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Quand la nature refinance l’État : le pari  gabonais du Blue Bond et des crédits  carbone pour stabiliser la dette

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Le 26 juillet 2025, à l’occasion de la Journée internationale de la mangrove, le ministre de  l’Environnement, Mays Mouissi, a signé deux accords symboliques mais lourds de sens :  l’un pour lutter contre la pollution plastique dans les communes d’Owendo et d’Akanda,  l’autre pour restaurer les écosystèmes de mangroves en partenariat avec GSEZ. Au-delà  du geste écologique, c’est une bascule stratégique qui s’opère : le Gabon commence à  traiter ses richesses naturelles, forêts, littoraux, zones humides non plus comme un simple  patrimoine à préserver, mais comme des actifs économiques capables de générer des flux  financiers durables. 

Cette actualité s’inscrit dans une dynamique plus large, amorcée dès 2023, avec l’émission  du tout premier Blue Bond souverain d’Afrique. Elle confirme que la nature peut devenir  un levier crédible pour refinancer l’État, stabiliser la dette, et repenser la souveraineté  économique à l’aune du climat. Encore faut-il que ces innovations s’inscrivent dans une  stratégie nationale cohérente et ambitieuse. C’est l’objet du présent appel. 

I. Une innovation financière au service de la nature 

Et si une partie de la solution à la dette publique se trouvait au fond des océans ? C’est le pari  inédit qu’a tenté le Gabon en 2023, en concluant le tout premier Blue Bond souverain du  continent africain. Le principe est à la fois simple et audacieux : refinancer une partie de la dette  existante en mobilisant des fonds adossés à des engagements de préservation environnementale,  notamment le littoral et les zones marines protégées. 

En effet, le Gabon a racheté pour 436 millions de dollars de dette commerciale en émettant un  nouvel emprunt de 500 millions de dollards (DFC, 2023), garanti par les États-Unis à travers la  Development Finance Corporation (DFC). Cette opération a permis de réduire sensiblement les  taux d’intérêt passant de plus de 7 % à environ 6,1 % (Reuters, 2023) tout en allongeant la 

maturité de la dette jusqu’en 2038. L’économie globale sur la période est estimée entre 125  (Bank of America) et 163 (DFC) millions de dollars. 

Mais cette ingénierie financière va au-delà de l’économie budgétaire. Le Blue Bond prévoit  l’allocation directe de 5 millions de dollars par an à la protection de l’océan, à la lutte contre la  pêche illégale et à la préservation des zones côtières. À cela s’ajoute un fonds de conservation  qui pourrait atteindre 88 millions de dollars à l’échéance.  

Ce montage sophistiqué démontre un certain génie financier, mais interroge aussi sur sa  durabilité et sa portée réelle. Le fait le plus marquant est que le mécanisme a résisté au coup  d’État du 30 août 2023. Là où de nombreux investisseurs fuyaient l’incertitude politique, le  Blue Bond gabonais est resté intact. Cela peut être lu comme un signal de confiance des marchés  dans la stabilité des engagements environnementaux, ou, plus prosaïquement, comme une  reconnaissance implicite que le véritable garant de cette dette, ce n’est pas le Gabon, mais  Washington. 

Cette ambivalence est au cœur du débat. Si l’opération est une prouesse technique, elle révèle  aussi une dépendance accrue à des mécanismes structurés hors du territoire national. La  majorité des gains de structuration commissions, expertise, garantie ont d’ailleurs profité à des  intermédiaires non gabonais. L’économie nette, bien que réelle, demeure modeste à l’échelle  du budget national : 5 millions de dollars par an ne représentent qu’un peu plus de 0,5 % du  budget de l’État. 

Derrière la vitrine écologique, il faut donc lire l’opération pour ce qu’elle est : une innovation  prometteuse, mais encore loin de constituer une rupture systémique. 

II. L’or bleu du carbone : un levier sous-estimé 

Là où le Gabon pourrait véritablement changer d’échelle, c’est en explorant le potentiel des  crédits carbone bleus, encore largement sous-utilisés. Les mangroves du pays, véritables puits  de carbone, ont la capacité d’absorber entre 6 et 10 tonnes de CO₂ par hectare et par an. Ce  carbone capturé peut être valorisé sur le marché volontaire, à un prix oscillant entre 10 et 20  dollars la tonne. 

Les estimations actuelles laissent entrevoir un potentiel annuel supérieur à 20 voire 30 millions  de dollars, soit cinq à six fois les revenus générés par le Blue Bond. C’est une ressource  régulière, renouvelable, indexée sur la performance climatique réelle à condition de disposer  des outils de mesure, de certification et de structuration appropriés. 

Pourquoi ne pas créer un marché gabonais du crédit carbone bleu, adossé à une bourse verte  régionale, dont Libreville ou Port-Gentil pourraient devenir le centre névralgique ? Pourquoi  ne pas adosser les futurs emprunts souverains à des résultats environnementaux mesurés,  certifiés et valorisés localement, plutôt que de dépendre de garanties étrangères ? 

La réponse à ces questions tient aujourd’hui à une volonté politique qui reste à affirmer. Le  Gabon possède les écosystèmes, la légitimité, les données scientifiques. Il ne manque que  l’architecture institutionnelle. 

IV. Propositions pour une souveraineté verte et durable

Pour transformer ces initiatives en véritable stratégie nationale, la Commission Économique du  Réseau Ébène formule plusieurs recommandations. La première consiste à créer une Agence  Gabonaise de la Finance Verte (AGFV), structure autonome chargée de piloter les projets de  dette durable, de gérer les relations avec les marchés financiers et d’encadrer la filière carbone  au niveau national. 

Il est tout aussi essentiel de publier chaque année un rapport d’impact du Blue Bond, fondé sur  des données transparentes, auditables, géolocalisées, et accessibles à la société civile et aux  citoyens. L’objectif est de sortir l’opération de la confidentialité et d’en faire un levier de  redevabilité. 

Par ailleurs, l’investissement public dans la conservation doit être significativement augmenté.  Une part plus importante des économies budgétaires réalisées grâce au Blue Bond devrait  bénéficier aux communautés côtières, aux ONG locales, ainsi qu’à la recherche scientifique  nationale. 

Le Gabon gagnerait également à structurer une filière “carbone bleu” hybride, mêlant secteur  public et privé, en partenariat avec des institutions financières locales, des assureurs, et les  grandes plateformes de certification volontaires. 

Enfin, en tant que précurseur, le Gabon pourrait exporter son expertise en construisant une  alliance avec d’autres États africains disposant de zones marines à fort potentiel, comme le  Mozambique, Madagascar ou le Sénégal. Ensemble, ces pays pourraient peser davantage dans  les négociations internationales et promouvoir des solutions hybrides dette/nature sur  l’ensemble du continent. 

V. Pour une révolution climatique à l’échelle de l’État 

L’expérience du Blue Bond montre qu’un pays peut transformer la préservation de son  patrimoine naturel en levier économique. C’est rare. C’est intelligent. Mais ce n’est encore  qu’un début. 

Pour en faire une révolution financière et écologique, il faudra aller plus loin : renforcer la  souveraineté des montages, ancrer la valeur créée localement, et inscrire ces instruments dans  une stratégie claire, concertée et pérenne. 

Car le véritable capital du Gabon ne réside pas uniquement dans ses gisements miniers ou  pétroliers. Il est dans ses forêts, ses mangroves, son océan, et dans sa capacité à les transformer  en richesses durables, équitables, et nationales. 

Le Gabon a ouvert une brèche. Il lui appartient désormais d’en faire une voie. 

Commission Économique du Réseau Ébène

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