Gabon : « Vers un avenir démocratique », le message d’Onanga Y’Obegue aux militaires du CTRI
Dans un contexte marqué par les défis de la transition politique, Ali Akbar Onanga Y’Obegue, ancien ministre et enseignant en droit, adresse un vibrant message aux membres du Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI). Dans ses vœux pour l’année 2025, il invite ces derniers à une réflexion profonde sur leur rôle historique et les enjeux cruciaux liés à la démocratie et à la stabilité de la nation gabonaise. Entre reconnaissance de leurs engagements initiaux et avertissements sur les dérives potentielles, l’ancien ministre rappelle l’importance de respecter les principes fondamentaux de l’État de droit et des engagements pris envers le peuple gabonais et la communauté internationale. Retrouvez l’intégralité de cette tribune sur Gabon Media Time.
« MESSAGE DES VOEUX AUX MILITAIRES DU CTRI
Chers compatriotes Militaires du CTRI,
En ce début d’année 2025, permettez-moi d’abord de vous adresser mes vœux les plus sincères. Des vœux de sagesse, de discernement et de grandeur d’âme dans l’accomplissement de votre mission historique en faveur de l’intérêt général. Dans ce moment crucial pour notre nation, je forme le vœu que vos décisions et vos actions soient guidées par la justice, la raison et l’amour pour le Gabon. Des vœux qui s’accompagnent d’une réflexion fraternelle et profonde que je souhaite partager avec vous en ce moment crucial de notre histoire nationale. À travers réflexion fraternelle et sincère, je souhaite vous fournir tous les éléments nécessaires pour que vous puissiez, en toute connaissance de cause, prendre les décisions qui s’imposent pour le salut de la nation.
Je tiens à m’adresser à vous avec la plus grande solennité, conscient de la gravité des enjeux qui se posent aujourd’hui pour l’avenir de notre nation. Le 30 août 2023, vous avez pris la décision historique et périlleuse d’intervenir dans le cours de notre histoire nationale. Cette action, dont la dangerosité ne peut être sous-estimée, témoignait d’un courage certain face à une situation devenue intenable pour notre pays. Le coup d’État, par sa nature même, représentait un risque considérable non seulement pour vous-mêmes mais aussi pour l’ensemble de la nation. Vous avez choisi d’interrompre un processus électoral dont les défaillances criantes menaçaient la stabilité même de notre République, prenant sur vos épaules le poids d’une décision aux conséquences incalculables.
Cette intervention, bien qu’anticonstitutionnelle par nature, a été accueillie avec un soulagement manifeste par une grande partie de la population gabonaise. Les scènes de liesse populaire qui ont suivi votre prise de pouvoir témoignaient de l’espoir immense que vous aviez fait naître dans le cœur de nos concitoyens. Pour de nombreux Gabonais, vous étiez perçus comme des libérateurs, des garants d’un avenir meilleur. Cet accueil favorable n’était pas le fruit du hasard, mais la conséquence directe des engagements solennels que vous aviez pris devant la nation : restaurer l’intégrité de nos institutions, garantir une transition transparente et inclusive, et surtout, assurer un retour rapide à l’ordre constitutionnel à travers des élections libres et équitables. Même la communauté internationale, généralement prompte à condamner les changements anticonstitutionnels de pouvoir, a fait preuve d’une certaine retenue, reconnaissant implicitement la particularité du contexte gabonais et la nature de vos promesses.
Vos premières actions semblaient confirmer la sincérité de vos engagements. La libération des prisonniers politiques, l’ouverture d’un dialogue avec différentes forces vives de la nation, et vos déclarations répétées sur votre volonté de ne pas vous maintenir au pouvoir avaient créé un climat d’espoir et de confiance. Le peuple gabonais, las des années de gouvernance opaque et non inclusive, voyait en vous les artisans d’un renouveau démocratique tant attendu.
