Gabon : suspension des bourses vers l’Amérique du Nord : un coup porté à l’égalité des chances ?

Dans une lettre ouverte empreinte de lucidité et de gravité, le professeur Pamphile Mebiame-Akono alerte sur les conséquences profondes de la suspension des bourses d’études vers les États-Unis et le Canada. Une décision gouvernementale qu’il juge symptomatique d’un risque de fracture éducative, et qui soulève des interrogations fondamentales sur l’équité, l’ambition nationale et le rôle de l’État dans la promotion de l’excellence.
Quand l’État bride les ailes des plus méritants. La suspension des bourses à destination de l’Amérique du Nord par le gouvernement gabonais continue de susciter une vague d’incompréhension, tant dans les milieux académiques que parmi les familles modestes. Dans une lettre adressée au président de la République, le professeur Pamphile Mebiame-Akono, linguiste de renom et pur produit de l’école publique gabonaise, y voit une atteinte directe à l’idéal républicain d’égalité des chances.
« Suspendre, même temporairement, ces bourses, c’est éteindre la lumière dans les yeux de toute une jeunesse », écrit-il en substance. Car derrière les considérations budgétaires ou géopolitiques, se cache une réalité sociale : seuls les enfants issus des milieux les plus favorisés pourront continuer à intégrer Stanford, Toronto ou Harvard. Les autres – les enfants de Kinguélé, Nzeng-Ayong ou Avéa – resteront à quai.
Vers une fracture éducative institutionnalisée ?
L’analyse du professeur Mebiame-Akono touche un point sensible : celui de la reproduction sociale, au sens le plus dur que Pierre Bourdieu a théorisé. En restreignant l’accès à ces filières d’excellence, l’État risque de creuser un fossé durable entre les élites de naissance et les talents issus de l’effort et du mérite. À rebours de ce que le président Oligui Nguema avait pourtant promis dans son discours d’investiture : une République plus juste, fondée sur la méritocratie.
« L’État doit encourager ses enfants les plus brillants à viser le sommet », plaide l’universitaire, rappelant au passage que c’est grâce à une politique de bourses ambitieuse que sa propre trajectoire, d’élève des PK à professeur titulaire du CAMES, a été rendue possible.
Le rêve suspendu, la République questionnée
Au-delà du cas précis des bourses vers l’Amérique du Nord, cette décision soulève une interrogation plus large : quel modèle de citoyenneté l’État gabonais entend-il encourager ? Un modèle où seuls les nantis peuvent rêver d’excellence ? Ou une nation qui mise sur tous ses enfants, y compris les plus modestes, pour construire sa modernité ?
À l’heure où la Vème République cherche ses fondations, la suspension des bourses vers les universités nord-américaines sonne comme un faux pas. Un signal brouillé, voire un aveu de renoncement. Car comme le rappelle le Pr. Mebiame-Akono en citant Lincoln : « Si l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance ».
GMT TV