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Gabon nouveau : de la nécessité de rassembler et non de diviser

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Le petit matin du 30 août 2023 restera à jamais gravé dans la mémoire de nombreux Gabonais, témoins d’un événement aussi bien inédit qu’historique. 

Le refus d’un putsch électoral qui allait indubitablement occasionner de nombreuses violences avec des pertes considérables en vies humaines, a poussé les militaires à poser une action hautement patriotique, renverser le régime en place et imposer une transition. Sans heurt, sans effusion de sang, sans bavure, le fait est suffisamment rare pour être souligné mais aussi pour apprécier la bravoure et le patriotisme de nos soldats. 

Après les scènes d’explosion de joie, une priorité s’impose :  la reconstruction de notre pays. Si nous sommes tous conscients du retard très considérable enregistré par le Gabon dans de nombreux domaines, soyons tout aussi conscients combien la tâche est immense. Il est par ailleurs, crucial de repenser notre vivre ensemble et notre cohésion nationale en commençant par bannir les discours de haine et d’exclusion, en travaillant à rassembler tous les gabonais derrière un seul et même objectif : « donner à tous, des raisons d’espérer une vie meilleure. » 

L’union fait la force

Notre unité nationale autrefois mise à mal devrait retrouver toute la force de sa signification initiale, à savoir être inclusive et fédératrice. Ce préalable, et non des moindres, est une condition sine qua non pour atteindre les objectifs nobles et salués par tous, énoncés par les nouvelles autorités, à savoir les membres du Comité de Transition Pour la Restauration des Institutions (CTRI). 

C’est pourquoi, il apparait important à ce moment charnière de notre histoire d’interpeller en premier lieu, nos nouvelles autorités, mais aussi de sensibiliser l’ensemble des compatriotes sur la nécessité de rassembler et non de diviser les Gabonais. Nous pouvons rêver à nouveau d’un grand Gabon, aimé et respecté par tous, comme il en était autrefois. L’«Opération Dignité » comme son nom l’indique initiée par le CTRI vient à point nommé pour redonner espoir et fierté à notre pays et à notre peuple. 

Finie l’époque où n’importe quel individu venu d’on ne sait où, simplement en raison des liens privilégiés entretenus avec certains hiérarques de l’ancien régime, pouvait fouler au pied nos droits à tout moment. Combien de cas de spoliations de propriétés ont été relayés dans les médias. On ne compte pas les cas d’abus de pouvoir et d’intimidations subis par les travailleurs de plus en plus précarisés par des entrepreneurs véreux dont la seule attache avec le Gabon était financière. On a encore en mémoire, la nomination d’un haut responsable à la tête d’une entreprise publique qui avait choqué même au-delà de nos frontières. 

Tout cela est encore frais dans notre mémoire collective et le traumatisme bien présent. Tous les compatriotes s’accordent à dire, plus jamais un Gabonais ne devrait être maltraité sur ses terres. C’est cela même le sens de l’adhésion populaire à « l’Opération Dignité ».

D’un autre côté, on ne peut nier que les évènements récents dont nous avons tous été témoins impuissants ont jeté le doute et le discrédit sur une certaine catégorie de compatriotes ayant des origines étrangères. Mais pas seulement eux. Il y a donc lieu de rappeler la sagesse ancestrale qui dit qu’« on ne jette pas le bébé avec l’eau du bain ».  

Attention à la gabonité

Les propos haineux et xénophobes relayés sur les réseaux sociaux ces jours-ci retiennent particulièrement notre attention. Compte tenu des nombreux enjeux, notamment la reconstruction du Gabon, il parait opportun de tirer la sonnette d’alarme. 

Dans tous les pays du monde, et le Gabon ne sera pas une exception, il y a des fonctions, des zones, des domaines de souveraineté nationale. Cette règle est appliquée partout pour préserver un nécessaire équilibre géostratégique et géopolitique. 

D’un autre côté, il nous faut aussi tenir compte de ce que nous sommes au regard de notre diversité qui fait notre spécificité, notre beauté et même notre force. C’est pourquoi, Indépendamment de l’effervescence du moment, il faut en toute chose, savoir rester juste, raisonnable et ne surtout pas basculer dans ce qui pourrait s’apparenter à « la gabonité ». 

Rappelons qu’il y a eu l’ivoirité en Côte d’Ivoire dans les années 1990, et plus récemment la congolité en République Démocratique du Congo, sans oublier l’exemple extrême du génocide rwandais. Des concepts idéologiques qui paraissent inoffensifs mais dont les conséquences catastrophiques ne peuvent nous laisser insensibles. 

Au regard de ces malheureuses expériences, la sagesse voudrait que les propos haineux, divisionnistes, sectaires ou ethnicistes ne prospèrent pas dans le Gabon nouveau que nous appelons de nos vœux et que nous tentons de construire ensemble. Au risque de créer l’effet inverse. 

Les discours de haine incitent à la violence. Ils mettent à mal la cohésion nationale et la tolérance qu’on devrait avoir les uns vis-à-vis des autres. Surtout aujourd’hui avec les réseaux sociaux et la viralité qui leur sont propres. Les effets nocifs et dévastateurs de la haine y sont en effet amplifiés, au point que même les personnes adultes ne prennent pas toujours le recul attendu face aux informations qui y sont véhiculées. 

