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Dr Safou Abdou Razack: «on ne peut pas s’amuser à vouloir gagner la bataille de la covid sans avoir réglé la question du paludisme»

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A l’occasion de la célébration de la Journée internationale de lutte contre le paludisme le Directeur du Programme national de lutte contre le Paludisme le Dr Safou Abdou Razack est revenu longuement, au cours d’une interview accordé à Gabon Media Time, sur les actions menées sur le plan national pour endiguer cette maladie qui a fait environ 591 décès en 2019. Ci-dessous l’intégralité dudit entretien. 

Quel est aujourd’hui l’impact de la Covid-19 sur la lutte contre le paludisme ? 

Il faut d’abord rappeler que dans la symptomatologie de ces deux maladies les signes sont malheureusement  pour une bonne partie les mêmes. On retrouve la fièvre au premier rang, les douleurs articulaires etc. À partir de là, lorsqu’il s’agit de riposter contre la covid-19 on va rechercher d’abord les patients qui ont de la fièvre. 

Vous voyez bien que dans la plupart des administrations, les formations sanitaires, on s’aperçoit qu’il y a des agents qui vous prennent la température. Donc on recherche premièrement les malades fébriles. À partir de là, les malades qui ont le palu ont commencé à se dire qu’ils vont être dépister contre la covid-19 systématiquement. Et or, les premières mesures de riposte contre la covid-19 ont consisté à isoler les malades et les prendre en charge de manière spéciale pour rompre la chaîne de transmission de la maladie. Ce qui fait qu’un certain nombre de patients vont fuire les hôpitaux. Ils vont commencer l’auto médication.

Et puis, on découvre que l’un des médicaments efficaces contre la covid-19 est la chloroquine. Or, de l’hydroxychloroquine on a élargi au dérivé de l’artémisinine. Donc vous comprenez que beaucoup de personnes se sont mises à consommer  des antipaludiques pour faire face à la Covid-19. 

Qu’est ce que ça a entraîné ? Une surconsommation des médicaments d’où les tensions sur les stocks. Nous avons connu des périodes de rupture de stock de médicaments. Nous avons connu la période d’auto médication où les patients ne venaient pas à l’hôpital. Nous sommes sûres que cela a dû générer des décès chez les personnes vulnérables, notamment les enfants de moins de 5 ans.

Qui déjà nous posaient des problèmes parce que dans les familles les gens viennent toujours à l’hôpital avec beaucoup de retard. Donc ils vont emmener des enfants à l’hôpital en état de paludisme grave, ce qui fait que sur la Covid-19 il a fallu beaucoup expliquer aux populations que les stratégies ont changé, qu’on a besoin de faire des tests de diagnostic pour confirmer si c’est le palu ou si c’est la covid-19 ou les deux. Tout ça nous permet aujourd’hui de revenir peut être à une situation presque normale que nous souhaitons continuer à améliorer. 

Le Gabon a célébré la journée mondiale du paludisme ce 25 avril 2021. Le thème national retenu cette année est Zéro Palu! Je m’engage, avec comme slogan Des actes! Des actes! Des actes! Afin que le paludisme ne soit plus un problème de santé publique. Quelles sont les actions mises en œuvre pour réellement éradiquer le palu à l’orée 2030? Pensez-vous vraiment pouvoir atteindre cet objectif? 

Le programme national de lutte contre le paludisme, dans la panoplie des stratégies que l’OMS recommande pour riposter contre le paludisme en fonction de nos réalités a élaboré son plan stratégique intérimaire qui va nous emmener jusqu’en 2021. Et en fonction des résultats de ce plan nous en produirons d’autres, améliorés, adaptés aux réalités de terrain puisqu’on dit chez les médias que le terrain commande la manœuvre, adaptée au terrain de manière à arriver à cet objectif. 

Mais l’un des soucis que nous avons par rapport à d’autres pays c’est que le Gabon est très peu éligible aux financements extérieurs, nous n’avons pas actuellement le fond mondial, les financements tels que celui de lutte contre le paludisme dont d’autres pays bénéficient le Gabon ne les a pas.

Or pour riposter, un plan aussi bon soit-il doit être financé. Aujourd’hui, le niveau de financements de notre plan est de près de 16% donc quasiment les financements du gouvernement. On s’est dit que si l’extérieur ne nous aide pas, le PNLP a le devoir de conduire les stratégies pour une mobilisation des ressources domestiques . 