Malheureusement, force est de constater aujourd’hui que vos actions récentes s’écartent dangereusement de ces engagements initiaux. Les décisions que vous prenez concernant le processus électoral sont particulièrement préoccupantes et révèlent une dérive progressive vers des pratiques que vous dénonciez hier encore. La Constitution que vous avez fait adopter comporte des dispositions manifestement discriminatoires, excluant de fait des pans entiers de la population gabonaise de la participation politique. L’interdiction faite aux citoyens de moins de 35 ans et de plus de 70 ans de se porter candidats représente une restriction injustifiée des droits politiques, privant notre pays des énergies de sa jeunesse et de l’expérience de ses aînés. L’exclusion de ceux dont un parent n’est pas gabonais, ou encore les restrictions imposées aux Gabonais mariés à des étrangers, constituent non seulement des violations flagrantes des principes d’inclusivité que vous aviez vous-mêmes proclamés, mais aussi une atteinte à l’unité nationale que vous prétendez défendre.
Plus inquiétante encore était votre volonté, jusqu’à hier, de maintenir l’ancien code électoral, celui-là même dont les défaillances avaient servi à justifier votre intervention. Comment pouvez-vous prétendre incarner le changement tout en perpétuant les instruments qui ont conduit à la crise que vous dénonciez ? Le maintien du fichier électoral contesté, dont les imperfections ont contribué à discréditer l’élection que vous avez interrompue, témoigne d’une incohérence troublante dans votre démarche. Les anomalies de ce fichier sont pourtant bien connues : inscriptions multiples, maintien de personnes décédées, absence de jeunes en âge de voter, et bien d’autres irrégularités qui ont systématiquement entaché la crédibilité de nos processus électoraux.
La précipitation avec laquelle vous entendez réviser ce fichier électoral, sans attendre l’adoption d’un nouveau texte qui garantirait véritablement la transparence et l’inclusivité du processus, suscite de légitimes inquiétudes. L’ensemble de la classe politique et la société civile s’accordent pourtant sur la nécessité d’élaborer un nouveau code électoral, intégrant des dispositions innovantes sur la constitution du fichier électoral. Cette refonte complète permettrait d’instaurer des mécanismes de contrôle efficaces, des procédures de validation transparentes, et des garanties solides pour la sincérité du vote. Votre résistance à cette demande légitime laisse planer le doute sur vos véritables intentions.
Et voilà qu’en ce dimanche 7 janvier 2025, jour férié selon la loi et jour de repos dominical sacré pour les chrétiens, vous nous gratifiez, dans une précipitation qui frise le ridicule, de l’adoption d’un projet de loi organique portant code électoral ! Comme si le fait de violer simultanément la loi des hommes et celle de Dieu allait miraculeusement résoudre les problèmes fondamentaux de notre processus électoral !
Cette attitude est révélatrice de votre conception du dialogue et de la concertation. De la commission de rédaction de l’avant-projet, vous sautez directement au parlement, en enjambant allègrement l’étape cruciale du dialogue politique inclusif. C’est un peu comme si un architecte passait directement du croquis à la construction, en oubliant l’étape essentielle des plans détaillés et des autorisations ! Mais peut-être pensez-vous que les règles du jeu électoral, comme la manne céleste, peuvent tomber du ciel un dimanche, sans consultation ni concertation avec les principaux acteurs concernés ?
Ce n’est pas en bousculant ainsi les procédures et en violant le repos dominical que vous parviendrez à restaurer la confiance dans notre processus électoral. D’autant plus que ce projet de loi adopté à la va-vite semble être un véritable festival d’irrégularités juridiques, quand il ne s’agit pas de violations pures et simples de la loi.
Cette précipitation et cette conduite unilatérale du processus laissent présager des lendemains post-électoraux non pas apaisés, mais potentiellement violents et source d’une nouvelle instabilité pour notre pays.
Mes chers compatriotes Militaires du CTRI,
L’histoire de l’Afrique regorge d’exemples de transitions militaires mal conduites, où les promesses de changement ont été trahies par des ambitions personnelles ou des calculs stratégiques. Ces échecs, souvent marqués par des violences, des crises institutionnelles et des effondrements économiques, doivent servir de leçon.