Disons-le franchement, les discours haineux sont très dangereux et menacent la paix. D’où la pertinence du passage du discours d’investiture du Président de la Transition, le Général Brice Clotaire OLIGUI NGUEMA où il déclare : « Je souligne par ailleurs que le Gabon est un pays indivisible, dans la diversité de ses cultures, sa complexité ethnique et sa géographie. L’unité de notre peuple doit toujours être la condition essentielle pour l’exercice de nos libertés fondamentales. J’y veillerai personnellement durant toute la période de transition. »

Il faut donc rapidement recadrer ceux qui se rendent coupables de tels discours. 

Ainsi donc, au-delà des torts causés par certains individus, aujourd’hui mis hors d’état de nuire, refusons la discrimination, la xénophobie, et la stigmatisation. Tout autant, ne tolérons plus le népotisme, la concussion, la corruption, le favoritisme, la mauvaise gouvernance, et la gabegie financière dans notre pays.

Pays d’immigration et d’émigration

Un classement de la Banque Mondiale publié sur le site internet de cette institution de Bretton Woods classe le Gabon comme un pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure. Cela veut dire que le Gabon est tout sauf un pays pauvre, même si force est de constater que la grande majorité de la population vit dans la pauvreté. Pays de paix, le Gabon reste une exception en Afrique centrale qui abrite de nombreuses zones de conflits armés.

Depuis l’avènement des Indépendances, l’exploitation des nombreuses ressources naturelles a suscité un besoin important de main d’œuvre extérieure. Aussi, des vagues de travailleurs, particulièrement originaires de l’Afrique de l’ouest, sont venus apporter la force de travail dont le Gabon avait besoin. Depuis des décennies, des milliers de familles se sont ainsi installées au fur et à mesure sur l’ensemble du territoire. Il est vrai que la première génération de cette main d’œuvre étrangère se contentait pour la plupart d’occuper des métiers dont les gabonais ne voulaient pas comme par exemple, chauffeurs de taxis, femmes de ménage, agents de sécurité, bref des petits métiers. Il est tout aussi vrai que ces travailleurs ont, au fil du temps, tissé des liens forts avec leur terre d’accueil et y ont fondé des familles. 

D’après les textes de loi en vigueur, les enfants nés de ces foyers de travailleurs immigrés, et qui ont grandi sur le territoire gabonais peuvent prétendre légitimement à la nationalité gabonaise.  Ils vont dans les mêmes écoles que les enfants gabonais et ont même bénéficié de l’accompagnement de l’Etat Gabonais en ce qui concerne les bourses d’études et autres soutiens au même titre que tous les autres.

Pour aller plus loin, en juin 2005, le Chef de l’Etat, feu Omar BONGO ONDIMBA avait reconnu les Haoussas comme communauté à part entière au Gabon.  Ce peuple arrivé au Gabon depuis le 19 e siècle en provenance du Tchad, du Niger, du Nigeria en passant par le Cameroun participe activement dans tous les domaines de la société gabonaise. Leur intégration est évidente et cette reconnaissance était venue régler ce qui paraissait alors comme une injustice. Même si d’aucuns y avaient vu une manœuvre politique pour s’attirer des voix non négligeables à l’approche de l’élection présidentielle de l’époque.

Ces trois dernières décennies au moins, des milliers d’étudiants gabonais ont quitté le pays au motif officiel des études supérieures pour aller s’installer à l’étranger. Hasard ou ironie du sort, souvent dans ces mêmes pays d’où viennent pour la plupart nos travailleurs immigrés, en l’occurrence, le Sénégal, le Burkina Faso, le Mali, le Benin, le Togo pour ne citer que ceux-là. Inexorablement, plusieurs y ont fondé des familles et tissé des liens multiples. Un jour peut-être, ou un jour certain, ces personnes issues de cette deuxième génération seront amenées à rentrer dans le pays d’origine d’au moins un de leurs parents. Quel accueil réservera-t-on à cette catégorie de compatriotes ?

Enfin pour conclure, on ne peut minimiser ou balayer d’un revers de la main, les stigmates laissés par près de soixante ans d’un règne dynastique qui sont encore bien présents et mettront certainement tout aussi longtemps si ce n’est plus à disparaître. Il y a eu des mauvais choix de castings en ce qui concerne les sœurs et frères d’origine étrangère. Mais les mêmes reproches pourraient se faire aussi concernant le choix d’autres compatriotes. 

Face aux défis de l’heure, les injustices sociales, les chiffres vertigineux du chômage des jeunes, la vie chère, et la mauvaise gouvernance, sont les maux à combattre qui doivent mobiliser en priorité notre énergie et notre fibre patriotique. Et pour relever ce pari, la consolidation de la cohésion nationale est un impératif non négociable. 

Gabon, pays de paix un jour, pays de paix pour toujours. Vive le Gabon nouveau, fort de son unité et sa diversité. Ensemble, c’est possible.

 Extraits du discours d’investiture du Président de la Transition, le 4 septembre 2023

Melissa BENDOME, Communicatrice politique et publique, Coordinatrice Régionale du Réseau des Femmes des Presses Pour la Paix et la Sécurité en Afrique Centrale (FEPPSAC) Expert Paix et Sécurité et Expert en Observation Électorale Internationale

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