Gabon : l’Exécutif à l’origine de l’exfiltration de la famille Bongo, selon Landry Abaga Essono

Alors que la mise en liberté provisoire de Sylvia Bongo Ondimba et de son fils Noureddine Bongo Valentin, suivie de leur exfiltration nocturne vers l’Angola, continue de susciter l’indignation dans l’opinion, le président du Syndicat National des Magistrats du Gabon (SYNAMAG), Landry Abaga Essono, a décidé de sortir de sa réserve. Dans une interview exclusive accordée au confididentiel.ga, le magistrat s’insurge contre ce qu’il qualifie d’ »écart grave » dans le fonctionnement de la justice gabonaise.
« Ils devraient encore être à Gros Bouquet ». Revenant sur les chefs d’accusation de corruption active et haute trahison qui pèsent sur Sylvia Bongo et son fils depuis leur arrestation post-coup d’État du 30 août 2023, Landry Abaga Essono rappelle que la justice ne s’est jamais prononcée sur ces affaires. « De mémoire de magistrats, la justice ne s’est pas encore prononcée sur les faits reprochés à madame Valentin et son fils. Ils devraient donc encore être à Gros Bouquet », a-t-il martelé, visiblement troublé par ce qu’il considère comme une atteinte au processus judiciaire.
« Des instructions venues d’en haut »
Plus inquiétant encore, le président du SYNAMAG soulève la question du départ du territoire, qu’il qualifie de « sortie en catimini », dénonçant l’inaction des agents de la police aux frontières. « Si elle n’a pas réagi, c’est parce qu’elle a reçu instruction de le faire. Vous savez de qui sont venues ces instructions, et ce n’est certainement pas d’un magistrat », a-t-il lâché, pointant directement une interférence de l’exécutif.
À travers ce cas symbolique, Landry Abaga Essono relance un débat plus large : celui de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Selon lui, la situation actuelle découle d’une « incohérence de la Constitution » et de la mainmise du pouvoir exécutif sur le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), dirigé par le Président de la République lui-même. « La Constitution consacre la séparation des pouvoirs, mais place le CSM sous la coupe du chef de l’exécutif. Cette contradiction est la matrice des dérives que nous constatons aujourd’hui », a-t-il expliqué.
Appel à la réforme et à la vérité
Pour sortir de cette crise de confiance, le magistrat plaide pour une réforme structurelle du CSM et une expulsion de tous les membres issus du gouvernement ou du Parlement. « Si on veut garantir une justice réellement indépendante, le président de la République ainsi que tous les membres de l’exécutif et du législatif doivent sortir de la composition du CSM », a-t-il soutenu.
Dans un ton ferme et solennel, Abaga Essono lance enfin un avertissement à l’exécutif : « Les magistrats assument leurs actes. Que l’exécutif assume les siens en disant la vérité au peuple gabonais. Viendra un jour où les magistrats se débarrasseront de leur réserve. À ce moment-là, chacun assumera ses responsabilités devant l’Histoire. »
Ce témoignage rare d’un haut magistrat jette une lumière crue sur les tensions institutionnelles que traverse la 5e République gabonaise, moins d’un mois après l’investiture du président Brice Clotaire Oligui Nguema. Un appel à la lucidité, et sans doute, un avertissement à ne pas balayer d’un revers de main.
GMT TV