Au Mali, après le coup d’État de 2020, les militaires se sont engagés à organiser des élections démocratiques dans un délai raisonnable. Cependant, les dirigeants de la transition ont multiplié les décisions unilatérales et les manœuvres pour rester au pouvoir, s’éloignant progressivement de leurs engagements initiaux. Cette trahison a entraîné des sanctions sévères de la CEDEAO, isolant le pays sur la scène internationale et aggravant les difficultés économiques déjà profondes. À ce jour, le Mali peine à rétablir une stabilité politique durable, et le peuple malien continue de souffrir des conséquences de cette gestion imprudente.
Le Burkina Faso, autre exemple frappant, a connu une série de coups d’État successifs en 2022. Les militaires, après avoir promis une transition rapide, ont eux aussi cédé à la tentation du pouvoir, provoquant une instabilité chronique. Cette situation a fracturé davantage le tissu social et affaibli la lutte contre les défis sécuritaires, notamment face à la menace terroriste. Les espoirs initiaux de renouveau ont été remplacés par une désillusion généralisée et une aggravation des crises humanitaires et politiques.
Ces exemples, chers compatriotes militaires du CTRI, sont des avertissements clairs. Lorsque les forces armées s’éloignent de leur rôle d’arbitres pour devenir des acteurs politiques, elles entraînent inévitablement leurs nations dans des crises profondes. Le Gabon ne peut et ne doit pas suivre cette voie.
Mes chers compatriotes Militaires du CTRI,
À cela s’ajoute la perspective particulièrement alarmante de voir un membre du CTRI se présenter à l’élection présidentielle. Cette ambition se heurte frontalement à nos engagements internationaux, particulièrement à la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, que le Gabon a signée le 2 février 2010.
Bien que certains puissent arguer que cette Charte n’a pas été ratifiée par notre pays, cette interprétation ignore une réalité juridique fondamentale : le Gabon est lié par le traité de Vienne sur le droit des traités, qu’il a ratifié le 22 septembre 1988. L’article 18 de ce traité est sans ambiguïté : « Un État est tenu de s’abstenir d’actes qui priveraient un traité qu’il a signé de son objet et de son but, même avant son entrée en vigueur. » Cette disposition crée une obligation juridique claire de respecter l’esprit et les objectifs de la Charte africaine.
Or, cette Charte est explicite dans son article 23 : elle qualifie de changement anticonstitutionnel de gouvernement « tout putsch ou coup d’État contre un gouvernement démocratiquement élu » et le rend « passible de sanctions appropriées de la part de l’Union. » Plus décisif encore, son article 25 alinéa 4 établit une interdiction formelle et sans équivoque : « Les auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement ne doivent ni participer aux élections organisées pour la restitution de l’ordre démocratique, ni occuper des postes de responsabilité dans les institutions politiques de leur État. »
La sévérité de cette interdiction est renforcée par l’alinéa 5 du même article, qui prévoit que « les auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement peuvent être traduits devant la juridiction compétente de l’Union. » Et l’alinéa 7 quant à lui dispose : « La Conférence peut décider d’appliquer d’autres formes de sanctions à l’encontre des auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement, y compris des sanctions économiques. » Ces dispositions ne sont pas de simples recommandations – elles constituent un cadre juridique contraignant visant à prévenir la légitimation a posteriori des coups d’État par les urnes.
Toute tentative de candidature d’un membre du CTRI constituerait donc une violation flagrante de ces engagements internationaux. L’argument de la non-ratification de la Charte ne peut être valablement invoqué face à nos obligations au titre du traité de Vienne. Une telle démarche exposerait non seulement ses auteurs à des poursuites potentielles, mais compromettrait gravement la crédibilité internationale de notre pays et risquerait d’entraîner des sanctions de la part de l’Union africaine et de nos partenaires internationaux.
