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Candidature du président de la transition : entre violation du contrat social et confiscation du pouvoir politique

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Après le coup d’Etat du 30 août 2023, le président de la transition gabonaise Brice Clotaire OLIGUI NGUEMA (BCON) annonce le lundi 03 mars 2024, lors de la célébration de ses 50 ans d’anniversaire, sa candidature à l’élection présidentielle prévue le 12 avril 2025. Mais il faut tout de suite le dire, cette déclaration de candidature semblait évidente – sauf pour les adeptes de la preuve juridique ou matérielle – au regard d’un faisceau d’indices :

– Charte de la transition interdisant à tous les participants à la transition, excepté lui (BCON), d’être candidat à l’élection présidentielle ; 

– Adoption d’une Constitution fixant à 70 ans l’âge limite pour être candidat à l’élection présidentielle (art.43) dans le but d’éliminer vicieusement certains profils potentiellement dangereux et pouvant constituer de sérieux adversaires ;

– Déverrouillage du Code électoral afin de permettre aux militaires (en réalité à BCON) et aux magistrats (catégorie malicieusement rajoutée pour masquer la personnification de ce déverrouillage) d’être candidats à l’élection présidentielle sous réserve du simple respect de certaines conditions : mise en disponibilité ou démission ;

– Déploiement de projets ou d’investissements/infrastructures pluriannuel ayant le caractère du projet de société d’un Président de la République élu (Oligui Ville, Libreville 2, logements sociaux, etc.).

– Interview accordée à Jeune Afrique dans laquelle il affirmait, pour le paraphraser, pouvoir continuer d’assumer les responsabilités de Président de la République si les Gabonais l’en estimaient digne, etc. 

Cependant, si cette candidature met donc simplement fin à un faux suspense, elle viole néanmoins le pacte social relatif à la promesse de « restituer le pouvoir aux civils » qui s’est établi entre les nouveaux dirigeants et la population à la suite du coup d’Etat juridiquement illégal mais probablement ‘’ légitime ‘’ au vu des raisons déclinées par les putschistes du 30 août 2023 : principalement les résultats tronqués de l’élection présidentielle du 26 août 2023. 

Outre cette violation du pacte social, la candidature du président de la transition à l’élection présidentielle à venir a également des incidences sur la démocratie – électorale. Car, ce qui s’apparente à une transition démocratique avec l’organisation le 12 avril 2025 d’un grand rendez-vous avec le destin présidentiel est en réalité une simple confiscation « déguisée » du pouvoir politique par une utilisation perverse et malsaine de deux instruments de l’organisation sociale des sociétés démocratiques : le jeu de l’élection et la violence des armes. Plus clairement, il s’agit d’affirmer qu’à travers sa candidature à la future élection présidentielle, le président de la transition confisque le pouvoir politique en s’imposant aux citoyens par la force (les armes) sous le nom de la loi (l’élection).

  1. La violation/rupture du contrat social

Il s’agit simplement de dire ici que le coup d’Etat du 30 août 2023, largement et fortement salué par la population gabonaise qui a vu dans cet acte a priori salutaire un espoir perdu se réaliser, celui de voir la fin du règne des Bongo qui avaient confisqué toute possibilité d’alternance politique pendant plus de 50 ans, avait donné lieu à la conclusion d’un pacte social, reposant sur la confiance, entre les putschistes et la population gabonaise. En effet, après avoir rappelé les raisons ayant conduit à la prise du pouvoir par les armes – principalement les résultats tronqués de l’élection présidentielle du 26 août 2023 – les nouvelles autorités dirigeantes ce sont engagées sur plusieurs promesses devant la population, l’Histoire et Dieu ; promesses fondant effectivement le pacte social de la période de transition avec des conséquences pour la postérité.  Au titre de ces promesses, on peut citer sans exigence d’exhaustivité : la restauration des institutions et de la dignité des gabonais, l’organisation d’élections démocratiques libres, crédibles, transparentes et la restitution du pouvoir aux civils, etc.

En ce qui concerne la restauration des institutions, on peut constater que des réformes ont été engagées donnant naissance par exemple à de nouvelles législations : Code électoral, Code de nationalité, Code pénal, Constitution, etc. On précise d’emblée que le sujet ici n’est pas de porter une appréciation ou un jugement critique de ces réformes ; même si de notre point de vue il n’y a eu en réalité aucune « refondation » réelle des institutions gabonaises en vue d’améliorer la gouvernance publique de notre pays. Pour ce qui est de la dignité des gabonais, certains concitoyens peuvent estimer, et c’est une liberté de le penser, se sentir restaurés dans leur dignité suite à la période de transition instaurée par les putschistes. Là encore, nous ne souhaitons faire aucune critique même si on est tenté de se demander de quoi les Gabonais sont-ils dignes aujourd’hui, 19 mois après le coup d’Etat du 30 août 2023. Et que dire de la promesse, et certainement la plus importante, de la restitution du pouvoir politique aux civils par l’organisation d’une élection démocratique, libre et transparente afin de permettre un retour à l’ordre constitutionnel ? On l’auras compris, c’est cette question le cœur de notre sujet.

