Présidentielle 2025 : Gabon, les paradoxes d’une transition qui recycle ses fossoyeurs

À quelques heures de l’ouverture de la campagne présidentielle du 12 avril 2025, le paysage politique gabonais donne à voir un paradoxe déroutant : pendant que certains visages de l’ancien régime sont pointés du doigt comme responsables de l’effondrement de l’État de droit et de la gouvernance entre 2009 et 2023, d’autres, pourtant acteurs majeurs de ce système, occupent aujourd’hui des postes de premier plan dans l’appareil de l’État ou dans l’équipe de campagne du président de la Transition, Brice Clotaire Oligui Nguema.
Alain-Claude Bilie-By-Nze, ancien Premier ministre sous Ali Bongo, est présenté comme le bouc émissaire désigné, celui sur qui doit se cristalliser l’indignation populaire pour solder les comptes d’un régime déchu. Mais pendant que l’on condamne publiquement l’homme, l’on absout silencieusement le système : anciens directeurs de cabinet, anciens ministres, hauts cadres du PDG, tous recyclés dans l’administration, dans les directions générales et jusque dans l’organigramme de la campagne électorale du candidat Oligui Nguema. Comment expliquer cette dissonance ?
Une amnésie politique organisée ?
La question dérange : comment comprendre que le président du Parti Démocratique Gabonais (PDG), pourtant formation indexée lors du Dialogue Politique Inclusif d’avril 2024 comme partie prenante des dérives ayant mené au 30 août, soit aujourd’hui membre de la coordination de campagne du président de la Transition ? Comment accepter que des figures de l’ancienne Commission électorale, impliquées dans l’organisation du scrutin truqué de 2023, soient promues à la tête de structures stratégiques telles que la CNAMGS ou nommées dans des cabinets ministériels ?
Loin d’être une simple contradiction, cette situation soulève des inquiétudes sérieuses sur la sincérité du processus de rupture engagé par le CTRI. Car s’il s’agissait réellement de tourner la page du Bongoïsme, le minimum aurait été de mettre à l’écart — ne serait-ce que temporairement — ceux qui ont participé à l’enracinement du système que l’on prétend avoir renversé.
Une logique de compromis ou une défaite des principes ?
Certains avancent l’argument du pragmatisme : dans un pays où la technocratie est largement issue du moule PDG, il serait difficile de faire table rase sans compromettre la stabilité administrative. D’autres y voient une volonté calculée de contenir les rancœurs internes et de verrouiller l’appareil d’État à l’approche d’une élection où l’enjeu est de taille. Mais à quel prix ? Celui de la mémoire collective, de la justice politique et de la cohérence institutionnelle ?
Car pendant que l’on jette l’opprobre sur Bilie-By-Nze — non sans raisons —, on laisse prospérer un système de recyclage discret et sélectif, où l’appartenance à l’ancien régime devient moins une faute politique qu’un passeport de repositionnement. Le peuple gabonais, pour sa part, observe, dubitatif, ce qui ressemble à une opération de blanchiment politique à grande échelle, opérée au nom de la stabilité, mais au détriment de la vérité et de la refondation.
La rupture ne peut être sélective
Si le projet du CTRI est réellement de restaurer les institutions, il faudra sortir de l’ambiguïté. On ne peut, d’un côté, proclamer une nouvelle ère, et de l’autre, réhabiliter ceux-là mêmes qui ont saboté la précédente. La cohérence, l’intégrité et le respect des conclusions du dialogue national devraient être les fondements d’un processus de refondation crédible.
À défaut, cette présidentielle, annoncée comme celle de la renaissance, risque d’être perçue comme une mise en scène de la continuité, maquillée sous les traits du changement. Il appartient désormais au président de la Transition de clarifier sa ligne : veut-il incarner une véritable rupture ou simplement gérer, autrement, l’héritage d’un système discrédité ? Le verdict des urnes dira si les Gabonais sont dupes.
GMT TV