Me Anges Kevin Nzigou : « Les binationaux ne sont pas responsables du déclin du Gabon ! »
Depuis quelques jours, un débat houleux agite la scène politique gabonaise : celui de la révision du code électoral. Ce débat, censé moderniser notre système électoral, ramène tristement à la surface une vieille et absurde obsession : la stigmatisation des citoyens binationaux.
Récemment encore, lors des discussions sur la nouvelle Constitution, la question des conditions d’éligibilité à la présidence avait déjà révélé une fracture profonde et inquiétante. Une partie de la classe politique avait laissé entendre qu’il fallait du sang “pur” pour prétendre diriger le Gabon, comme si l’appartenance nationale pouvait se mesurer en degrés de “gabonité”. Ces souvenirs, aussi noirs que ridicules, continuent de peser sur notre conscience collective, et ce poison semble désormais se répandre dans d’autres sphères du débat public. Il est essentiel de le dire haut et fort : les binationaux ne sont pas responsables du déclin du Gabon.
Les véritables responsables sont connus
Le Gabon a été conduit au bord du gouffre non pas par les citoyens ayant une double nationalité, mais par une classe politique qui, depuis des décennies, a accaparé le pouvoir et les ressources du pays.
C’est le Parti Démocratique Gabonais (PDG), avec ses cadres et ses réseaux d’influence, qui porte la responsabilité historique de l’effondrement de nos institutions, de l’appauvrissement de nos populations et de l’affaiblissement de l’État. Pourtant, même après leur échec retentissant, beaucoup de ces acteurs continuent d’être au cœur de la transition actuelle. Ils occupent des postes stratégiques, donnent des leçons de patriotisme et jouissent toujours de privilèges, comme si leurs responsabilités passées n’étaient qu’un détail.
Pendant ce temps, des Gabonais binationaux, qui ont souvent sacrifié leur confort personnel pour défendre la dignité et les valeurs de notre pays, se voient accusés d’être des citoyens “à moitié”, indignes de contribuer pleinement à la vie politique nationale. Cette stigmatisation est non seulement injuste, mais profondément hypocrite.
Le mythe du “sang pur” : un dangereux retour en arrière
Les débats récents sur la nouvelle Constitution, en particulier sur les conditions d’éligibilité à la présidence, ont ravivé des discours nauséabonds sur la “pureté” de l’identité gabonaise. Certains ont insinué qu’il fallait être un Gabonais “authentique”, sans attache extérieure, pour être un dirigeant légitime.
Ces arguments rappellent les heures les plus sombres de l’histoire mondiale, où l’appartenance à une nation était définie par des critères biologiques ou culturels, conduisant à des politiques d’exclusion et de division. Ce discours, en plus d’être archaïque, est profondément dangereux pour l’unité nationale.
Un citoyen gabonais est gabonais, qu’il soit né au pays ou ailleurs, qu’il possède une ou plusieurs nationalités. Sa valeur ne se mesure pas à la couleur de son passeport, mais à son engagement, à ses compétences et à son amour pour la nation.
Les binationaux : une richesse, pas une menace
Accuser les binationaux de manquer de loyauté envers le Gabon ou de ne pas être suffisamment enracinés dans la culture nationale relève d’une méconnaissance totale de leur rôle et de leurs sacrifices.
Beaucoup de membres de la diaspora, dont la majorité sont binationaux, ont été nombreux à dénoncer les dérives autoritaires du régime, à mobiliser les réseaux internationaux pour soutenir la société civile gabonaise, et à plaider pour une transition politique crédible. Leur double appartenance est une force, pas une faiblesse.
Dans un monde globalisé, la double nationalité offre au Gabon un pont vers d’autres nations, des compétences variées et une vision élargie. Refuser de reconnaître cette richesse, c’est se priver d’une partie essentielle de notre potentiel national.
Une diversion politique honteuse
Pourquoi cette obsession pour les binationaux ? Parce qu’elle sert à détourner l’attention des vrais problèmes.
En brandissant la double nationalité comme une menace, les acteurs politiques du mal cherchent à masquer leurs propres échecs et à désigner un bouc émissaire facile. Cela permet d’éviter les questions fondamentales :
•Pourquoi les institutions restent-elles faibles et corrompues ?
•Pourquoi l’économie peine-t-elle à offrir des opportunités à la jeunesse ?
•Pourquoi les responsables de la crise actuelle continuent-ils d’échapper à toute forme de justice ?
Au lieu de regarder la réalité en face, certains préfèrent instrumentaliser la double nationalité pour diviser, exclure et détourner le débat.
Pour un Gabon uni et inclusif
Le Gabon traverse une période critique où chaque force compte pour relever les défis colossaux qui nous attendent. Nous n’avons pas le luxe de nous diviser sur des critères artificiels et dépassés.
Il est temps de reconnaître que les binationaux font partie intégrante de la nation. Ils ne sont pas des citoyens de seconde zone, mais des Gabonais à part entière. Les exclure ou les stigmatiser, c’est affaiblir notre pays dans un moment où il a besoin de toutes ses forces.
La proposition d’exclure les binationaux est une régression dangereuse qui fracture notre nation et suscite des inquiétudes profondes. Même sous le régime d’Ali Bongo, malgré ses dérives, jamais les institutions n’avaient osé créer des citoyens de seconde zone. En initiant une telle mesure, ses promoteurs, qu’ils en aient conscience ou non, sabotent les actions du CTRI et sèment le doute dans le cœur d’une partie de la population. Si leur intention était d’installer l’inquiétude, ils ne pouvaient trouver mieux : aujourd’hui, quoi qu’il advienne de cette proposition, les binationaux comprennent qu’ils sont perçus comme un problème par certains décideurs. Désormais, ils marcheront toujours en se retournant.
Nous devons mettre fin à ces discours rétrogrades sur la “pureté” et concentrer nos énergies sur l’essentiel : réformer nos institutions, reconstruire notre économie et réconcilier notre nation. Ce n’est qu’ensemble, avec toutes nos diversités et toutes nos richesses, que nous pourrons bâtir un Gabon nouveau, où chaque citoyen aura sa place.
Un Gabon fort et uni repose sur l’inclusion de tous ses enfants, sans distinction. Le CTRI a une responsabilité historique : garantir que les espoirs de réconciliation et de renouveau national ne soient pas trahis par des mesures qui divisent au lieu de rassembler.
Me Anges Kevin Nzigou
Avocat au Barreau du Gabon et secrétaire exécutif du parti Pour le changement
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