Le PNLP s’y emploie avec l’appui de Roll Back Malaria tel que nous avons été instruits par les plus hautes autorités du pays. Aujourd’hui nous avons beaucoup avancé en termes de partenariat que nous avons déjà signés et nous espérons continuer dans cette voie. 

L’objectif à terme c’est d’arriver à la mise en place d’un fonds de lutte contre le paludisme qui sera correctement financé et dont les différents partenaires pourront suivre la mise en œuvre du plan.

Nous mêmes, PNLP nous avons besoin d’être encadrés pour être maintenus sur la bonne voie. Cet objectif est un besoin de toute la communauté gabonaise. J’ai foi en notre communauté et je suis sûr que nous pouvons y parvenir si tout le monde s’engage. 

Ce n’est pas pour rien zéro palu je m’engage.  Nous nous félicitons déjà que des médias comme vous viennent vers nous. C’est déjà un acte d’engagement de manière à nous permettre d’apporter les bons messages à la communauté.

Quelle appréciation faites-vous de la mobilisation des moyens observée autour de la pandémie de Covid-19 au détriment du paludisme? 

Faut dire que le signal qu’a été la covid-19 n’a pas été totalement mauvais. Nous avons pour habitude de dire en médecine que les épidémies sont les occasions d’enseignement. On pouvait se dire qu’au sein de la  communauté gabonaise tout le monde était focalisé sur le tout état mais on a vu avec la covid-19 une mobilisation des ressources multiformes de plusieurs origines et même de l’intérieur du pays sans compter ce qui venait de l’extérieur. Une importante contribution de la communauté gabonaise du monde des entreprises, des personnes morales et physiques entre autres.

 Ce qui veut dire qu’il y a une capacité de la société gabonaise à faire face à n’importe quelle menace et les résultats sont là. Nous nous basons sur la covid-19 après avoir discuté avec les responsables de la riposte de trouver le langage qu’il faut pour emmener notre communauté à mobiliser les ressources et à financer la lutte contre le paludisme de manière significative. 

Seul gage pour que les populations vulnérables notamment les femmes enceintes, les enfants de moins de 5 ans cessent de mourir autant à cause de cette maladie. 

Lors d’une récente rencontre avec la presse, vous avez évoqué la problématique de l’automédication, l’auto consultation des populations, quel est l’impact de ce phénomène dans la lutte contre le paludisme aujourd’hui? 

N’oublions pas que le paludisme est la 1ère cause d’absence en milieu scolaire et en milieu professionnel. C’est un coup énorme pour les entreprises. Il n’y a pas de développement dans un  pays avec le paludisme à l’intérieur sévissant de manière intense. Cela aggrave la pauvreté. Lorsque le message sera passé et compris de tout le monde « on ne peut pas s’amuser à vouloir gagner la bataille de la covid, gagner la bataille du développement sans avoir réglé la question du paludisme ». 

On peut prendre les expériences sur le plan historique ou même dans les autres pays personne n’a jamais gagné avec le paludisme sévissant de manière intense et endémique la bataille du développement ça n’existe pas.

Sur le plan clinique, le paludisme c’est deux grands groupes, le paludisme simple et le paludisme grave. Celui simple avec un  bon médicament, au bon endroit et à bonne dose guérit toujours et pour ne pas l’aggraver il faut qu’il soit pris en charge dans les 24 heures qui suivent l’apparition des signes sinon on évolue vers le paludisme grave et quel que soit le plateau technique, il entraîne toujours des complications à court terme comme le décès mais parfois à long terme comme des convulsions ou des insuffisances rénales malheureusement que le malade peut porter toute sa vie.

Traîner avec un paludisme a des conséquences graves donc la meilleure manière de le traiter c’est d’avoir déjà la preuve que s’en est un au lieu de multiplier les antipaludiques au hasard et sans avis médical alors qu’il s’agit peut être d’autre chose.   

Avoir la preuve du paludisme permet également de lutter contre beaucoup d’autres maladies et d’améliorer la santé des populations.

Henriette Lembet

Journaliste Le temps est une donnée fatale à laquelle rien ne résiste...

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