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Quand les mots des autres deviennent un refuge : le cri silencieux d’une génération en souffrance

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Dans l’ombre des statuts WhatsApp, Télégram, ou Facebook, une génération semble hurler sans bruit. Chaque jour, des centaines de jeunes Gabonais partagent des citations toutes faites, souvent sombres, parfois fatalistes, en guise de statut. Une simple habitude numérique ? Pas vraiment. Derrière ce flux constant de phrases empruntées se cache un phénomène bien plus profond : un mal-être diffus, une solitude émotionnelle, et une quête éperdue de reconnaissance ou de réconfort.

Un miroir de l’âme, ou une fuite de soi-même ?

Il suffit d’ouvrir n’importe quelle application de messagerie pour s’en rendre compte : « Personne ne comprend ma douleur », « Je souris, mais au fond je suis brisé(e) », « Un jour, ils regretteront de m’avoir perdu »… Ces phrases, souvent partagées sans commentaire, deviennent le reflet d’un inconfort intérieur que beaucoup préfèrent taire. Mais à force de vivre à travers les mots des autres, certains finissent par ne plus savoir exprimer leurs propres émotions.

« On peut parler de citationnisme compulsif », explique un sociologue de l’Université Omar Bongo. « C’est une manière indirecte d’exister, de crier un malaise sans en assumer la responsabilité ou la vulnérabilité. Beaucoup de jeunes sont dans une souffrance sourde, émotionnelle, sociale, économique. Les citations deviennent une échappatoire symbolique ».

D’autres, au-delà des citations fatalistes, se tournent vers la religion. Des versets bibliques sont utilisés, non pas seulement comme témoignage de foi, mais comme appel à l’aide codé. « Dieu seul connaît mon cœur », « L’Éternel est mon refuge », « Quand mon cœur est accablé, conduis-moi au rocher » , « GOD au contrôle »… Autant de formulations qui, sous une apparente piété, peuvent révéler une détresse profonde. Là encore, le besoin n’est pas seulement spirituel : il est humain, émotionnel, existentiel.

La souffrance moderne : silencieuse, partagée… mais non traitée

Le drame, c’est que ces expressions répétées ne résolvent rien. Elles deviennent des pansements invisibles sur des blessures ouvertes. Plus grave encore, elles peuvent entretenir un cycle de victimisation, d’apitoiement ou de passivité. On poste, on attend une réaction, une validation, un « tu vas bien ? », qui parfois ne vient jamais. Et pendant ce temps, les vrais problèmes – l’isolement, le chômage, la pression familiale, les échecs personnels – continuent de grandir.

Cette habitude, en apparence anodine, révèle une urgence : celle de reconnecter les individus à eux-mêmes, et à des solutions concrètes. Plutôt que de s’accrocher à des mots d’emprunt, il devient vital d’apprendre à nommer ses propres douleurs, à chercher du soutien réel, à consulter si nécessaire, à parler sincèrement à ses proches.

Parler, c’est déjà guérir

Dans un contexte où la santé mentale reste largement taboue au Gabon, ces statuts sont parfois la seule soupape d’expression émotionnelle pour une jeunesse en perte de repères. Il ne s’agit pas de les ridiculiser, mais de comprendre ce qu’ils disent sans le dire.

Car au fond, ces mots répétés, ces phrases recyclées, ces versets postés entre deux silences, sont le langage d’une génération en quête de sens, de paix intérieure, et de liens sincères. Ce qu’il leur manque, ce n’est pas un meilleur statut. C’est une écoute, une main tendue, une voix qui répond. Et si on commençait par là ?

Rachid Olsen Boueni,

Reporter d’images

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