Procès de Sylvia et Noureddin Bongo : le Gabon face au miroir de son histoire
Ce lundi 10 novembre 2025, le Gabon retient son souffle. Devant la Cour criminelle spéciale de Libreville s’ouvre le procès le plus attendu depuis l’indépendance du pays : celui de Sylvia Bongo Ondimba et de son fils Noureddin Bongo Valentin. Longtemps intouchables, incarnation d’un pouvoir familial accusé d’avoir transformé l’État en entreprise privée, ils devront répondre d’une série d’accusations lourdes : détournement massif de fonds publics, blanchiment, corruption active, recel, association de malfaiteurs et falsification de la signature du président de la République.
Derrière la procédure judiciaire intentée contre Sylvia Bongo Ondimba et Nourredin Bongo Valentin, une question politique : le Gabon osera-t-il juger l’ancien « clan du pouvoir » à la hauteur des crimes reprochés ?
Quatorze ans de règne familial sur fond de vacance du pouvoir
Lorsque Ali Bongo Ondimba accède à la présidence en 2009, beaucoup croient à l’avènement d’une nouvelle ère. Moderne, jeune, il promet la rupture avec les méthodes de son père. Mais très vite, le rêve tourne au cauchemar. L’homme se replie sur un cercle familial fermé, dominé par Sylvia Bongo Ondimba, son épouse, et leur fils Noureddin, son « conseiller spécial ». Autour d’eux, un réseau d’amis, de conseillers et d’hommes d’affaires transforme la République en maison de commerce privée.
Après l’AVC du chef de l’État Ali Bongo Ondimba en octobre 2018, le pouvoir glisse ouvertement entre les mains de Sylvia Bongo Ondimba et Noureddin Bongo Valentin. « Entre 2019 et 2023, c’est eux qui dirigeaient. Ministres, députés, gouverneurs… tous passaient par le Palais pour recevoir des instructions », confie une source proche du dossier.
Le duo familial régnait par délégation et intimidation. Marchés publics truqués, nominations arbitraires, trafic d’influence : l’État se dissout dans un système d’enrichissement privé, où le nom “Bongo” suffisait à ouvrir toutes les portes. Les Gabonais, eux, subissaient le prix de cette dérive : hôpitaux défaillants, fonction publique exsangue, pauvreté galopante dans un pays pourtant riche de pétrole et de manganèse.
Le procès du clan, mais aussi du système
Ce procès ne juge pas seulement une famille — il juge une culture de l’impunité. Les faits reprochés à Sylvia et Noureddin Bongo révèlent une architecture bien rodée : faux contrats, détournements, placements à l’étranger, manipulation des institutions de contrôle et utilisation de la fonction présidentielle à des fins personnelles.
Parmi les co-accusés : Cyriaque Mvourandjiami, Ian Ghislain Ngoulou, ainsi que deux fils Océni. Tous sont soupçonnés d’avoir participé à un réseau de prédation systémique au cœur même de l’État. Mais l’enjeu dépasse les seuls accusés : c’est la crédibilité de la justice gabonaise qui se joue.
Ce procès, historique, est un test. « Il doit prouver que la justice peut agir sans peur, ni faveur, ni vengeance », confie un magistrat à Gabon Media Time. « Sinon, la confiance du peuple retombera dans le scepticisme ».
Une justice sous le regard du peuple
Si Sylvia et Noureddin ont refusé de se présenter à l’audience, arguant de leur « exil forcé » à Londres, le peuple gabonais, lui, est bel et bien présent, dans les discussions, dans les médias, sur les réseaux sociaux. Partout, un même mot revient : vérité.
Ce procès doit être celui du droit, pas de la revanche. Car la tentation est grande, après des décennies d’humiliation publique et de corruption affichée, de voir dans ce jugement un simple règlement de comptes politique. Mais la justice n’a pas pour mission de venger, elle doit distinguer, établir, juger. Distinguer les responsabilités, établir la vérité, juger sans haine.
Un pays à la croisée des chemins
Le Gabon joue gros. S’il réussit à conduire ce procès avec rigueur, transparence et équité, il enverra un signal fort : plus personne n’est au-dessus de la loi. Dans le cas contraire, il confortera les sceptiques qui y voient déjà un théâtre judiciaire sans lendemain.
Ce lundi 10 novembre, c’est bien plus que Sylvia et Noureddin Bongo qui comparaissent : c’est le passé récent du Gabon.Un passé d’abus, de privilèges et de confiscation de l’État. Un passé que le pays espère, enfin, juger, pour pouvoir, un jour, le dépasser.








GMT TV