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L’absurde prolifération des partis politiques: un problème pour la démocratie

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Ce n’est pas parce que le problème est posé aujourd’hui par un acteur politique qui y aura lui-même contribué en créant Démocratie nouvelle (DN) il y a cinq ans, qu’il ne faut guère y prêter attention. Au contraire, la longue expérience de René Ndemezo’o Obiang donne à son propos une force interpellative qui incite à réfléchir sérieusement. Et Yannick Franck Igoho a eu le bon réflexe journalistique d’exposer succinctement au grand-public, dans les colonnes de L’Union du mardi 6 avril 2021, les principaux arguments mobilisés à cet effet par l’ancien Premier secrétaire de DN, dans sa déclaration du 3 avril portant essentiellement sur la fusion-absorption de ce parti avec le Parti Démocratique Gabonais (PDG). Pour lui, « la prolifération des formations et associations politiques, loin d’être un facteur de dynamisme de l’expression démocratique, semble plutôt un leurre ». D’où son appel à la formation salutaire des grands ensembles politiques. 

À l’analyse aussi bien des faits que de la doctrine, il est difficile de ne point partager cet avis. Mon propos ici consiste à montrer pourquoi et à esquisser une solution éventuelle, pour sortir démocratiquement de « l’absurde prolifération ». Je ne reviendrai pas avec force détails sur ce que j’avais déjà dit ici, le 21 juillet 2014, dans une tribune dont le titre seulement m’avait valu pour le moins blâmes et procès d’intention : « Faut-il supprimer les partis politiques ? ». J’avais pourtant précautionneusement souligné, dès l’entame de mon propos, la nécessité indiscutable de respecter les disposions constitutionnelles et légales garantissant le caractère pluraliste de la République. Je posais ensuite le problème de l’inutilité fonctionnelle de la plupart des partis politiques parmi la soixantaine que comptait alors notre pays. Six ans plus tard, il n’est pas sûr que la situation ait évolué, tant il se crée chaque année ou presque, sans que l’on sache s’ils jouent véritablement leur rôle. 

A l’exception notable d’une poignée ayant réussi à intégrer les Assemblées politiques électives, à savoir Démocratie nouvelle (29 avril 2016),  Le Rassemblement Héritage et Modernité (1er mai 2016), Les Démocrates (11 mars 2017), et deux de ceux nés spontanément dans l’effervescence des élections législatives et locales d’octobre 2018, la plupart des nouveaux venus dans le paysage politique gabonais semblent s’accommoder d’une existence qui les confine à la clandestinité volontaire, rejoignant dès leur naissance la galaxie de ces partis politiques qui ne sont ni un repère pour les électeurs ni un laboratoire d’idées ou une référence idéologique, encore moins une force de mobilisation. 

En effet, si l’on convient avec Max Weber pour considérer que les partis politiques sont « les enfants de la démocratie [et] du suffrage universel », c’est bien parce qu’on en attend, encore davantage aujourd’hui qu’hier – malgré le déficit de confiance dont ils peuvent faire l’objet ici et là –, des efforts pour satisfaire répondre à leur objet social, qui peut se résumer dans ce triptyque : concourir véritablement à l’expression du suffrage, participer réellement à la formation de l’opinion publique et contribuer à l’animation de la vie politique (Cf. J. Hummel (dir.), Les partis politiques et l’ordre constitutionnel. Histoire(s) et théorie(s) comparées, Paris, Mare & Martin, 2018). Pour y parvenir, il faut qu’ils soient, de mon point de vue, en nombre restreint, du moins les plus significatifs. Ainsi qu’on peut l’observer dans les deux pays où ils ont vu le jour et contribué au développement de la démocratie,  c’est-à-dire l’Angleterre et les Etats-Unis d’Amérique, où essentiellement deux partis, malgré l’existence de plusieurs autres,  structurent réellement l’offre politique. De la sorte, l’espace public est préservé de son principal danger qu’est la cacophonie, au sens de l’étymologie française où elle signifie une polyphonie ratée. 

