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Jean-François Ntoutoume Emane: «LA NAUSÉE»

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Selon Franz-Olivier GIESBERT, éditorialiste de l’hebdomadaire français “Le Point“ et écrivain, « la politique est ce goût faisandé d’intrigues, de bassesses, de prévarications, d’arrivisme et de civisme ».

Bien auparavant, sous la IVème République, Edouard HERRIOT, ancien Président du Conseil et ancien Maire de Lyon, capitale de la gastronomie française, a osé déclarer dans l’hémicycle du Palais Bourbon : « La politique, c’est comme l’andouillette, il faut que ça sente la m…, mais pas trop  ».

En remontant encore plus loin dans le temps, on trouve, au 18ème siècle, Jean le rond D’ALEMBERT, le savant et encyclopédiste français qui déclare sans scrupules que : « la politique est l’art de tromper les gens ».

Ces propos, sans doute outranciers, ne révèlent pas moins quelques vérités. Les intrigues incessantes des “appareils politiques“ en provoquant en permanence l’instabilité des gouvernements, ont quelque peu terni et dévalorisé la IVème République Française. Il en est de même, mais à un très moindre degré, des démissions successives des Ministres des Gouvernements depuis 1981, pour cause de “prise illégale d’intérêts “ ou pour “ dissimulation des biens ou des acquisitions“.

L’argent, dit-on, est avec la politique l’une des principales modalités du monde moderne. Il y a par ailleurs, dit-on aussi, deux vieux concubinages entre, d’une part, la politique et la “folie“ et, d’autre part, la politique et les scandales.

La France, cependant, s’honore et peut s’enorgueillir de la grande qualité des débats d’idées de ses acteurs politiques et des confrontations de leurs projets économiques ou de sociétés. Cela n’existe nulle part ailleurs dans le monde.

Chez nous, ce n’est pas non plus le cas, malheureusement. Les acteurs politiques gabonais, à quelques exceptions près, jouent souvent, au mieux, les comédiens peu doués et, au pire, des traitres au Peuple, des traitres à la Nation. Je le dis avec beaucoup de tristesse.

La politique porte, certes, en elle une part de comédie, de mise en scène. Avec le développement de la radio, le progrès de la télévision, des moyens de diffusion des images et d’Internet, elle est devenue au fil du temps un véritable spectacle. Pour certains, elle n’est malheureusement que cela. Pour le reste, c’est la lutte permanente pour l’attribution ou l’acquisition des postes, les discours souvent creux, les coups bas, les phrases assassines, la politique du ventre qui conduit, in fine, à l’asservissement au régime établi après de frénétiques et répétitifs retournements de vestes.

Cette “caméléonisation“ de certains acteurs politiques est aussi désespérante que dangereuse. Très souvent, presque les mêmes, pour paraître populaires et représentatifs, ameutent des foules, organisent des “transhumances des électeurs“ pendant les campagnes électorales, tiennent des meetings à proximité des marchés ou de la Gare Routière à Libreville en comptant sur l’affluence des badauds dont la grande majorité, sinon la totalité ne sont pourtant pas inscrits sur les listes électorales. La politique du spectacle et des illusions… !

Sans être aussi ochlophobe (qui n’aime pas la foule) que le génial Roland BARTHES de son vivant, en France, je conseillerais aux vrais hommes politiques, en particulier aux Chefs d’Etats, d’avoir toujours présents à l’esprit les deux aphorismes suivants : « la preuve du pire c’est la foule  » (Sénèque) et « Souvent la foule trahit le peuple » (Victor HUGO).

Il ne fait l’ombre d’aucun doute que la perception de la politique a tendanciellement changé depuis fort longtemps, surtout chez nous en Afrique, où elle est ponctuée, presque quotidiennement, de grossières turpitudes, d’arrestations et d’emprisonnements arbitraires, d’assassinats restés pour la plupart impunis et, surtout, de détournements massifs de fonds publics. Ces derniers sont devenus au Gabon « le sport gouvernemental » le plus prisé, comme on l’a vu il y a près de trois ans avec l’argent profus du pétrole, à travers la Gabon Oil Company (GOC) notamment. Depuis quelques mois, des rumeurs circulent et persistent, selon lesquelles des “coups fameux“ similaires auraient eu lieu dans une grande administration financière et dans un grand chantier routier.

Aussi, le mot politique est-il désormais dans l’esprit des gens et particulièrement dans l’esprit du “petit peuple“, connoté par l’idée d’un univers nauséabond.

Mais ce que l’on appelle, avec une connotation péjorative, “la politique politicienne“, que le poète Charles PEGUY nomme “la politique dans l’Impolitique“, pour désigner l’activité politique, les comportements et errements de ceux qui l’animent, n’est pas la politique à proprement parler.

