Gabon : naissance de la Vème République, rupture ou continuité ?

Alors que le président Brice Clotaire Oligui Nguema inaugure la Vème République sous les acclamations, les Gabonais, eux, retiennent leur souffle. Dans un pays meurtri par des décennies de mal-gouvernance, de détournements et de clientélisme, la promesse d’un renouveau ne saurait être un simple discours. Elle exige une rupture concrète, mesurable, irréversible.
Le 3 mai 2025, en prêtant serment « devant Dieu, nos Ancêtres et le peuple gabonais », le président élu Brice Clotaire Oligui Nguema a posé les fondations d’un changement attendu. « Le mandat qui débute est le vôtre », a-t-il proclamé, promettant de mettre fin à « l’impunité, la corruption, la cupidité, le laxisme et la paresse ». Mais derrière cette rhétorique volontariste, une interrogation centrale hante l’opinion : cette Vème République sera-t-elle celle d’une rupture réelle ou celle d’un recyclage en douceur des pratiques anciennes ?
Un premier gouvernement scruté à la loupe
La composition du premier gouvernement de cette Vème République était très attendue comme un premier signal. Nommer Henri-Claude Oyima, technocrate reconnu, à la tête de l’Économie, des Finances et de la lutte contre la vie chère, peut s’interpréter comme un choix stratégique fort. Tout comme le maintien de profils compétents et techniques tels que Mays Mouissi à l’Environnement, ou la nomination du professeur Adrien Mougougou à la Santé. Ces figures incarnent un espoir de rigueur et d’efficacité.
Le maintien au de Paul Marie Gondjout malgré son incapacité à faire revenir la sérénité au sein de la maison Justice sonne comme une complaisance. Et que dire de la reconduction de Laurence Ndong, malgré la controverse persistante autour de la gestion opaque de la subvention à la presse 2024, jette une ombre sur les engagements affichés de transparence. Peut-on parler de rupture lorsque les symboles de pratiques anciennes restent en poste ? A-t-on changé de République si les logiques d’opacité perdurent ?
Les attentes d’un peuple échaudé
La Vème République, pour exister, devra cesser d’être une simple vitrine constitutionnelle. Elle devra s’incarner dans une justice qui rend la justice, dans une presse véritablement libre, dans une administration dévouée à l’intérêt public. La montée au créneau du CPPPL sur la gestion floue des 500 millions FCFA alloués à la presse, les soupçons autour de l’affaire Opiangah, ou encore le silence face à la crise post-électorale de 2016, sont autant de signaux d’une continuité toxique.
« En matière de justice, les saintes écritures nous enseignent que c’est la justice qui élève une nation », a déclaré le chef de l’État. Dans un pays longtemps miné par l’impunité, cette parole engage. Car celui qui ne tranche pas avec les abus du passé trahit un peuple qui a cru à la parole du changement.
De la parole à la transparence
La Vème République devra être celle d’une gouvernance qui rend compte. Publier les rapports d’audits, sanctionner les dérapages, ouvrir les marchés publics à la concurrence loyale, imposer la redevabilité ministérielle : voilà les réformes qu’attendent les Gabonais.
La fête du 30 août, devenue tournante, ne doit pas être folklorique. Elle doit rappeler l’engagement pris devant le peuple debout. Celui d’écoles réhabilitées, d’hôpitaux fonctionnels, d’emplois pour les jeunes, d’un Gabon moderne et équitable.
Monsieur le Président, l’heure de vérité
En prêtant serment un 3 mai, Journée mondiale de la liberté de la presse, Brice Clotaire Oligui Nguema a fait un choix symbolique fort. Il appartient désormais à son gouvernement de ne pas trahir ce symbole. Gouverner la Vème République, c’est faire primer le droit sur les amitiés, l’intérêt général sur les réseaux, la compétence sur la connivence.
Le Gabon est à la croisée des chemins. La Vème République peut être la promesse tenue d’une nation relevée. Mais elle peut aussi, si les erreurs d’hier perdurent, devenir une promesse trahie. Et cette fois, les Gabonais n’oublieront pas.
GMT TV