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Me Peter Assaghle : « Ce projet de constitution fait clairement le lit de la démocrature »

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Écrivain, Docteur en droit Peter Stephen Assgahle a accordé un entretien exclusif à la rédaction de Gabon Media Time (GMT), ce samedi 12 octobre 2024. Gabonais de la diaspora, par ailleurs Avocat au Barreau de la Dôme, notre compatriote passe au crible l’an 1 du Comité pour la transition et la restauration des institutions à la tête du Gabon mais également le projet de constitution et le référendum. Lecture !

Gabonais de la diaspora, quel regard portez-vous sur la restauration des institutions, un an après le coup d’Etat du 30 aout 2023 ?

Je pense que les puchistes ont fait, sur ce point-là, une promesse qu’ils ont – volontairement ou involontairement, je l’ignore – du mal à tenir.  En effet, au-delà des propos d’estrade, parler de restauration des institutions d’un Etat, c’est d’abord engager celles-ci dans un processus de révision et de restructuration profondes afin, premièrement, qu’elles garantissent et respectent les droits de l’Homme ; deuxièmement, qu’elles préservent l’Etat de droit et, troisièmement, que ceux qui sont à la tête de ces institutions soient responsables devant le Peuple dont ils sont les mandataires.

Seulement, depuis le coup d’Etat du 30 août 2023, on a plutôt le sentiment que le CTRI est passé à côté de cet objectif ou, comme d’autres diraient, qu’il n’y est pas encore parvenu. Les priorités, dont on pourrait bien évidemment discuter de l’urgence, semblent ailleurs. En tout état de cause, un an plus tard, les institutions publiques – telles que la police, l’armée et le système judiciaire censé être premier garant de l’Etat de droit – qui ont très souvent été des instruments de violations des droits humains dans notre pays et qui ont trop souvent servi à l’oppression des populations, sont visiblement le continuum de ce qui se faisait avant :

Le Président de la République qui s’immisce dans le judiciaire pour obtenir la libération, hors grâce présidentielle, de telle ou telle personne ; des corps habillés qui, par le seul pouvoir de leur habit et se croyant plus que jamais tout permis du fait que les leurs se trouvent désormais à la tête de l’État, interpellent ou mâtent impunément nos concitoyens dans les quartiers; des magistrats qui, en dehors de tout cadre légal ou procédural et de manière totalement partiale, restreignent les libertés de qui bon leur semble… tout cela me laisse perplexe.

À l’aube du référendum cher au général Oligui Nguema, si vous étiez amené à vous positionner, seriez-vous pour le Oui ou pour le Non ?

D’abord, je pense que le fait d’intégrer le Général Oligui Nguema dans la formulation de cette question a tout pour fausser le débat. Ce n’est pas très prudent dans un contexte où l’on a la fâcheuse tendance à tout ramener à des considérations de personnes. En réalité, ce qui concerne et engage l’avenir de notre pays devrait nous émouvoir non pas parce que cela est cher à une personne, mais en raison de ce qu’il s’agit de la vie de notre Nation. Ensuite et surtout, il s’agit d’un sujet tellement crucial qu’intellectuellement je ne saurais pour l’heure me positionner tant que le texte définitif qui sera soumis à référendum n’a pas encore été rendu public.

En toile de fond, le projet de constitution. L’avez-vous parcouru ? Si oui, quels sont vos impressions en tant que Juriste ?

Comme je viens de l’indiquer, il serait difficile pour moi de me prononcer tant que le projet définitif n’aura pas été publié. En revanche, si le projet de Constitution qui sera soumis à référendum reprend les dispositions du texte qui a fuité sur les réseaux sociaux, je pense que les mains des Gabonais ne devraient pas trembler en votant contre son adoption. En effet, ce projet de constitution fait clairement le lit de la démocrature ; un régime politique qui, en apparence semble démocratique, notamment par son système de suffrage mais qui, en réalité, du fait notamment de la personnification du pouvoir par un Président de la république qui concentre sur sa personne tous les leviers de l’appareil d’Etat sans qu’il ne soit responsable devant aucune institution.

Et comme dans toute démocrature, la discrimination n’est pas bien loin. En excluant de la course à la magistrature suprême les Gabonais en situation de handicap ou encore ceux qui ont un lien d’extranéité dans leur ascendance, ce texte est un véritable danger pour notre tissu social. Schématiquement, il vient dire à ces Gabonais-là : « vous n’êtes pas si Gabonais que ça », et c’est dangereux. Au-delà même de mon regard de juriste, je pense à mes enfants, neveux et nièces à qui je devrai expliquer qu’ils sont moins Gabonais que moi-même parce que leur second parent est étranger. C’est absurde !

En réalité, on peut discriminer autant que l’on veut mais tant que l’on ne met pas en place de véritables garde-fous, des institutions fortes pour empêcher ceux qui détiennent le pouvoir de l’exercer contre l’intérêt du Peuple, cela ne servirait à rien. Par ailleurs, ce projet de Constitution porte encore atteinte à notre vivre ensemble notamment puisqu’il prive les étrangers – personnes physiques – établis dans notre société, participant pleinement à la vie sociale et économique, qui sont nos frères du quotidien, du droit d’acquérir une terre sur notre territoire, tout en garantissant paradoxalement ce droit aux personnes morales étrangères dont on s’aperçoit, en feuilletant notre histoire, qu’elles  ont souvent porté préjudice aux intérêts des Gabonais en matière de foncier.

Si ces dispositions, entre autres, figurent dans le texte qui sera soumis au vote du Peuple Gabonais, j’inviterais fermement ce dernier à le rejeter.

Quelle appréciation faites-vous du concept de Gabonité né du DNI ?

Ce DNI a été une mascarade, tant dans le choix des personnes qui y ont participé, que dans son déroulement ainsi que dans ses conclusions. Partant de là, je ne peux être étonné de ce qu’il en soit sorti des idées à rebours de la démocratie, de l’Etat de droit et là, avec la promotion d’une certaine Gabonité, à rebours de notre cohésion sociale. Promouvoir la Gabonité au sens des « dialogueurs », c’est ouvrir la porte à l’ethnocentrisme et à la xénophobie. La volonté d’ériger un « être national pur » renvoie à de sombres heures de l’Histoire de notre continent – et même du monde – que je ne ferai pas l’affront de rappeler aux lecteurs de GMT.

Il ne faudrait absolument pas que l’on tombe là-dedans.

Un mot de fin

L’an dernier, je co-publiai un ouvrage intitulé « Gabon, notre héritage commun » dans lequel je disais déjà que « lorsque l’on met de côté nos aspirations individuelles et que l’on fait taire ne serait-ce que momentanément nos quêtes frénétiques et pulsions égocentrées; lorsque l’on oublie même de façon provisoire les partis auxquels nous sommes encartés ; lorsque l’on se dépouille de nos noms et de nos possessions, il est une chose qui demeure et qui est notre riche legs commun : le GABON ».

Partant de là, si nous Gabonais, en tant que Peuple, ne prenons pas conscience de la tâche qui est la nôtre de sauvegarder les intérêts de notre Nation, d’autres le feront mais contre nous. Alors, que chacun s’engage.

Lyonnel Mbeng Essone

Rédacteur en chef adjoint, je suis diplômé en droit privé. J'ai longtemps fourbi mes armes dans les cabinets juridiques avant de me lancer dans le web journalisme. Bien que polyvalent, je me suis spécialisé sur les questions sociétés, justice, faits-divers et bien sûr actualités sportives.

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