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Libreville : Nzeng-Ayong, les casses urbaines relancent la fracture sociale

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Zone jadis animée, Nzeng-Ayong, dans le 6ᵉ arrondissement de Libreville, vit depuis le 31 juillet 2025 une opération de démolition musclée menée par la municipalité. Objectif : éradiquer les constructions anarchiques à l’échangeur éponyme. Mais derrière les bulldozers, une colère gronde.

Engagée dans un vaste plan de réappropriation de l’espace public, la mairie centrale de Libreville a entamé la destruction des édifices « à démolir sans délai », préalablement marqués depuis plusieurs semaines. Bars, bistrots, commerces de fortune et habitations précaires bordant l’ancien feu tricolore de Nzeng-Ayong sont passés sous la lame des engins. Une action saluée par certains usagers lassés de l’insécurité ambiante, mais vécue comme une double peine pour les riverains directement affectés.

Des casses sans relogement, une modernisation à sens unique

Si les autorités municipales assurent avoir mené des campagnes de sensibilisation, la brutalité de l’exécution suscite l’indignation. « On ne peut pas moderniser une ville en piétinant les plus pauvres », fustige un habitant. Pour de nombreux commerçants, cette opération réveille le souvenir amer des déguerpissements liés au chantier du canal pluvial. L’un d’eux résume : « On parle de désordre urbain, mais nous, on appelle ça survie. »

Les conséquences sociales ne se sont pas fait attendre : flambée des loyers dans les quartiers environnants, précarisation des familles expulsées et perte de revenus pour des dizaines de petits entrepreneurs.

Une opération nécessaire, mais déconnectée des réalités sociales

Du côté de la mairie, on insiste sur la nécessité de restaurer l’ordre urbain. Le délégué spécial Adrien Nguema Mba défend l’action entreprise au nom de la salubrité, de la sécurité et de la régularité. « Libreville ne peut rester une ville livrée au désordre », confie un proche du dossier. Pourtant, sur le terrain, la fracture est palpable. Tandis que certains commerçants prenaient acte des menaces de démolition, d’autres, inconscients ou défiants, continuaient à embellir leurs échoppes, espérant sans doute un sursis.

Une exigence de planification plus inclusive

Les déguerpissements de Nzeng-Ayong posent une question récurrente dans la gestion urbaine gabonaise : comment concilier assainissement de l’espace public et justice sociale ? Pour nombre d’observateurs, il ne s’agit pas de contester le principe de réaménagement, mais de réclamer une approche plus humaine, sociale et technique. En l’absence de solutions de relogement, de reconversion économique ou de compensation, la politique de la pelleteuse creuse surtout la défiance.

Face à un tissu urbain déjà fragilisé par l’informel, la précarité et la promiscuité, cette opération souligne une fois encore l’urgence d’un véritable plan d’aménagement urbain fondé sur l’inclusion, la concertation et la projection à long terme. Sinon, comme le dit un usager en colère : « On change les façades, mais on ne règle pas le fond. »

Henriette Lembet

Journaliste Le temps est une donnée fatale à laquelle rien ne résiste...

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