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Tania Ondo: «la pratique des techniques de PMA exige un encadrement juridique strict»

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Alors qu’à l’aube des « bébés éprouvette », à la fin des années 1970 en occident, on s’offusquait déjà de ce que l’on ose toucher à ce qui a priori relevait de « l’intouchable », les limites de la science n’ont de cesse de gravir les paliers de l’impossible. Ainsi, par exemple, le syndrome de Rokitansky, ou l’absence d’utérus, n’est plus un frein à la maternité naturelle puisqu’une femme née sans utérus peut désormais donner la vie après une greffe d’utérus. D’ailleurs, un énième palier encore plus invraisemblable devrait, selon de nombreux scientifiques occidentaux, être franchi dans les années à venir : celui de l’utérus artificiel…

Face à toutes ses prouesses scientifiques, le droit a parfois bien du mal à suivre. Pourtant, la protection de la dignité humaine impose au législateur de s’adapter aux évolutions incessantes de la science et de jalonner sans relâche les pratiques de la recherche biomédicale.Le Gabon n’est pas resté simple spectateur face aux progrès de la médecine procréative réalisés à l’échelle mondiale.

Dans ce pays où l’hypofécondité est un réel problème de santé publique, les spécialistes estiment qu’ « un couple sur trois consulte pour des problèmes de fertilité ». C’est manifestement conscientes de cette réalité que les autorités se sont engagées dans une campagne d’amélioration des capacités sanitaires en matière de Procréation Médicalement Assistée. C’est notamment dans ce contexte que le Centre d’assistance médicale à la procréation IBEKELIA MARIE fut créé en 1999. Puis, en 2001, le premier bébé éprouvette du pays voyait le jour.

Toutefois, à l’image de la plupart des pays africains, les techniques d’assistance médicales à la procréation sont pratiquées depuis plusieurs années dans un cadre relativement informel, et les réflexions bioéthiques ne semblent pas relever de l’urgence. En effet, si l’existence d’une loi relative aux principes fondamentaux de la recherche scientifique est tout à fait louable, l’effort législatif reste malgré tout insuffisant, presque superficiel. Et le projet de loi relatif à l’élaboration d’un Code de la santé annoncé il y a bientôt un an, ne semble pas a priori avoir pour objectif de combler le vide juridique en matière de protection des usagers de santé et de l’embryon humain dans le cadre de la recherche biomédicale.

Pourtant, les scandaleuses expérimentations humaines des Nazis et notamment le célèbre procès dit « procès de Nuremberg » auquel elles ont donné lieu, avaient permis de révéler aux yeux du monde le caractère indispensable de l’immixtion intempestive du droit dans la pratique des techniques biomédicales. La prise de conscience suscitée par ce procès avait notamment engendré le célèbre Code de Nuremberg constitué, pour l’essentiel, d’une liste de critères élaborés par les juges audit procès Sa permettant d’apprécier le caractère « acceptable » ou non de toute expérimentation sur l’humain.

Si le problème d’infertilité au Gabon mérite qu’on s’interroge plus sérieusement sur les causes éventuelles du phénomène et les actions envisageables pour y remédier, l’urgence est à l’encadrement juridique des techniques actuellement pratiquées et celles dont la pratique est fortement envisagée. Un encadrement que les praticiens eux-mêmes appellent de leurs vœux, d’autant que le Gabon n’a toujours pas adopté son propre Code de déontologie médicale. Cet encadrement devra être, non pas approximatif, mais suffisamment précis pour permettre de répondre aux différentes problématiques que soulève la médecine procréative.

Le recours à ces techniques doit-il être pris en charge par la solidarité nationale ? Si oui, quelles seraient les modalités de cette prise en charge ? Notamment, quel serait le nombre maximum de tentatives prises en charge ?
Quelles seront les personnes bénéficiaires au sens de la loi sachant que la PMA constitue en principe une réponse thérapeutique à un problème de fertilité ? La nécessité médicale sera-t-elle une condition d’accès ? La PMA sera-t-elle réservée aux personnes en couple ou sera-t-elle également ouverte aux femmes célibataires ?
Quelles seront les modalités du consentement des bénéficiaires ? Quels seront les effets de ce consentement, en particulier sur la filiation ? Le père non biologique qui aurait consenti à la PMA, mais qui ensuite aurait refusé de reconnaître sa paternité, engagerait-il sa responsabilité ? Cette paternité pourra-t-elle être judiciairement consacrée ?

Qu’en sera-t-il de la protection juridique de l’embryon humain ? Quel encadrement en matière de diagnostics prénatals et de conservation des embryons non implantés ?
Qu’en sera-t-il du don de gamètes ? La gratuité sera-t-elle le principe ? Et concernant l’anonymat des donneurs, la levée du secret sera-t-elle envisageable dans l’intérêt de l’enfant à naître qui pourrait un jour où l’autre rechercher ses origines ? Quels seront ses droits ?
La PMA soulève de très nombreuses questions et aucune ne devra être négligée, au nom de la dignité humaine.

Tania Ondo, juriste en droit médical et auteure du blog Objuris.com

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