Le Gabon, en tant que signataire de la Charte africaine de la démocratie, est donc moralement et juridiquement tenu de respecter ses principes fondamentaux, parmi lesquels figure l’interdiction faite aux auteurs de coups d’État de participer aux élections post-transition.
Cette obligation de bonne foi est renforcée par le contexte régional et international actuel. La CEMAC et la CEEAC, dont le Gabon est membre, ont adopté des positions de plus en plus fermes contre les changements anticonstitutionnels de gouvernement. La crédibilité de notre pays sur la scène internationale, déjà fragilisée par les événements récents, serait gravement compromise par une tentative de légitimation du coup d’État à travers les urnes.
Les exemples récents en Afrique sont d’ailleurs particulièrement éloquents. Le Mali, le Burkina Faso et la Guinée se trouvent aujourd’hui dans une impasse politique précisément parce que leurs dirigeants militaires se heurtent au refus catégorique des organisations internationales d’accepter leur candidature aux élections post-transition. Cette intransigeance de la communauté internationale a conduit à des prolongations excessives des périodes de transition, bien au-delà des délais initialement annoncés, et à l’imposition de sanctions qui plongent les populations dans des difficultés considérables.
Ce refus entraîne des conséquences lourdes : Les transitions sont prolongées bien au-delà des dates initialement fixées, créant une instabilité institutionnelle et politique permanente. Des sanctions économiques et diplomatiques sont imposées, plongeant les populations dans la souffrance et accentuant les crises humanitaires.
A contrario, l’exemple du Tchad est particulièrement instructif. Si la transition tchadienne a pu être menée à son terme avec la candidature du Général Mahamat Déby Itno, c’est précisément parce qu’il n’était pas l’auteur du changement anticonstitutionnel de gouvernement qui a conduit à son arrivée au pouvoir. N’étant pas personnellement concerné par l’interdiction de l’article 25 alinéa 4 de la Charte, sa candidature n’a pas rencontré les mêmes obstacles juridiques internationaux.
Ces exemples doivent servir d’avertissement. Toute tentative de légitimer un membre du CTRI par le biais d’une candidature présidentielle plongerait le Gabon dans une situation comparable à celle du Mali, du Burkina Faso ou de la Guinée, avec son lot d’instabilité prolongée, de sanctions internationales et de souffrances pour les populations.
Mes chers compatriotes Militaires du CTRI,
Admettons, de manière tout à fait hypothétique, qu’un (e) membre du CTRI envisage de se porter candidat à l’élection présidentielle. Ne se heurterait-il (elle) pas immédiatement à des obstacles légaux insurmontables ?
En effet, l’article 43 alinéa 9 de la Constitution stipule que tout candidat à la présidence doit jouir de ses droits civils et politiques. Or, le statut particulier des militaires, notamment dans ses articles 73, 74 et 75, limite explicitement l’exercice des droits politiques des militaires et rend incompatible l’exercice de fonctions politiques, comme celle de président de la République, avec le statut de militaire. Ces dispositions interdisent clairement toute activité à caractère politique, sauf à renoncer au statut militaire.
Dès lors, il (elle) serait contraint (e) de déposer l’uniforme pour briguer la présidence. Mais cette transformation de militaire en civil ne créerait-elle pas une situation des plus périlleuses ?
En effet, le jour où l’un (e) des vôtres abandonnera son statut militaire, ne deviendra-t-il (elle) pas, par ce choix même, vulnérable face à ses anciens frères d’armes ? L’histoire récente de notre continent n’est-elle pas parsemée d’exemples où des militaires devenus civils se sont retrouvés exposés aux mêmes méthodes qu’ils avaient eux-mêmes employées ?
Cette situation ne créerait-elle pas un précédent dangereux, légitimant de fait le coup d’État comme voie d’accès au pouvoir ? Les autres membres des forces armées ne pourraient-ils pas être tentés de reproduire ce schéma, considérant que si leur ancien camarade a pu le faire, pourquoi pas eux ? N’est-ce pas là le germe d’une instabilité chronique qui minerait durablement les fondements mêmes de notre République ?
