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Gabon : 10 ans de détention préventive sans procès, une vie brisée par les lenteurs de la justice

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C’est une scène à la fois poignante et révoltante qui s’est déroulée cette semaine à la prison centrale de Libreville. Hugues Landry M, incarcéré depuis le 7 avril 2015 alors qu’il n’avait que 20 ans, est sorti en larmes, libre, après avoir passé une décennie derrière les barreaux… sans jamais avoir été jugé. Sa faute ? Être entré dans les rouages d’une justice gabonaise dont les lenteurs et l’inhumanité ne cessent de briser des vies.

Une décennie volée par l’inertie. Dix ans. C’est le temps qu’il aura fallu à la machine judiciaire pour se rendre compte que le dossier de Hugues Landry M. ne justifiait plus sa présence à la prison de Gros-Bouquet. Dix ans d’attente, sans procès, sans décision de justice définitive. Placé sous mandat de dépôt pour vol qualifié avec violence, le jeune homme a vu sa jeunesse se dissoudre dans les murs froids d’une cellule, pendant que son dossier prenait la poussière dans les tiroirs d’un système pénal déshumanisé.

Selon des sources judiciaires, c’est son comportement exemplaire en détention qui aurait plaidé en sa faveur et conduit à sa libération définitive. Mais aucun comportement, aussi irréprochable soit-il, ne devrait être l’unique critère d’une remise en liberté lorsque la justice a tout simplement failli à ses devoirs les plus élémentaires.

Une justice trop lente, un silence trop pesant

Le cas de Hugues Landry M. n’est pas isolé. Des dizaines de détenus en attente de jugement, certains depuis 5, 7 voire 10 ans, croupissent encore dans les geôles du pays, oubliés de tous. La détention préventive est censée être une mesure exceptionnelle. Elle est devenue, au Gabon, une norme dévoyée, un instrument de privation prolongée de liberté, souvent arbitraire, en violation flagrante des droits fondamentaux.

Ce dysfonctionnement chronique ne relève pas uniquement de l’embouteillage des tribunaux. Il est aussi le reflet d’un manque criant de professionnalisme, d’un déficit d’empathie, et parfois d’un mépris assumé pour la dignité humaine.

Une indemnisation prévue… mais jamais appliquée

Le Code de procédure pénale gabonais, en ses articles 146 et 148, prévoit pourtant une indemnisation pour les victimes de détention préventive abusive. Une indemnité que l’État est tenu de verser, et qu’il peut même recouvrer auprès de ceux dont les faux témoignages ou dénonciations ont causé la détention. Mais combien de victimes savent qu’elles peuvent en faire la demande ? Combien obtiennent effectivement réparation ? La réalité est crue : aucune procédure d’indemnisation n’est sérieusement engagée dans un pays où la justice préfère oublier ses erreurs que de les reconnaître.

Et maintenant ?

Hugues Landry M. sort libre, mais il n’est plus le même homme. Dix ans de sa vie ont été volés, dix années qu’il ne pourra jamais rattraper. Ce drame humain interpelle. Il appelle à un réveil urgent des autorités judiciaires, à la mise en œuvre effective des lois existantes, et à une réforme en profondeur de la chaîne pénale. Car une justice qui enferme sans juger, qui oublie sans réparer, n’est pas une justice. C’est un pouvoir sans conscience.

Il est temps que la justice gabonaise réapprenne à regarder les justiciables dans les yeux. Il est temps qu’elle cesse d’être cette main de fer qui frappe à l’aveugle, et qu’elle redevienne ce qu’elle aurait toujours dû être : une garantie de dignité, un rempart contre l’arbitraire, un pilier de la République.

Karl Makemba

Engagé et passionné, Karl Makemba met son expertise et sa plume au service d’une information rigoureuse et indépendante. Fidèle à la mission de Gabon Media Time, il contribue à éclairer l’actualité gabonaise avec une analyse approfondie et un regard critique. "La liberté d'expression est la pierre angulaire de toute société libre." – Kofi Annan

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