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Nzeng-Ayong : déguerpissements, le loisir sacrifié au nom de l’urbanisme ?

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Alors que le gouvernement multiplie les opérations de déguerpissement dans la capitale gabonaise, le quartier de Nzeng-Ayong voit disparaître l’un de ses lieux de vie emblématiques : Les Retrouvailles. En ligne de mire, l’achèvement du canal pluvial censé résoudre les problèmes d’inondation. Mais derrière le discours sur la modernisation, des citoyens délogés dénoncent une brutalité institutionnelle et un mépris social croissant.

Un haut lieu de convivialité réduit au silence. Il fut un temps où Les Retrouvailles de Nzeng-Ayong résonnaient des éclats de voix, des grillades fumantes et des musiques populaires. Ce carrefour du 6e arrondissement, jadis prisé des Librevillois pour ses bars, snacks et commerces de proximité, n’est plus qu’un amas de bâtisses désossées, vidées de leurs toitures, portes et fenêtres par des propriétaires contraints de fuir à la hâte.

« On savait que ça allait arriver. Mais pas comme ça, pas sans concertation », confie un ancien exploitant de la zone. En ligne de mire, le chantier de réhabilitation du canal de Nzeng-Ayong, plusieurs fois interrompu, devenu un point névralgique des débordements pluviaux. À défaut d’informations précises, c’est la peur qui s’installe. « Tout ce qu’on nous dit, c’est que c’est une zone à dégager. Point final. », poursuit-il. 

Une brutalité assumée, des méthodes décriées

La stratégie d’intervention ? Des marques rouges apposées par la municipalité sur les murs : « À démolir sans délai ». Un mot d’ordre aussi lapidaire qu’expéditif, qui réveille de douloureux souvenirs chez les habitants de Plaine-Orety ou d’Owendo, déjà frappés par des casses inattendues. Certains n’ont pas attendu la pelleteuse : ils ont démonté eux-mêmes leurs installations, préférant se sauver que d’être broyés.

« On est tous d’accord pour un meilleur cadre de vie, mais pas pour être traités comme des indésirables », déplore un commerçant expulsé. À Libreville, cette politique de déguerpissement sans préavis devient synonyme de mépris et d’humiliation. Les habitants réclament des délais raisonnables, des relogements dignes, et une communication transparente. « On nous parle de ville moderne, mais on agit avec des méthodes d’un autre âge », s’indigne un riverain.

Quand l’urbanisme rime avec exclusion sociale

Les effets collatéraux sont déjà visibles : flambée des loyers, saturation des logements disponibles, désespoir des petits commerçants chassés de leurs seules sources de revenus. « Une chambre qui coûtait 40 000 coûte maintenant le double. À ce rythme, même vivre devient un luxe », dénonce un habitant du 6e arrondissement. L’assainissement urbain ne peut être un prétexte à la précarisation de milliers de familles.

Si le président Brice Clotaire Oligui Nguema a fait de la modernisation des infrastructures une priorité nationale, les moyens employés interrogent. La transformation d’une ville ne peut se faire contre ceux qui y vivent. En l’absence de mesures d’accompagnement claires et humaines, la modernité risque de ne profiter qu’à une minorité, au détriment de la mémoire sociale et du tissu communautaire. Libreville change, mais à quel prix ?

Morel Mondjo Mouega

Titulaire d'une Licence en droit, l'écriture et la lecture sont une passion que je mets au quotidien au profit des rédactions de Gabon Media Time depuis son lancement le 4 juillet 2016 et de GMTme depuis septembre 2019. Rédacteur en chef

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