Il semble que depuis le lundi 03 mars 2024, cette promesse a été trahie par l’annonce du président de la transition de sa candidature à l’élection présidentielle du 12 avril 2025. En effet, depuis cette déclaration de candidature, l’engagement de « rendre le pouvoir aux civils » est désormais remis en cause par le Général-président de la transition Brice Clotaire OLIGUI NGUEMA (BCON). Ce qui constitue assurément une atteinte aux clauses du contrat social qui s’est établi entre les putschistes et la population gabonaise à la faveur du coup d’Etat du 30 août 2023. Pour tenter de conjurer ou de justifier cette traîtrise, il est regrettable de constater que certains esprits vicieux et perfides font valoir l’argument-cirque ‘’ des appels de la population gabonaise à la candidature du Général-putschiste ‘’ ; alors que nous savons tous foncièrement que la raison de cette traîtrise ignoble est toute simple : le goût naturel de l’Homme pour le pouvoir, au-delà de toutes autres considérations,  a simplement eu raison du président de la transition qui souhaite désormais demeurer au pouvoir – quitte à profaner le contrat social et, donc, la promesse de restituer le pouvoir politique aux civils, on l’a dit, par l’organisation d’une élection démocratique, c’est-à-dire libre, transparente et crédible.

Le non-respect de cette promesse est inacceptable, et donc intolérable, car la restitution du pouvoir aux civils est sans doute la plus importante des clauses du pacte social ; puisque cette promesse est celle qui clôture le processus de transition après avoir restaurer les institutions et redonner aux citoyens leur dignité. Mais aussi parce que dans l’alignement des objets, en termes de logique et cohérence, la restitution du pouvoir aux civils traduit le fait que le travail de restauration des institutions et de la dignité des citoyens gabonais aurait été mené à bon port ;  et qu’à la suite de ce travail, la restitution du pouvoir s’imposerait effectivement afin de consacrer l’entrée du Gabon dans l’ère d’une véritable démocratie avec des élections libres, crédibles et transparentes où le civil qui sera élu gouvernera avec des garde-fous grâce au travail de restauration des institutions qui aura été effectué en amont . C’est bien là l’importance de cette promesse et la raison pour laquelle la candidature du président de la transition à l’élection présidentielle du 12 avril 2025 est inadmissible.

Le problème de la candidature de BCON n’est pas celui des textes juridiques (inter)nationaux et des procédures administratives qui l’habilitent ou non à présenter sa candidature en tant que militaire. Entendons-nous bien ! Car, on a pu entendre de la part de certains concitoyens, souhaitant défendre cette candidature, dirent qu’elle ne remet nullement en cause l’engagement pris par BCON le 04 septembre 2023 de « remettre le pouvoir aux civils ». En effet, selon ces concitoyens, cet engagement ne lui interdit pas d’être candidat, puisqu’ayant la possibilité de se convertir en « civil » par voie de mesures ou techniques administratives lui permettant de sortir de son statut de militaire. C’est assurément la rhétorique que le président de la transition épouse lorsqu’il affirme, sans le moindre scrupule, dans une déclaration du 13 mars 2025 que « d’aucuns se sont trompés en écoutant mon discours du 04 septembre 2023. J’avais dit que nous allons organiser des élections libres et transparentes en vue de rendre le pouvoir aux civils. Mais je n’ai jamais dit que je ne serai pas candidat. Ceux qui comprennent la langue française le savent, il y a une nuance ». Ces propos qu’il a d’ailleurs réitéré presqu’identiquement lors de son interview du 25 avril 2025 sur France 24 et RFI : « Je l’ai dit dans mon discours à la nation, lorsque j’ai prêté serment. Nous allons organiser des élections libres, transparentes et apaisées en vue de rendre le pouvoir aux civils (…) et vous parlez français aussi bien que moi. Cette phrase est différente de dire je ne serai pas candidat. C’est deux phrases sont différentes (…) » ; rajoutant ironiquement, pour le paraphraser, que sa candidature ne viole aucunement sa parole du 04 septembre 2023 puisqu’il n’est plus militaire mais désormais un civil devenu ; et que la preuve en est que les journalistes qui l’interviewaient à ce moment précis venaient de le désigner non pas par son titre de ‘’ Général ‘’ mais par son identité civile : BCON. Quoi de plus grotesque ! Car, pensant avoir fait une prouesse argumentative et la démonstration de sa maîtrise des subtilités de la langue française, le président de la transition venait simplement de livrer une interprétation grossièrement fausse de son engagement pris le 04 septembre 2023 de « rendre le pouvoir aux civils ». En réalité, il ne faisait rien d’autre qu’afficher au grand jour sa mauvaise foi et sa volonté de ruser avec la vérité. En fait, par ces propos délivrés à France 24 et RFI, il avait cru avoir agi avec finesse mais c’était grossier ; avec subtilité mais c’était vicieux ; avec habileté mais c’était fallacieux.