Plus inquiétant encore, celui ou celle qui aura choisi cette voie ne sera-t-il ( elle) pas constamment hanté par la crainte d’un renversement ? Cette peur viscérale ne le (la) conduira-t-elle pas inévitablement à la suspicion permanente envers ses anciens compagnons d’armes ? Ne sera-t-il ( elle) pas tenté d’écarter, voire d’éliminer, ceux qu’il (elle) considérera comme des menaces potentielles, créant ainsi un cycle infernal de purges et de représailles au sein de notre armée ?
Les leçons tirées de nos voisins africains sont édifiantes. Au Burkina Faso, les transitions militaires répétées ont fragmenté le pays et conduit à une instabilité durable. Au Soudan, le refus des militaires de céder le pouvoir a plongé le pays dans une guerre civile sanglante. Peut-il ignorer ces avertissements ? Est-il prêt à risquer d’engager le Gabon sur une voie similaire, avec les mêmes conséquences désastreuses ?
La période transitoire entre la démission et l’élection ne poserait-elle pas des problèmes insolubles de gouvernance ? Un(e) ancien(ne) membre influent du CTRI, même devenu(e) civil, ne conserverait-il (elle) pas une ascendance considérable sur ses anciens frères d’armes ? Cette situation hybride ne compromettrait-elle pas irrémédiablement l’équité du processus électoral ?
Comment la crédibilité du scrutin pourrait-elle être préservée si un (e) ancien(e) membre du CTRI participait à une élection dont il (elle) a lui-même contribué à définir les règles sous son autorité militaire ? Les observateurs nationaux et internationaux ne seraient-ils pas fondés à douter de l’intégrité d’un tel processus ?
Le risque n’est-il pas grand de voir l’élection discréditée avant même sa tenue, exposant le Gabon à de nouvelles tensions politiques et à un isolement diplomatique accru ? La communauté internationale, déjà réservée sur la transition en cours, ne pourrait-elle pas durcir significativement sa position face à ce qui apparaîtrait comme une tentative de légitimation a posteriori d’une prise de pouvoir par la force ?
Face à ces multiples écueils, une interrogation essentielle ne s’impose-t-elle pas : l’ambition personnelle de l’un (e) d’entre vous d’accéder à la présidence peut-elle justifier de faire courir au pays de tels risques de déstabilisation, d’isolement international et de perte de crédibilité ? Le Gabon, dont les citoyens aspirent à la stabilité et au développement, peut-il se permettre de s’engager dans une voie aussi incertaine qui pourrait compromettre son avenir pour de nombreuses années ? Le prix à payer, en termes de cohésion nationale, de stabilité institutionnelle et de vies humaines potentiellement menacées, n’est-il pas disproportionné par rapport aux bénéfices espérés d’une telle aventure personnelle ?
En fin de compte, le jeu en vaut-il vraiment la chandelle, alors même que l’honneur et la fidélité à la patrie exigent de privilégier l’intérêt général ? L’ambition personnelle de l’un ou l’une d’entre vous peut-elle être placée au-dessus du devoir sacré que vous avez envers votre pays ? Ces interrogations doivent être au cœur de votre réflexion, car les conséquences de votre décision marqueront durablement l’avenir du Gabon.
Mes chers compatriotes Militaires du CTRI,
Je sais que certains d’entre vous pourraient être tentés de s’appuyer sur les dispositions que vous avez fait inscrire dans la nouvelle Constitution, notamment celles qui vous accordent une immunité et protègent celle-ci de toute révision future pour croire à une protection intangible les encourageant à passer outre toutes interdictions de se présenter aux prochaines échéances électorales. Mais ces garanties sont plus fragiles qu’elles n’y paraissent. Si vous persistez dans la voie de la confiscation du pouvoir, si vous légitimez le coup d’État comme mode d’accès aux responsabilités politiques, vous créerez un précédent dangereux qui ne manquera pas de faire des émules.
