Gabon : réguler les réseaux sociaux, l’urgence d’une «police du numérique» à l’image du modèle ivoirien

Face à la prolifération des dérives en ligne, la mise en œuvre de la loi gabonaise sur la cybercriminalité reste lettre morte, faute d’une police spécialisée. À l’instar de la Côte d’Ivoire, le Gabon doit se doter d’un véritable outil opérationnel pour sécuriser son espace numérique au regard de son influence sans cesse grandissante au sein de l’opinion.
À l’heure où les réseaux sociaux redessinent les frontières de l’espace public et modèlent l’opinion à coup de vidéos virales et de live incendiaires, la régulation numérique ne peut plus se contenter d’intentions. Malgré l’adoption en 2023 d’une loi ambitieuse sur la cybercriminalité, le Gabon reste désarmé face aux abus de la toile, faute de moyens humains et techniques adaptés.
Un vide opérationnel aux conséquences inquiétantes
Alors que la loi n°027/2023 du 12 juillet 2023 prévoit la création d’officiers de police judiciaire spécialisés dans la cybercriminalité, ces derniers tardent toujours à être nommés. Résultat : les plaintes pour injures, harcèlement, menaces ou diffamation se font rares. « Le manque de communication du parquet sur le dispositif légal et réglementaire entraîne une inaction des victimes qui pensent que l’internet est un monde où règne l’impunité », confie une source proche du milieu judiciaire.
Le cyberespace gabonais devient ainsi un terrain propice à l’impunité, où l’anonymat favorise les discours de haine, les atteintes à la vie privée et les manipulations identitaires. Les contenus étant souvent supprimés, les procédures s’enlisent, faute d’outils techniques pour les récupérer. Ce qui entraîne un laisser-faire qui fragilise la cohésion sociale et pose un véritable défi à l’autorité de l’État dans l’espace numérique.
Le modèle ivoirien : une inspiration nécessaire
En Côte d’Ivoire, l’expérience de la Plateforme de lutte contre la cybercriminalité (PLCC) fait figure d’exemple. Grâce à une brigade numérique bien formée et active, des influenceurs et vidéastes peu scrupuleux ont été rappelés à l’ordre, voire condamnés, pour diffamation ou atteinte à l’image de tiers. Le message est clair : Internet n’est pas un no man’s land.
« Tout support diffusant de l’information ou de l’opinion de manière massive est un média », rappelait récemment le secrétaire général de la HAAC béninoise. Cette vision, partagée en Afrique de l’Ouest, manque cruellement au Gabon, où les créateurs de contenus opèrent sans cadre ni responsabilité, au mépris de l’éthique et du droit.
Vers une police numérique gabonaise ?
La Haute Autorité de la Communication (HAC), sous la houlette de Germain Ngoyo Moussavou, est interpellée. En lien avec les autorités judiciaires et les ministères techniques en charge du numérique, elle devrait initier une consultation nationale sur la structuration d’un espace numérique responsable. De leur côté, les ministères de la Justice et de l’Intérieur doivent accélérer la désignation des OPJ spécialisés, comme le prévoit l’article 79 de la loi sur la cybercriminalité.
Il en va non seulement de la protection des victimes mais aussi de la souveraineté numérique du pays. Dans une société connectée, garantir la cybersécurité devient un acte républicain. Et seule une police des réseaux sociaux, compétente, formée et investie d’un pouvoir judiciaire adapté, permettra de sortir de l’impasse actuelle où une des premières victimes de ce manque de répression est le président de la République.
Un impératif de souveraineté et de sécurité. Plus que jamais, le Gabon doit faire le choix de la régulation intelligente, à rebours de la censure brutale. Il s’agit d’asseoir un contrat numérique républicain, fondé sur l’éthique, la responsabilité et la protection des citoyens. Car laisser prospérer les dérives numériques, c’est fragiliser les fondements mêmes de la démocratie gabonaise en reconstruction.
GMT TV