En vérité, on sait tous foncièrement que « restituer le pouvoir aux civils » ne signifie pas se créer la possibilité de se rendre à soi-même le pouvoir politique au terme de la transition via des techniques ou procédures administratives : mise en disponibilité ou démission. En vérité, on sait tous que la promesse-Pacte social de « restituer le pouvoir aux civils », qui devrait intervenir après de travail de restauration des institutions et de la dignité des gabonais, n’a aucune autre signification littérale que rendre le pouvoir politique « aux civils » par opposition à celui qui possède le statut de « militaire » et par-delà toutes les procédures administratives existantes pouvant convertir le militaire en civil. Point besoin de faire d’autres interprétations fallacieuses et/ou militantes. A ce titre, il est indubitable, pour peu qu’on soit de Bonne Foi, que la candidature BCON à la présidentielle de 2025 est une trahison du contrat social du 04 septembre 2023. 

  1. La confiscation du pouvoir politique

Outre la trahison de ce contrat social, la candidature de BCON est davantage inacceptable pour des raisons de sauvegarde de la démocratie : Il est tout à fait normal, qu’après la restauration des institutions dans le but de rendre aux gabonais leur dignité, de restituer le pouvoir politique aux civils par l’organisation d’une élection transparente afin de réinstaller l’ordre constitutionnel bouleversé par le coup d’Etat du 30 août 2023. Il est également tout à fait anormal que celui qui fait le coup d’Etat et mène le processus de transition soit aussi candidat à l’élection présidentielle post-transition ; car, cela contribue à faire peser le doute sur l’objectivité et la neutralité des institutions qui ont été prétendument restaurées. En effet, il ne nous vient à l’esprit aucun exemple de pays africains où à la suite d’un coup d’Etat militaire, le putschiste menant la transition politique et candidat à l’élection présidentielle en essuie un échec. Nous savons tous que ce n’est pas possible, encore moins sous « les tropiques ». Et la raison est évidente : tout militaire arrivé au pouvoir par coup d’Etat et qui, au sortir de la période de la transition politique, se porte candidat à une élection présidentielle est un militaire qui veut simplement se maintenir au pouvoir même au prix fort de l’utilisation de la force. Ainsi, il soumettra les institutions politico-administratives à sa volonté de sorte à s’assurer une victoire certaine à l’élection. Ce qu’on veut dire c’est qu’il est certes possible que la candidature de BCON suscite une forte adhésion (truquée ou non)  de la population et qu’il se fasse réellement élire –  ce qui est la situation plutôt favorable dans la mesure où une victoire en faveur du président de la transition permettrait de mettre le voile sur la réalité de la prise en otage du pouvoir politique  – mais cela n’occulte pas le fait que  BCON se serait déjà assuré la soumission des institutions politiques « restaurées » à sa botte ; puisque le but réel étant justement de demeurer au pouvoir. De ce fait, la candidature de BCON est une véritable confiscation du pouvoir politique, et plus largement de la démocratie. Car, pour ne pas nous répéter, même avec de réelles chances de se faire élire, la réalité est que le Général-putschiste s’est déjà assuré que toutes les institutions et administrations nécessaires pour garantir sa victoire sont déjà à ses ordres ; et que coûte que coûte il sera proclamé vainqueur de l’élection présidentielle 12 avril 2025. Gardons tous bien à l’esprit que celui qui s’est établi par la force ne peut subsister que par la force. Il ne s’agit donc pas ici de douter de la possibilité pour BCON de gagner ces élections normalement ou démocratiquement – avec certainement les mêmes méthodes bien connues : transports des « bœufs votants », corruption, achat des consciences, etc. – mais plutôt d’expliquer le fait que malgré cette forte possibilité, au regard des candidatures malicieusement retenues par la Cour constitutionnelle, il reste que toutes les institutions politico-administratives en charge de l’élection sont déjà configurées pour ne rien faire d’autre que proclamer (à tort ou à raison) BCON vainqueur de l’élection présidentielle 12 avril 2025 – selon une logique de conservation/confiscation du pouvoir. Oui, il n’y aura aucun autre résultat qui sera proclamé que celui-ci au sortir de l’élection du 12 avril 2025 : le putschiste-président de la transition sera déclaré Président de la République ; moins forcément parce qu’il aura été voté démocratiquement mais plutôt parce que le pouvoir est en réalité confisqué… pour au minimum 14 ans ?

En définitive, la candidature de BCON à l’élection Présidentielle du 12 avril 2025, qui n’est rien d’autre qu’un refus de « rendre le pouvoir aux civils », est non seulement une violation flagrante du contrat social conclus avec la population Gabonaise lors de son discours du 04 septembre 2023 mais encore une confiscation du pouvoir politique. Ce qui met assurément en péril la construction, certes encore vacillante, de la démocratie – électorale dans notre pays. Faut-il dire que le destin du Gabon se trouve désormais entre les mains de ses rares dignes fils et filles d’une nouvelle génération qui doivent désormais s’engager pour véritablement le libérer avec l’aide de nos ancêtres, car « chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir », disait Frantz Fanon.

Alexandre BARRO, Juriste en Droit public

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