Mays Mouissi: «ni l’Etat ni la SEEG n’ont respecté leurs engagements d’investissements dans l’électricité»
Ces dernières semaines auront été très éprouvantes pour les populations du Grand Libreville du fait de la recrudescence des coupures d’électricité. Une situation qui selon l’analyste économique Mays Mouissi serait consécutive au faible investissement consenti par la Société d’énergie et d’eau du Gabon (SEEG) au fil des années et qui a une incidence sur la qualité des services fournis par l’entreprise. Ci-dessous l’intégralité de l’entretien accordé à Gabon Media Time.
Gabon Media Time: L’actualité de ces derniers jours est marquée par une recrudescence des délestages sur le réseau d’électricité de Libreville et ses environs. Toute chose qui remet au goût du jour la question de l’investissement dans ce secteur. Pensez-vous, comme le commun des Gabonais, que l’Etat n’investit pas assez dans les infrastructures?
Mays Mouissi: Si l’on en croit la SEEG, les perturbations enregistrées ces derniers jours à Libreville résultent d’un accident survenu dans un des sites qu’elle opère. Il s’agit d’un incident imprévisible par nature que les usagers auraient pu comprendre si ce n’était pas récurrent et les délestages leur quotidien. Cela nous conduit donc à nous interroger sur les causes de ces incidents à répétition : il s’agit principalement de la vétusté des installations et du faible niveau des investissements réalisés dans le secteur depuis au moins 30 ans alors que dans le même temps les besoins énergétiques du pays se sont accrus.
Il convient de rappeler que la charge des investissements dans ce secteur est partagée entre l’Etat gabonais qui est propriétaire de la plupart des infrastructures de production et de transport d’électricité d’une part et la SEEG d’autre part. Malheureusement, l’un et l’autre ne respectent pas leurs engagements d’investissements.
C’est ainsi que sur les 6 barrages hydroélectriques prévus par l’Etat dans le Plan Stratégique Gabon Emergent (PSGE) pour être mis en service entre 2015 et 2020, 5 n’existent toujours pas à ce jour. Il s’agit des barrages : Ngoulmegim, Chutes de l’impératrice, Dibwangui, Fe II et de Bouée. Avec l’absence de ces barrages, ce sont 635 Mégawatts de puissance installée qui manquent à notre réseau déjà saturé et qui ne peuvent être distribués aux usagers. Voilà pour la responsabilité de l’Etat. Quant à la SEEG, chacun peut constater que ses investissements dans les équipements n’ont jamais été à la hauteur des attentes, il en est de même pour l’extension du réseau et cela depuis sa mise en concession en 1995. Il n’y a donc pas 10 solutions pour régler les problèmes d’électricité dans notre pays. Il faut investir suffisamment pour accroître significativement la puissance électrique installée et interconnecter l’ensemble des centres de production du pays.
Le problème ne se situe-t-il pas finalement dans la répartition faite des 220 milliards de FCFA de CA par an générés par l’unique opérateur du pays, quand on sait que celui-ci n’a en moyenne affecté “que” 27 milliards de FCFA en termes d’investissements contre 40 pour la masse salariale?
En 2020, le chiffre d’affaires du secteur électricité était précisément de 177,4 milliards FCFA selon la Direction générale de l’Economie. Quant à l’investissement, il était en baisse de 52% par rapport à l’année précédente à 23,6 milliards FCFA. Et en 2018, il n’était que de 9 milliards FCFA. Est-ce suffisant ? On voit bien que non. L’opportunité de réduire la masse salariale de la SEEG pour favoriser plus d’investissements peut être étudiée, tout comme l’ouverture du capital à un plus grand nombre de nationaux par appel public à l’épargne pour apporter de l’argent frais. C’est à l’Etat de définir sa stratégie et ses objectifs pour cette entité publique.
Dans la foulée, l’idée d’une libéralisation du secteur est de plus en plus évoquée, pensez-vous qu’elle peut être la solution à la problématique des coupures intempestives enregistrées depuis des années?
Quasiment tous les pays d’Afrique n’ont qu’un seul distributeur d’électricité. L’Égypte et le Nigeria qui en ont plusieurs font figure d’exception. Et pourtant, dans beaucoup de ces pays, la qualité de service est réputée meilleure que la nôtre. Ce n’est donc pas tant la concurrence le problème.
Les coupures intempestives résultent d’abord du faible niveau de production des barrages et centrales existants ainsi que des infrastructures vieillissantes. A cela s’ajoute le défaut d’interconnection entre certains grands pôles de production (les RIC) qui fait qu’en cas d’avarie d’une installation, un autre pôle fonctionnel ne peut prendre le relais. Ces problèmes structurels ne se règleront pas juste avec l’installation d’un nouveau distributeur. Il faut savoir, que le secteur électricité gabonais a été récemment libéralisé pour permettre à d’autres opérateurs de s’installer. En dépit de cela, les distributeurs d’électricité ne se bousculent pas pour venir capter notre marché national. Cela s’explique par le fait que les investissements à réaliser sont lourds, le marché étriqué et les marges faibles.
Il peut être tentant de comparer le secteur de l’énergie à celui de la téléphonie mobile ou de l’internet. Mais ces secteurs sont différents et n’obéissent pas aux mêmes logiques économiques. A ce jour, il y a environ 400 000 compteurs d’électricité au Gabon contre 3 millions d’abonnements mobile et 2,2 millions d’abonnements internet. Il s’agit de marchés différents. Les investissements requis pour assurer la production, le transport et la distribution d’électricité ne sont pas comparables avec ceux que nécessite la téléphonie mobile par exemple. Par ailleurs, les compagnies de téléphonie génèrent plusieurs dizaines de milliards de bénéfices annuels tandis que le résultat net de la SEEG n’est pas très élevé. Il était de 219 millions FCFA en 2018 et même négatif en 2017 (-72 milliards FCFA). La concurrence est toujours souhaitable, mais elle n’est pas toujours possible.