L’histoire récente du Burkina Faso est particulièrement instructive à cet égard. La succession de coups d’État dans ce pays montre comment la légitimation d’une prise de pouvoir par la force encourage d’autres interventions militaires, créant un cycle d’instabilité chronique. Chaque nouvelle junte a cherché à se protéger par des dispositions constitutionnelles similaires, mais ces protections se sont révélées illusoires face aux bouleversements politiques successifs.
La situation en Guinée offre un autre exemple éloquent. La junte au pouvoir depuis 2021, malgré les garanties constitutionnelles qu’elle s’est octroyées, fait face à une contestation croissante qui fragilise sa position. Les dispositions d’immunité qu’elle a fait adopter n’offrent qu’une protection précaire face à la montée des tensions sociales et politiques.
L’histoire nous enseigne que les régimes issus de coups d’État qui tentent de se perpétuer au pouvoir finissent invariablement par provoquer leur propre chute. Dans un tel scénario, rien n’empêcherait un futur gouvernement d’organiser un référendum pour abroger ces dispositions protectrices. La souveraineté appartenant au peuple, aucune disposition constitutionnelle, même présentée comme intangible, ne peut résister à l’expression de la volonté populaire.
Le cas du Mali est particulièrement révélateur. Les différentes transitions militaires qu’a connues ce pays ont toutes cherché à se protéger par des dispositions juridiques similaires. Pourtant, chaque nouveau changement de régime a remis en cause les garanties accordées aux dirigeants précédents, montrant la fragilité de telles protections face aux dynamiques politiques.
La seule garantie véritable de la pérennité de ces protections réside dans le respect scrupuleux de vos engagements initiaux. En demeurant des arbitres impartiaux du processus électoral, en organisant de manière désintéressée le retour au pouvoir des civils, vous donnerez à ces dispositions la légitimité qui leur fait aujourd’hui défaut. Dans ces conditions, nul n’aurait intérêt à remettre en cause une protection justifiée par le service rendu à la nation.
L’exemple du Niger des années 1990 est instructif à cet égard. La transition militaire conduite par le général Saïbou, en respectant ses engagements de retour à la démocratie, a permis une transition pacifique qui a préservé la dignité de l’institution militaire. Les garanties accordées aux acteurs de cette transition n’ont pas été remises en cause, précisément parce qu’elles étaient perçues comme la contrepartie légitime d’un service rendu à la nation.
Mes chers compatriotes Militaires du CTRI,
A chacune de vos apparitions publiques, vous proclamez avec force “Honneur et fidélité à la patrie” et “C’est enfin notre essor vers la félicité”. Ces slogans que vous proclamez fièrement vous engagent à agir avec intégrité et désintéressement. L’honneur véritable réside dans le sacrifice des ambitions personnelles pour le bien commun. La fidélité à la patrie exige que vous placiez l’intérêt national au-dessus de toute autre considération. Et l’essor vers la félicité, que vous promettez au peuple gabonais, ne peut être atteint que dans une démocratie véritablement inclusive et pacifique. Comment pouvez-vous concilier ces proclamations avec des actions qui semblent privilégier des intérêts particuliers au détriment de l’intérêt national ?
Votre rôle, en tant que militaires vous le savez bien, n’est pas de devenir des acteurs politiques, mais de rester des arbitres impartiaux. C’est en respectant vos promesses, en garantissant un processus électoral transparent et inclusif, et en rendant le pouvoir aux civils que vous préviendrez de telles révisions constitutionnelles. En agissant ainsi, vous protégerez non seulement votre honneur, mais aussi celui de l’institution militaire tout entière.
Les militaires professionnels que vous êtes, vous savez que l’honneur exige souvent des sacrifices personnels au profit du bien commun. La véritable fidélité à la patrie ne réside pas dans la recherche du pouvoir, mais dans le service désintéressé de la nation. Si vous invoquez sincèrement l’honneur et la félicité de la patrie, alors la voie à suivre est claire : ces valeurs commandent de renoncer à toute ambition personnelle pour permettre à la patrie de retrouver sa pleine souveraineté démocratique.