La politique, la vraie, est “cet art“, “cette science“ que PLATON place au-dessus de tout, parce que tout le reste en dépend. ARISTOTE, quant à lui, la définit comme « la quête permanente du juste milieu » dans tous les domaines.

Au sens large de Civilité ou “Politikos“, la politique désigne ce qui est relatif à l’organisation ou à l’autogestion d’une Cité ou d’un Etat.

Au sens de “Politéa“, la politique se conforme à une Constitution qui définit la structure et le fonctionnement d’une communauté humaine.

L’homme (ou la femme) politique est porteur d’un idéal, presque d’une mystique. Son but premier n’est pas de s’enrichir pour ne pas mourir pauvre. Les combats qu’il livre sont d’abord des combats d’idées. Il a, en outre, une vision du monde et de l’avenir de sa communauté nationale dans ce monde. Les vrais leaders politiques ne sont pas des trublions, encore moins des électrons libres. Ils ne considèrent pas leurs militants, ceux qui les suivent ou les entourent, comme des moutons de panurge. Ils les respectent presque autant qu’ils se respectent. Ils sont à l’écoute des gens auxquels ils proposent des projets ou des actions que ces derniers acceptent ou rejettent.

C’est une erreur grossière de croire que le milieu politique est fondamentalement un grand marigot ou un immense buffet devant lequel “nos idées et nos convictions prennent vite la couleur de nos intérêts“, comme le dit LA ROCHEFOUCAULD.

Dans le contexte politique actuel de notre pays, j’éprouve l’obligation morale d’élargir ici mon champ d’observation et d’analyse.

Je dis que dans un Etat digne de ce nom et surtout dans une vraie démocratie, l’exercice de l’autorité (cratos) et l’organisation et le fonctionnement de l’Etat (arché) obéissent à des normes et à des règles précises, prédéfinies. Par ailleurs, MONTESQUIEU a théorisé la séparation et l’équilibre des pouvoirs dans un Etat respectable.

Les fondements et les préceptes de la politique dans une démocratie sont principalement :

• La Souveraineté du peuple (cf J.J. ROUSSEAU, les philosophes des lumières du 18ème siècle en France, les révolutionnaires de 1789 en France, ..etc…). “ Le pouvoir appartient sans ambages au peuple, au seul peuple“. C’est sa propriété exclusive.

Par conséquent, tout pouvoir politique, soit-il qualifié de “Suprême“, est exercé par délégation. Si l’on prétend que tout pouvoir vient de Dieu, qu’il est une grâce ou un don de Dieu, comme on l’affirmait jadis dans les anciens royaumes d’Europe, en France, par exemple, où le sacre de Reims était censé relier directement les rois à Dieu, ce dogme de la transcendance avait (et a) surtout pour but de rendre les peuples craintifs, résignés, inhabités par l’esprit de révolte par rapport aux Monarques et aux dictateurs.

Toute accession au pouvoir dans les Etats modernes passe nécessairement par l’intermédiation du peuple, à travers son vote.

• La liberté, instituée par les philosophes libéraux anglais, les philosophes des lumières en France au 18ème siècle, et, surtout, les révolutionnaires français de 1789. Elle est le principal signe distinctif de toute vraie démocratie.

• La pluralité humaine (Hannah ARENDT, philosophe allemande), de laquelle résulte la valorisation de l’opinion qui est la base indispensable de tout pouvoir et la justification de la diversité des partis politiques. Toutefois, pour être plus efficaces, ces derniers se regroupent en deux ou trois grandes formations, comme on le voit dans un grand nombre de pays développés (Angleterre, Allemagne, Japon, Canada, USA…).

• Le caractère sacré de la vie humaine.

• La dignité humaine, la dignité des citoyens, qui est, comme “l’honneur“, selon BERNANOS, “un Absolu“, en ce sens qu’elle ne peut être considérée, en aucun cas, comme un objet laissé aux caprices des docteurs du relatif, ni encore moins au mépris et au cynisme, parfois criminel, des détenteurs du pouvoir.

Aussi :

• Concevoir et mettre en pratique des stratagèmes et vassaliser les Organes et les Institutions habilités à organiser les élections et d’en proclamer les résultats, dans le seul but d’assurer la pérennisation de son clan au sommet de l’Etat, est odieux et inacceptable ;

• Avoir cette propension à être souvent en coquetterie avec des aventuriers venus d’ailleurs et, de surcroît, pilleurs invétérés des fonds publics et des richesses du pays, n’est ni une inclination de l’esprit, ni un comportement particulièrement patriotiques ;

• Laisser votre pays devenir l’objet d’interminables moqueries “à l’international“ est incompréhensible et impardonnable ;

• Autoriser des agents de sécurité à tirer à balles réelles sur leurs compatriotes, en particulier sur des jeunes aux mains nues et les tuer, est une ignoble forfaiture et un crime imprescriptible ;

• Se déclarer démocrate, tout en privant de leurs libertés publiques et de leurs droits fondamentaux de citoyens tous ceux qui se disent opposants, est un grossier mensonge et un véritable déni de la démocratie ;

• Gouverner par le chaos n’a jamais été ni un objectif louable, ni une politique efficiente et honorable ;

• Gouverner par la force, en s’appuyant sur l’armée, a des limites, car les exactions qui en résultent finissent par se retourner contre les détenteurs du pouvoir, en renforçant la résistance et la révolte du peuple et en suscitant des vagues de réprobation de la Communauté Internationale.