On peut supposer que le philosophe français Paul Ricœur avait certainement à l’esprit l’expérience de ces deux pays lorsque, en 1958, il soulignait l’urgence, en France, de s’atteler à une réforme qui eût conduit notamment à en diminuer drastiquement le nombre : « Sans doute deux partis suffiraient, à condition qu’ils intègrent beaucoup de contradictions, résolues dans des formules concrètes de gouvernement, et qu’ils entretiennent en leur sein une discussion permanente et libre. C’est la condition essentielle d’une restauration de l’opinion publique » (P. Ricœur, Politique, économie et société. Ecrits et conférences, IV, Paris, Seuil, 2019, p.30).  Nul besoin de préciser que la France tentait à cette époque, sous la férule du Général Charles de Gaulle, de sortir du « régime des partis » qui, sous la IVe République, exposait les institutions politiques, en particulier le Gouvernement, à une instabilité quasi-permanente.

Si, pour Paul Ricœur, la fécondité du débat public avait pour corolaire la réduction significative du nombre de partis politiques, c’est qu’il y voyait des instruments politiques « pour faire discuter les citoyens, pour former et formuler l’opinion ». D’où la nécessité aussi bien politique qu’éthique de sortir – et c’est à lui que je dois l’expression – de « l’absurde prolifération ». Il suffit de se référer simplement au nombre de partis et formations politiques enregistrés officiellement chez nous, comme dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, pour comprendre qu’il n’y a pas d’alternative crédible à cette sortie : c’est une entreprise de salut public.  Par exemple, à la date du 15 juillet 2015, la République centrafricaine en comptait 65 et 21 en cours de reconnaissance ; dans un passé relativement récent, on dénombrait 120 en Guinée-Conakry, 180 au Mali, 300 au Cameroun, 447 en République démocratique du Congo, etc. Reste la question essentielle : que faire ?

D’abord une double tentation à éviter absolument : i.-) d’une part, celle de l’un, qui s’apparenterait à un grand pas en avant dans le passé, ce qui n’est guère d’actualité chez nous et presque nulle part ailleurs ; ii.-) d’autre part,  celle du recours à la solution politico-bureaucratique, qui ferait tout reposer sur les compétences supposées en la matière de quelques experts en légistique, souvent convaincus d’avoir pour eux le sens de l’histoire.

Ensuite la proposition de confier au peuple des électeurs, la décision de déterminer le multiple raisonnable. Ce qui signifie concrètement que, pour ce qui est de notre pays, on peut saisir l’occasion des prochaines élections législatives et locales prévues courant 2023 pour que les partis qui réussiront à faire élire au moins un élu dans l’une des Assemblées politiques à renouveler, c’est-à-dire à avoir au moins un député ou un conseiller municipal ou départemental, bénéficient d’un renouvellement automatique de leur reconnaissance légale. Quant aux autres, obligation leur serait faite, comme l’exigeaient les dispositions légales et réglementaires initiales en la matière, de fournir dans leur dossier de demande de reconnaissance, la preuve certaine de compter au moins trois mille adhérents repartis dans au moins cinq des neuf des provinces de notre pays, à raison d’au moins cinq cent par province.

Ceux qui suivent attentivement l’évolution politique de notre pays auront constaté qu’il s’agirait en fait de revenir à la solution qui avait prévalu au surlendemain de la Conférence nationale d’avril-mai 1990 pour mettre un peu d’ordre parmi la soixantaine d’associations à caractère politique issue desdites assises. Seuls les neuf (9) partis représentés alors à l’Assemblée nationale, issue des législatives de 1990, bénéficièrent automatiquement d’une reconnaissance légale, selon les termes de l’article 35 de la Loi n°04/91 portant charte des partis politiques en République Gabonaise, adoptée à l’unanimité des 114 députés présents à la plénière du 14 mars 1991, à l’instar de la Constitution, toujours en vigueur, du 26 mars 1991. Il s’agissait de : Parti Démocratique Gabonais (PDG), Rassemblement National des Bûcherons (RNB), Parti Gabonais du Progrès (PGP), Parti Socialiste Gabonais (PSG), Union Socialiste Gabonaise (USG), Association pour le Socialisme au Gabon (APSG), Parti Social Démocrate (PSD), Union pour la Démocratie et le Développement (UDD) et Mouvement de Redressement National (MORENA).   

C’était, me semble-t-il, le moyen le plus démocratique de sortir de « l’absurde prolifération » à cette époque. Y recourir demain, au lendemain des élections législatives et locales de 2023, ne poserait aucun problème, du moins pour ceux qui ont le souci de l’émergence dans notre pays d’un « espace public gouverné par la raison ».

Flavien ENONGOUE

Maître-Assistant de philosophie politique 

à l’Université Omar Bongo (UOB)

Trubune parue initialement dans L’Union du vendredi 9 mars 2021

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