La félicité que vous promettez au peuple gabonais ne peut se construire sur la confiscation du pouvoir, mais uniquement sur le respect scrupuleux de vos engagements initiaux. Les conseillers qui vous poussent vers une candidature à l’élection présidentielle ne servent ni vos intérêts ni ceux du pays. Ils vous exposent au contraire à des risques considérables tout en compromettant l’avenir de notre nation.
La communauté internationale suit avec une attention particulière l’évolution de la situation au Gabon. Votre décision de vous présenter ou non aux élections aura des répercussions majeures sur la crédibilité de notre pays et sur ses relations avec ses partenaires. Les sanctions économiques et diplomatiques qui pourraient découler d’une tentative de perpétuation au pouvoir auraient des conséquences dévastatrices sur notre économie et le bien-être de notre population.
Les protestations qui s’élèvent déjà contre vos décisions unilatérales concernant le processus électoral ne sont que les premiers signes d’une contestation qui ne pourra que s’amplifier si vous persistez dans cette voie.
L’expérience du Soudan depuis 2019 montre comment les tensions politiques et sociales créent des divisions au sein même des forces armées, occasionnant des situations qui peuvent conduire à une déstabilisation profonde du pays. La récente guerre civile qui déchire ce pays est le résultat direct de l’incapacité des militaires à honorer leurs engagements de transition et à résister à la tentation du pouvoir.
L’histoire jugera vos actes, et ce jugement dépendra largement des décisions que vous prendrez dans les semaines et les mois à venir. Le choix vous appartient : soit vous entrez dans l’histoire comme ceux qui ont su s’élever au-dessus de leurs ambitions personnelles pour servir leur pays, soit vous risquez d’être considérés comme ceux qui ont trahi leurs engagements et compromis l’avenir démocratique du Gabon.
La nation tout entière vous regarde et attend de vous que vous fassiez preuve de la sagesse et du patriotisme nécessaires pour permettre à notre pays de retrouver le chemin de la démocratie et de la stabilité. C’est là le véritable test de votre engagement envers le Gabon et son peuple. L’heure est venue de démontrer que votre intervention n’était pas motivée par des ambitions personnelles mais par un sincère désir de servir la nation.
Mes chers compatriotes Militaires du CTRI,
En vous adressant cette réflexion fraternelle et sincère, mon intention n’est pas de vous juger ou de vous condamner, mais de vous permettre de décider en toute connaissance de cause. Je sais que certains d’entre vous n’avaient peut-être pas conscience de toutes les implications juridiques, historiques et politiques que je viens d’exposer. J’ai voulu, en patriote et en compatriote soucieux de l’avenir de notre nation, vous apporter ces éclairages essentiels pour vos décisions futures.
Désormais, aucun d’entre vous ne pourra dire qu’il ne savait pas. Aucun ne pourra prétendre avoir ignoré les conséquences de ses choix ou les leçons de l’histoire. En tant que citoyen engagé pour l’avenir de notre pays, j’ai fait ma part : celle d’un patriote qui alerte ses frères d’armes sur les dangers qui nous guettent et les voies de salut qui s’offrent à nous.
La décision vous appartient maintenant, mais elle sera prise en pleine conscience des enjeux et des responsabilités qu’elle implique. Pour ma part, j’aurai la conscience tranquille d’avoir accompli mon devoir patriotique en vous livrant cette analyse fraternelle mais sans concession de notre situation. C’est là ma contribution au salut de notre nation bien-aimée.
L’avenir du Gabon dépend de vous. Faites le choix de la grandeur et de l’unité. Faites le choix de la paix et de la démocratie. Faites le choix du Gabon.
Bonne et heureuse année 2025
Ali Akbar ONANGA Y’OBEGUE
Docteur en Droit, Enseignant à la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de l’Université Omar Bongo
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