Montée de la xénophobie et du régionalisme : le CTRI en pyromane pompier ?
Et si le Comité pour la transition et la restauration des institutions avait lui-même fabriqué « le venin mortel du régionalisme, de l’ethnocentrisme et de la xénophobie » ? C’est la question que se posent aujourd’hui bon nombre de compatriotes, qui ont suivi avec effroi la sortie récente de son porte-parole, le Colonel Ulrich Manfoumbi Manfoumbi, appelant les officiers de police judiciaire à une surveillance renforcée des médias et des réseaux sociaux, sans que soit interrogée la part de responsabilité qui incombe aux autorités actuelles, qui ont délibérément ouvert les vannes d’un déchaînement de passions, en fabriquant artificiellement un débat sur la bi-nationalité et autres recommandations tendant à stigmatiser une partie des personnes vivant sur le territoire national.
Si dans un article intitulé « Dialogue national : quand des commissaires sans légitimité fabriquent des Gabonais de seconde zone » rendu public par Gabon Media Time le 6 mai dernier, nous alertions les autorités de la Transition sur les conséquences des mesures susceptibles de déchaîner au sein de l’opinion des passions mortifères de la haine, de l’exclusion et du repli identitaire, le communiqué numéro 062 du CTRI relatif à la montée du régionalisme et de la xénophobie au Gabon, rendu public le 28 juin dernier, semble tragiquement étayer cette thèse. Si dans un tel contexte, l’heure devrait être au questionnement, en vue de trouver des solutions efficaces, le CTRI semble avoir opté pour une surenchère sécuritaire, au risque là encore d’ouvrir un nouveau front, celui de l’entrave aux libertés publiques et de la presse, longtemps muselées par le pouvoir déchu.
Le monstre de la xénophobie et du régionalisme fabriqué de toutes pièces ?
Alors que le venin de la xénophobie planait déjà sur le pays du fait des injustices sociales alimentées par le régime déchu, les autorités de la transition, dans leur volonté de « restaurer la dignité des Gabonais », ont semble-t-il ouvert les vannes cette fois d’une xénophobie et d’un régionalisme décomplexés. En effet, en versant dans le débat public des thèmes tendant à la binarité entre les Gabonais d’origine et les bi-nationaux, sans jamais les encadrer, ils ont certainement contribué à galvaniser les passions de certains, qui ont pu penser qu’ils bénéficiaient d’une caution implicite de l’Etat. Par ailleurs, le choix assumé des commissaires au Dialogue national, de faire payer à une partie de compatriotes bi-nationaux, les errements d’une poignée de privilégiés qui ont mis le pays en coupe réglée, non pas parce qu’ils étaient originaires d’un autre pays, mais par cupidité et amour pour la facilité, a certainement servi de marchepied à cette violence dénoncée par le CTRI. Il en est de même pour l’interdiction du port du voile intégral, sous prétexte de problèmes sécuritaires imaginaires, dont la conséquence pourrait être de mettre une cible sur le dos de compatriotes de confession musulmane, dénote d’une gouvernance populiste, susceptible de créer un terreau favorable à la stigmatisation.
D’ailleurs, certains décideurs politiques, à l’instar de la ministre de la Réforme des institutions, Murielle Minkoue Mintsa, n’hésitent pas à assumer publiquement certaines mesures discriminatoires, quitte à se compromettre en prenant pour modèle de référence un parti politique français dont le passé historique est ouvertement raciste et antisémite. Un positionnement susceptible là aussi de donner du grain à moudre aux porteurs de discours de haine. À cela, il faut ajouter les frustrations créées par le gouvernement et le CTRI chez des milliers de compatriotes frappés par le chômage, qui ont vu défiler une pléthore de nominations aux relents tribalistes. À ce propos, le choix du CTRI de nommer des juges constitutionnels sur des critères régionalistes, puisqu’à chaque province correspondait un poste au sein de l’institution, et ce, dans les premiers jours de la prise du pouvoir, n’a-t-il pas ouvert le bal de ce phénomène ? La question a le mérite d’être posée.
Le risque d’un musellement de la presse
Si comme l’a indiqué Murielle Minkoue Mintsa lors de sa Conférence de presse du vendredi 28 juin, le traumatisme subi par les Gabonais sous le régime déchu nécessite de prendre des mesures fortes pour préserver la souveraineté nationale, peut-être les autorités auraient-elles dû commencer par élargir le spectre des personnes poursuivables devant la justice pour des crimes financiers commis, afin de donner une certaine cohérence à l’action publique. À défaut de cela, ce sont des compatriotes pourtant, eux aussi victimes des errements du pouvoir déchu, qui devront en plus payer le prix du rejet de la société et de la stigmatisation de certains revanchards.
Sans avoir pris le soin d’évaluer la portée du discours politique entretenu et des décisions qui ont pu galvaniser certains, le CTRI s’est tout de suite mûré dans une surenchère sécuritaire, pour tenter d’endiguer le phénomène. En effet, les services de police judiciaire ont été instruits « d’accroître la veille sur la presse et les réseaux sociaux, et à saisir sans délai le parquet de la République, chaque fois que de tels faits seront constatés ». Une terminologie vague, qui ouvre la voie à toutes sortes de dérives susceptibles de compromettre les résultats positifs obtenus grâce à la levée de la chape de plomb qui pesait sur les médias. Si l’objectif des autorités est de « préserver notre vivre ensemble et travailler à l’unité et à la prospérité de notre pays », l’Etat en tant que garant de cet équilibre, se doit de faire preuve d’exemplarité et d’impartialité.