En observant la situation politique dans la cité d’Athènes, sous le magistère de PERICLES, au IVème siècle avant J.C, le grand historien THUCYDIDE déclare : « personne n’est jamais assez fort pour être sûr d’être toujours le plus fort  ». Le poète Paul VALERY dit la même chose dans une formule plus ramassée : « La faiblesse de la force est de ne croire qu’en la force ».

Dans cette même Antiquité Grecque et plus précisément dans cette même cité “d’Athènes des philosophes“, on célébrait avec éclat chaque année les tyrannicides légendaires, tels HARMODIAS et ARISTOGITON. Le but de ces manifestations était, sans doute, de rappeler aux détenteurs du pouvoir ce qu’il pourrait leur arriver s’ils allaient trop loin dans la transgression ou dans le déni de la souveraineté du Peuple.

Le Gabon est bloqué politiquement depuis de trop longues années.

La réalité de la situation politique dans notre pays est aujourd’hui très inquiétante, presque explosive. Deux grands blocs, depuis l’élection présidentielle controversée de 2016, se prévalent mutuellement des préjugés des uns et des autres. La haine qui en résulte est devenue, de part et d’autre, viscérale et presque meurtrière. Elle conduit à la négation même de notre identité politique commune. En effet, notre République, “la RES PUBLICA“, “ la chose ou le bien commun“ est-elle encore “une et indivisible“, comme le dispose l’article 1er de notre Constitution ?

Les Gabonais ne sont plus, comme naguère, fiers d’eux-mêmes et de leur pays. Leurs conditions de vie se dégradent de jour en jour. La pauvreté étend sa lèpre sur toutes les couches de la population. Le pays fait des bonds en arrière dans la quasi-totalité des domaines, comme pour être en pleine “accélération“ du chaos. Les Gabonais affichent, presque tous, désormais, des mines patibulaires.

Les Gabonais suffoquent. Ils suffoquent de plus en plus. L’air ambiant est, hélas, de plus en plus nauséeux et de plus en plus insupportable…

“Do or die“ (marcher ou crever), disent les anglais. Mais, dans le cas du Gabon, il n’y a pas d’alternative. Les Gabonais ne mourront pas ; ils se lèveront et marcheront résolument. Ils affronteront et détruiront tous les obstacles sur leur chemin pour reconquérir leur dignité, la grandeur de leur pays, et pour débarrasser ce dernier de toutes les ignominies, matérielles et morales, dont-on l’a affublé.

L’histoire nous apprend que pour un peuple déterminé rien n’est impossible.

Dans les grandes épreuves et les grandes crises auxquelles se trouve confrontée une Nation, « c’est son tréfonds qui remonte au grand jour et l’on voit alors que le passé compte plus que le présent et la Foi plus que la Raison », observe l’historien Jacques JULLIARD.

On comprend dès lors pourquoi dans la quasi-totalité de nos ethnies, on affirme : « qu’un village sans des vieux est un village maudit », et pourquoi l’ECCLÉSIASTE, de son côté, nous alerte : « Malheur à la Ville dont le Prince est un Enfant ».

Parce que les peuples ne sont pas des troupeaux de moutons, vous ne pouvez pas diriger convenablement un pays dont vous ne connaissez pas l’histoire, ni les mentalités de ses populations, dont vous ne parlez aucune de ses “langues authentiques“ et, surtout, si votre âme ne vibre pas souvent au diapason de l’âme de son peuple…

Le Président Omar BONGO ONDIMBA, “PETIT PIMENT“, l’avait bien compris.

« Il n’y a pas d’histoire des catastrophes évitées », a dit le philosophe et sociologue Raymond ARON. C’est pourquoi il y a une vertu de l’action préventive.

Le temps est sans doute venu pour nous tous de prêter une oreille attentive à la mise en garde du Grand et Immense Victor HUGO, dans “Choses Vues“ :

« Gouverner le peuple sans l’irriter. Là est le secret. Toutes les colères du Peuple se retrouvent un jour donné et se soldent en Révolution  ».

Jean-François NTOUTOUME-EMANE

Ancien Premier Ministre

Publié dans Echos du Nord n°732 du mardi 25 mai 2021. 

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