Développement local : et si les entreprises n’en avaient rien à faire ?
Le Forum national sur la RSE, qui s’est tenu à Libreville du 27 au 29 juin 2024, a permis, entre autres, de révéler que seules 16% des entreprises disposent d’une politique RSE. Autrement dit, 84% des entreprises exerçant au Gabon ne participent pas au développement des communautés locales et n’ont pas de stratégie de redistribution de leurs revenus. Il est surprenant qu’un chiffre aussi scandaleux soit presque passé inaperçu.
Pour commencer, RSE signifie “Responsabilité Sociétale (ou Sociale) de l’Entreprise”. Il s’agit de l’ensemble des actions mises en œuvre par une entreprise afin de participer au développement socio-économique de la communauté au sein de laquelle elle est implantée.
Cela suppose que toute entreprise est censée contribuer, de diverses manières, à l’éclosion du milieu dans lequel elle exerce et au bien-être des populations environnantes. Par exemple, par le financement d’activités socio-culturelles et éducatives, la construction d’infrastructures et autres projets communautaires.
C’est un devoir éthique et moral, pour toutes les entreprises. Pourtant, au Gabon, très rares sont les entreprises que cela intéresse, comme on a pu le constater. Le cas des entreprises étrangères qui donnent le sentiment qu’elles ne sont là que pour se goinfrer. Le développement local ne les intéressant pas du tout.
Personnellement, j’ai été choqué la première fois que je suis arrivé à Port-Gentil et j’ai découvert les sièges sociaux des entreprises milliardaires qui y exercent. Pour bon nombre d’entre elles, ce sont des bâtiments minuscules, voire de petites villas sans envergure. Pourtant, le chiffre d’affaires de ces multinationales s’évalue en centaines de milliards. Comment a-t-on pu permettre cela ? Les sièges des entreprises contribuent significativement au développement infrastructurel des villes ! Comment peut-on permettre qu’une entreprise pétrolière ou minière reste locataire pendant des décennies ?
La question avait d’ailleurs été évoquée par le président de la Transition en mars dernier, quand il a instruit un opérateur téléphonique, multinational, de se doter d’un siège social digne de ce nom à Libreville, lors de sa rencontre avec le PDG du groupe.
On devrait avoir des écoles, des lycées, des bibliothèques, des stades, des fondations, des compétitions, des prix et autres projets communautaires qui portent les noms des grandes entreprises exerçant dans notre pays ! Pourtant, silence radio.
Les rares pratiques de RSE sont souvent perçues comme une réponse aux pressions internationales et gouvernementales, ou un moyen d’améliorer l’image de l’entreprise, plutôt que comme un engagement authentique envers le développement communautaire.
Est-il besoin de rappeler qu’une entreprise qui investit dans des pratiques de RSE construit un climat de confiance avec ses parties prenantes, y compris les employés, les clients, les communautés locales, et les autorités gouvernementales. Cela peut renforcer la stabilité sociale et économique, créant ainsi un environnement propice aux affaires et aux investissements.
Lors du Forum national sur la RSE, les autorités elles-mêmes ont reconnu que si l’implication des entreprises est aussi faible, c’est également parce que la loi n’est pas contraignante. Autrement dit, les entreprises ne font que ce qu’on leur dit et permet de faire.
Du fait, la RSE reste souvent mal comprise, notamment au sein des PME. Beaucoup d’entrepreneurs considèrent encore la RSE comme un coût supplémentaire plutôt que comme un investissement à long terme. L’enquête sur la RSE au Gabon, réalisée en 2022 par le Centre International de Recherche Économie et Gestion pour le Développement (CIREGED), a permis d’effectuer un état des lieux éclairé. Elle révèle que 53% disent ne pas connaître ce qu’est la RSE, quand 66% des entreprises admettent qu’elles ne participent pas du tout au développement local. Combien d’associations peuvent se targuer d’avoir bénéficié du soutien significatif d’une entreprise ? En tant que porteur de projets associatifs, je puis vous confirmer que ce n’est pas une sinécure.
J’aimerais insister sur les entreprises multinationales pour deux raisons :
En premier lieu, elles ne peuvent pas prétexter ne pas connaître ce qu’est la RSE. C’est simplement qu’elles ne font rien, ou presque, tant qu’elles n’y ont pas été contraintes. D’ailleurs, l’enquête du CIREGED souligne que l’implémentation de la RSE se heurte à une réglementation insuffisante (pour 40,1% des entreprises) ou inadaptée (pour 13,6%).
En second lieu, comparé à la taille du marché Gabonais, ces entreprises, pour la plupart, et pour ne pas les citer, réalisent souvent au Gabon leurs meilleurs chiffres d’affaires (grâce aux prix scandaleusement élevés qu’elles appliquent ici et les faibles investissements qu’elles opèrent). Il y a des banques qui réalisent en permanence des bénéfices records au Gabon, mais gardent un nombre d’agences ridiculement faible, quasiment toutes concentrées à Libreville.
Le cas des entreprises forestières est le plus flagrant. Il y a un village à Makokou où deux entreprises forestières chinoises sont installées, depuis une vingtaine d’années. J’y suis retourné au bout d’un peu plus de 10 ans, aucune œuvre communautaire n’est à mettre à leur crédit. Une seule fois, l’une de ces entreprises a mené une action : elle a distribué une centaine de planchettes et dix feuilles de tôles à chaque famille du village. C’était il y a 15 ans environ. Depuis lors, rien.
Pareil quand je suis arrivé à Mayumba, on croirait difficilement que du pétrole est extrait au large des côtes de cette ville qui a un potentiel touristique extraordinaire !
Là encore, cet état de fait est favorisé par l’inaction des communautés et collectivités locales. Il y a des choses qui ne dépendent pas que de l’Exécutif ou du gouvernement mais aussi et surtout des populations concernées. Les nôtres sont souvent incapables de s’organiser, de rédiger un cahier de charge RSE et de le soumettre aux entreprises implantées chez elles. Même quand c’est fait, les ententes égoïstes de certaines personnalités locales avec les entreprises prennent le pas sur l’intérêt collectif.
Bref !
Pour que la RSE devienne un véritable facteur de développement, il est nécessaire d’améliorer la compréhension et l’application de ses principes, d’établir des cadres de suivi rigoureux, et d’encourager une plus grande collaboration entre le secteur privé, le gouvernement, et la société civile. C’est possible.
Stevy “OPONG” ABATOUNGA
- CEO at Studios ENIGMA
GMT TV