Maintien de l’État d’urgence sanitaire : l’histoire sans fin?
Annoncé à l’issue du conseil des ministres tenu le mercredi 7 avril dernier, le prolongement de 45 jours de plus, soit jusqu’en fin mai, de l’état d’urgence sanitaire, sera effectif. De quelque manière que l’on tourne les choses, l’état d’urgence, c’est la mise en suspension de l’État de droit. Depuis le début de cette crise, le gouvernement n’en finit plus de vider les mots et ses actions de leur sens. À tel point que les Gabonais ont depuis longtemps perdu patience.
Déclaré pour faire face à la pandémie de Covid-19, qui mettait en péril la santé de la population, le régime d’état d’urgence sanitaire est une mesure exceptionnelle que les Gabonais n’ont pas rechigné à admettre initialement. Sauf que, désormais, ils sont peu nombreux à être convaincus par les données sanitaires sur lesquelles s’appuie le prolongement de ce régime exceptionnel. Pour les populations, les mesures de prévention, de lutte et de riposte contre la Covid-19, au lieu d’être proportionnées aux risques encourus, constituent un goulot d’étranglement.
L’État de droit « mis en quarantaine » ? Restriction ou interdiction de circuler des personnes et des véhicules, confinement, fermeture des établissements et lieux recevant du public, limitation ou interdiction des rassemblements et réunions sont autant de mesures qui malmènent les libertés et droits fondamentaux des Gabonais et qu’ils vivent difficilement.
En approuvant, sans mots dire ni nuancés, la prorogation des mesures sanitaires de prévention, de lutte et de riposte contre la Covid-19, le Parlement gabonais assène un nouveau coup de canif à notre État de droit. Car, au-delà des conséquences économiques et sociales que nous avons déjà relevées ici, ce qui interpelle, c’est le caractère excessif de la capacité du gouvernement à prendre seul toutes les dispositions ayant pour finalité de porter gravement atteinte à nos libertés fondamentales.
Si nécessité fait loi, les mesures adoptées doivent toutefois demeurer strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances, de temps et de lieu. Par nature temporaire, l’état d’urgence n’a pas vocation à être pérennisé comme c’est le cas actuellement. C’est un procédé de gouvernement et de gestion, pour permettre aux gouvernants de faire face au danger ou à l’urgence du moment.
Vers une urgence sanitaire sans fin et sans contrôle ? Depuis un an, nous voyons nos libertés contraintes pour cause de crise sanitaire et cela risque de continuer encore pendant des mois sans que le Parlement n’ait vraiment son mot à dire. Ce manque de concertation actuel et à venir apparaît excessif, d’autant qu’il existe d’autres voies plus démocratiques et moins coercitives pour faire adopter et respecter ces mesures sanitaires.
En effet, si l’on étudie ce qui se passe dans d’autres pays, nous conviendrons qu’il est possible d’encadrer plus étroitement le pouvoir du gouvernement en matière de restrictions sanitaires. À ce jour, le Gabon est l’un des rares pays au monde à imposer des mesures aussi restrictives sur toute l’étendue de son territoire sans distinguer ou tenir compte de données objectives concernant les cas de contaminations (en fonction de la densité de peuplement, des espaces ruraux ou urbains, ou sur critères géographiques).
Dans tous les cas, si le gouvernement prenait des mesures sanitaires différenciées par provinces ou départements, en phase avec l’évolution épidémiologique réelle, son acceptabilité serait renforcée auprès de la population pour susciter son adhésion.
Quid du rôle du Parlement ? Malheureusement, notre Parlement semble avoir perdu la main et abandonner son rôle dans le contrôle de l’action du gouvernement. Aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, on se limite à acter la volonté du gouvernement qui n’hésite pas à imposer son agenda. Nous devons sortir de cette logique purement autocratique et créer un cadre de restrictions sanitaires le moins contraignant possible pour nos compatriotes et notre économie et qui permettent aux pouvoirs locaux de renforcer les mesures si besoin, comme d’autres pays ont pu le faire.
Aujourd’hui, les données sanitaires fournies au Parlement relèvent strictement de la bonne volonté du gouvernement. Il nous faut sans doute aller plus loin. Pour respecter le nécessaire équilibre, que réclament légitimement les Gabonais dans les mesures sanitaires, la prorogation de l’état d’urgence devrait être accordée par le Parlement avec des études d’impact au niveau sanitaire et social régulièrement réactualisées. De même, chaque dispositif à proroger, devrait faire l’objet d’une évaluation particulière et approfondie qui doit être fournie au Parlement. C’est à ce prix que nous gagnerons la guerre collective contre la pandémie.
Gregue Nguele, Editorialiste