Gabon : une justice à géométrie variable ?

À Port-Gentil, deux décisions judiciaires aux peines contrastées ravivent le débat sur l’échelle des valeurs dans les prétoires gabonais. Quand des braqueurs écopent de 20 ans pour un vol avec violence, des violeurs d’enfant s’en tirent avec 15 ans, dont plusieurs assortis du sursis. Une jurisprudence qui interroge.
Port-Gentil, 22 juillet 2025. En l’espace de quelques jours, deux affaires criminelles jugées dans la capitale économique du Gabon ont mis en lumière ce qui pourrait ressembler à une dissonance judiciaire inquiétante. D’un côté, trois hommes condamnés à 20 ans de réclusion pour le braquage violent de deux expatriés. De l’autre, deux violeurs reconnus coupables d’avoir abusé sexuellement de leur cousine de 7 ans, sanctionnés par une peine de 15 ans, dont 7 seulement fermes.
Ce contraste frappe d’autant plus que dans les deux cas, les faits étaient établis : les auteurs ont été reconnus coupables, les victimes sont identifiées, les séquelles durables. Pourtant, la gravité des peines infligées semble ne pas refléter la même échelle de valeur entre atteintes à la personne et atteintes aux biens.
Une hiérarchie implicite des crimes ?
Si l’on s’en tient aux réquisitions du ministère public, les deux affaires ont été prises au sérieux. Le parquet avait requis 30 ans de réclusion contre les violeurs, en reconnaissant la violence du crime sexuel sur mineure. Pourtant, la Cour n’a retenu qu’une peine de 15 ans, assortie d’un sursis partiel. Une indulgence d’autant plus troublante que la victime était une enfant de 7 ans, agressée par des proches dans un cadre familial supposé protecteur.
À l’inverse, le braquage d’octobre 2018, s’il fut d’une violence indiscutable, n’a pas coûté la vie à ses victimes, bien qu’il ait conduit à une paralysie partielle de l’une d’entre elles. La peine maximale retenue contre les trois agresseurs, sans sursis total, témoigne d’une volonté de fermeté que l’on aurait pu espérer dans l’affaire de viol.
La justice gabonaise face à ses incohérences
Ces deux décisions ne sont pas isolées. Elles s’inscrivent dans un contexte où la justice gabonaise est souvent accusée d’une gestion inégale de la gravité des infractions, en particulier lorsqu’il s’agit de crimes sexuels. À cela s’ajoute une tendance inquiétante à la clémence dans les affaires de pédocriminalité, souvent sous-estimées ou insuffisamment sanctionnées.
Il ne s’agit pas ici de remettre en cause l’indépendance des juges, mais bien d’interroger les critères de pondération appliqués. Pourquoi la souffrance irréversible d’une fillette de 7 ans n’est-elle pas davantage prise en compte dans le quantum de la peine ? Pourquoi le sursis est-il encore si facilement accordé dans les affaires de viol sur mineur, pourtant qualifiées de crimes par le Code pénal ?
Vers une réforme de la politique pénale ?
Cette affaire pourrait bien servir d’électrochoc. À l’heure où la transition politique promet un renouveau institutionnel, la réforme du système judiciaire ne peut faire l’économie d’une redéfinition claire de l’échelle des peines, notamment pour les crimes sexuels. La cohérence et la lisibilité des décisions de justice sont essentielles à la restauration de la confiance des citoyens.
Une politique pénale plus rigoureuse, avec des barèmes fermes pour les infractions sexuelles sur mineurs, une formation renforcée des magistrats à l’analyse psychologique des violences sexuelles, et une harmonisation des peines à l’échelle nationale apparaissent aujourd’hui comme des urgences.
GMT TV