Décès du Dr. Hervé Moutsinga: une grande figure nous a quittés
Je suis profondément bouleversé par le décès, le 2 février dernier, du Dr Hervé Moutsinga, que nous appelions affectueusement, dans le microcosme nynois, Ya Tsingue. Doyen des juges constitutionnels, plusieurs fois ministre, une relation quasi filiale à mon égard, qui doit sûrement en surprendre plus d’un, me liait ces dernières années à ce médecin gynécologue émérite, grand serviteur de l’Etat, respecté pour ses convictions et sa détermination. Entre lui et moi, il faut le dire, les choses ne furent pas faciles au début. Et pour cause, encore une fois, la fameuse émission culte de la télévision gabonaise d’alors les « Dossiers de la RTG ».
Cette année 1988, en effet, est marquée par le scandale des déchets toxiques, qui fait la une de la presse internationale et provoque des débats houleux dans les institutions supranationales. Le monde entier suit avec désarroi et indignation l’odyssée du cargo Zanoobia battant pavillon syrien, errant, tel un bateau fantôme décati, d’un port à l’autre des côtes africaines de l’océan Indien, avec dans ses cales et sur le pont des fûts toxiques et des marins désespérément très mal en point. Les industries polluantes du Nord, dans un accord lucratif qui en fait saliver plus d’un, ont décidé de transformer le Sud, singulièrement les pays africains, en une vaste poubelle de leurs déchets toxiques. Au mépris de la santé des populations et de ravages destructeurs sur l’environnement.
L’éminent juriste gabonais, le Pr Guillaume Pambou Tchivounda, agrégé des facultés de droit, est contraint, au vu de la gravité des événements, de signer une tribune dans le prestigieux « Annuaire français de droit international », pour dénoncer le cynisme de ceux qui ont décidé de transformer le tiers-monde en pays-poubelles des « déchets de la mort ». Au nombre des pays africains régulièrement cités le nom du Gabon n’apparaît nulle part. Toutefois au niveau national la rumeur a envahi la rue, les mapannes et les salons feutrés de la capitale gabonaise, amplifiée par le mutisme des sources officielles autorisées.
Il se raconte que des « influenceurs » de la galaxie présidentielle du moment, auraient réussi, malgré ses réticences, à convaincre le chef de l’Etat Omar Bongo, que notre pays devait prendre un peu de ces déchets toxiques, prétextant que l’argent issu du marché suffirait à « rembourser la dette extérieure » du Gabon et à être quitte avec les clubs de Paris et de Londres. Comme à son habitude, lorsqu’il n’est pas convaincu du bien-fondé d’une décision, le Patron se plie aux conseils de ses collaborateurs, mais crée en aval les conditions pour que le projet n’aboutisse pas. L’Assemblée nationale qui aurait été saisie d’un projet de loi sur ce dossier controversé est vent debout. Il faut absolument se débarrasser définitivement de cette patate chaude. Les « Dossiers de la RTG » qui ont fortuitement lieu au même moment sont une aubaine.
Ministre chargé de l’Environnement, le Dr Hervé Moutsinga est « sacrifié » sur l’autel de la solidarité gouvernementale. C’est à lui d’essuyer les plâtres. Lorsque son tour arrive de passer aux « Dossiers de la RTG », les questions des journalistes fusent, brutales, incisives. Koumba Moulakou déclenche le premier les hostilités. Suivi comme des abeilles agressives par Jean-Baptiste Obame Emane, Albertine Koumba (paix à son âme), Monique Oyane, Vincent Mavoungou Bouyou dit Django, etc. John Joseph Mbourou, notre doyen, en charge de diriger l’émission, a du mal à discipliner ses jeunes confrères. Le Dr Hervé Moutsinga est d’un calme olympien. Ses réponses sont marquées par la sagesse et le don de soi.
Dans ce jeu de (mauvais) rôle, il me revient la responsabilité de porter l’estocade. Je lui pose la question de savoir si lui, l’esprit brillant, homme de sciences, des lettres et de culture, n’a pas le sentiment d’avoir, à travers ce dossier clivant, perpétré un « coup d’Etat intellectuel » contre la personne du chef de l’Etat. Une sortie qui va amener l’hôte de la soirée à s’exprimer dans son patois maternel, un monologue inédit enrichi d’un proverbe puisé au plus profond de la cosmogonie punu. Lui qui maniait avec aisance et élégance la langue de Molière. Ce fut un grand moment de télévision. Il m’en voudra personnellement plusieurs années durant, malgré mes tentatives désespérées de me faire pardonner.
Mais l’heure du pardon finira par arriver. Le hasard fait parfois bien les choses, dit un vieil adage. En séjour à Tchibanga, je décide un soir d’aller saluer le Vieux Barthélémy Boussougou, un notable très respecté de la province, qui nous a hélas quittés il y a un peu plus d’un an de cela. Je trouve Ya Tsingue sur place. Une longue amitié lie les deux hommes depuis la célèbre école primaire catholique de la mission Notre-Dame du Mont-Carmel de Mourindi. Barthélémy Boussougou, plus âgé, avait pris sous son aile protectrice le jeune Hervé Moutsinga. Profitant de l’occasion le sage Bartélémy Boussougou usera de tout son entregent pour convaincre son ami et frère, Hervé Moutsinga, de tourner la page des « Dossiers de la RTG » et de pardonner le fils que j’étais pour les deux. Ce qui fut fait.
Le Dr Hervé Moutsinga était devenu pour moi le père que je n’avais plus. Toujours de bon conseil, je garde de lui le souvenir d’un grand Monsieur dont j’ai apprécié l’éthique, la noblesse, l’honnêteté, la réelle profondeur de ses réflexions et aussi son côté épicurien. Un homme fidèle, entier, qui ne transigeait pas avec ses valeurs. La Cour constitutionnelle, avec au premier rang sa présidente Mme Marie Madeleine Mborantsouo, perd l’un de ses illustres serviteurs. Le défunt en était devenu le doyen et la mémoire jusqu’aux dernières heures de sa vie. Le Gabon et la Nyanga perdent une grande figure du courant de la modération, une sorte de boussole qui militait sans cesse pour des compromis apaisants jusqu’à son dernier souffle.
Dans ces moments de profonde tristesse je pense également à son épouse Monique, qu’il appelait tendrement « Momo », à ses enfants, sa grande famille de Mougoutsi, à ses proches. Le Dr Hervé Moutsinga nous laisse en héritage la force de son engagement et de la fidélité en politique. Il va nous manquer.
Germain Ngoyo Moussavou
Journaliste en chef