupation est d’une part de porter à la connaissance de nos compatriotes la portée de ce droit, et d’autre part de discuter des mesures que l’Etat met ou doit mettre en œuvre pour atteindre la satisfaction dudit droit dans un contexte fortement marqué par l’histoire coloniale de notre pays. 

Le Gabon comme l’ensemble des pays francophones a hérité d’une protection sociale d’abord conçue essentiellement pour les travailleurs de l’administration et du secteur privé. Liée à l’exercice d’une activité professionnelle et compensait le risque de perte du revenu due à l’inactivité forcée (accident, maternité, vieillesse), elle s’est construite sur une logique d’assurance sociale professionnelle. De ce fait, au lendemain de l’Indépendance, la dénomination « prévoyance sociale » qui a été retenue, correspondait parfaitement à la réalité. Techniquement, la prévoyance sociale sert à remplacer le revenu de la personne assurée qui perd sa capacité de travail par suite de maladie, invalidité, vieillesse, décès, perte d’emploi involontaire, maternité ou emprisonnement. La prévoyance sociale est financée par les cotisations des employeurs et des salariés. Le fait que la CNSS ait succédé à la CGPS en 1975 n’y a rien changé. La loi du n° 6/75 du 25 Novembre 1975, portant Code de la Sécurité sociale concernait en effet avant tout les travailleurs du secteur privé ainsi que l’atteste son article 3 : 

« Sont assujettis au régime de sécurité sociale, institué par la présente loi, tous les travailleurs salariés tels qu’ils sont définis par le Code du Travail, c’est-à-dire toute personne, quels que soient son sexe et sa nationalité qui s’est engagée à mettre son activité professionnelle, moyennant rémunération, sous la direction et l’autorité d’une autre personne physique ou morale, publique ou privée.

2°) Y sont également assujettis les salariés de l’Etat et des administrations publiques qui ne bénéficient pas d’un régime particulier de sécurité sociale (…) ».

Certes, la Caisse Nationale de Garantie Sociale (C.N.G.S.) a été créée par la loi du 24 janvier 1983 pour intégrer dans le circuit de la protection sociale, des catégories qui avaient été oubliées par la loi de 1975 (agents contractuels de l’Etat, travailleurs indépendants et personnes indigentes). Toutefois, la couverture sociale de l’ensemble des gabonais n’était ni universelle (elle ne couvrait pas tous les citoyens) ni générale (elle ne couvrait pas tous les risques essentiels et notamment la maladie). 

C’est la CNAMGS qui, en 2007, en même temps qu’elle porte sur les fonts baptismaux le risque maladie, exalte également la promesse de son universalité. Dix-huit ans plus tard, sans renoncer à cette ambition, il serait utile de lui donner un second souffle quitte, à passer par une réforme qui ne soit pas que paramétrique.

Sans verser dans un alarmisme de mauvais aloi, nous tenterons d’apporter, dans une série de cinq contributions, des pistes de réflexion ou de solutions pour que l’Etat et les autres acteurs sociaux satisfassent au mieux les attentes du citoyen gabonais en matière de protection sociale.

Cet exercice commande de commencer par s’intéresser au cadre normatif et au champ d’application de notre protection sociale. Aujourd’hui, la couverture sociale du citoyen gabonais est inégale en fonction de son statut social. Il y a non seulement un émiettement des prestations sans ligne directrice certaine, mais une méconnaissance de nombreuses garanties surtout pour nos compatriotes les plus nécessiteux. A cela il faut ajouter un capharnaüm de textes qu’il convient au mieux de toiletter, au pire d’abroger purement et simplement.

La deuxième étape de ces travaux d’Hercule nous mènera à la gouvernance de cette protection sociale. Celle-ci dépend du modèle d’organisation choisi. Or, dans le monde, il en existe trois grandes familles :

  • Le modèle du service national de santé, universel (beveridgien), financé essentiellement par l’impôt, avec un accès gratuit des résidents à une offre de soins publique ; 
  • le modèle des assurances sociales (bismarckien) lié au statut professionnel, financé par des cotisations assises sur les salaires et gérée par des caisses administrées par les partenaires sociaux, qui passent des contrats avec des offreurs de soins indépendants ;
  • le modèle libéral où la protection contre les risques est facultative et assurée par des contrats d’assurance privée.

Savoir qui et comment est piloté notre protection sociale passe par la détermination de notre modèle. Cependant, comme nous aurons l’occasion de le constater, le modèle gabonais est plutôt hybride, d’où la difficulté à en appréhender la gouvernance, avec notamment un Etat fortement interventionniste et des corps intermédiaires plutôt faibles et pusillanimes, surtout du côté des salariés.

Dans la protection sociale, ce qui parle aux citoyens ce sont les prestations, et c’est donc tout logiquement que dans un troisième temps nous aborderons cette thématique. Nous le ferons en dressant le panorama des garanties auxquelles les Gabonais ont droit, avec leurs limites. De ce point de vue, il semble que nos compatriotes n’aient pas toujours une parfaite connaissance de ce à quoi ils ont droit. Toutefois, avoir des prestations ne suffit pas toujours, encore faut-il qu’elles satisfassent réellement les besoins de nos compatriotes, ce qui est souvent loin d’être le cas. 

Ces défaillances tiennent largement, et ce sera l’objet du quatrième volet de nos publications, aux difficultés rencontrées à la fois dans le financement de la protection sociale, mais également dans le recouvrement des différentes contributions. Dans les débats récurrents sur les caisses de protection sociale au Gabon, il y a lieu de dénoncer le mutisme des pouvoirs publics et même de la presse gabonaise (cf. dernièrement, A.S. Laborieux, « CNAMGS : Des milliards collectés, des pharmacies toujours impayées. Où va l’argent ? », Gabon Review, 11 février 2025, https://www.gabonreview.com/cnamgs-des-milliards-collectes-des-pharmacies-toujours-impayees-ou-va-largent/), sur une responsabilité connue de tous, celle de l’Etat. C’est ainsi que, malgré une remise de dette (mesure accordée en principe à un débiteur qui a des difficultés financières) opérée en 2024, l’Etat est toujours le plus gros débiteur de la CNAMGS. Pourtant, dans la loi des finances 2025, il est prévu une Contribution Sociale de Solidarité (CSS) au profit des Gabonais Economiquement Faibles d’un montant de 40.938.752.015 francs CFA. Dans le même budget, 10.779.970.150 francs CFA sont affectés aux cotisations CNAMGS des agents publics. Mieux encore (ou pire c’est selon), le recouvrement des cotisations opéré par les organismes de protection sociale a souvent souffert par le passé de quelques interventions intempestives de personnes dont la seule qualité était de faire partie des cercles de pouvoir. 

Aux termes de ces différentes étapes, il nous appartiendra de présenter une esquisse de ce que devrait être la protection sociale gabonaise de demain, en exposant les grandes lignes de la réforme structurelle que nous appelons de nos vœux. Nous empruntons à un de nos compatriotes sa formule savoureuse, pour ces ultimes discussions : tout est-il à refaire ? 

Augustin EMANE, Maître de conférences HDR à l’UFR Droit de l’Université de Nantes, UMR CNRS 6297, Point Sud Institute Bamako, Academia Brasileira de Direito do Trabalho, Cabinet Mayila à Libreville

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