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Gabon: les comptes au rouge, les éléphants blancs et la dette sombre

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Dans cette tribune, Christian EMANE NNA, livre son regard sur la gestion des finances publiques dans notre pays. Il se penche sur « les défaillances » des pratiques d’exécution budgétaire, « le désert infrastructurel et le marasme économique et social ». Puis, il analyse en chiffres la « toxicité » de la dette, dont il fait une revue accablante, tout en profilant le risque de « défaut souverain » et la « déchéante » compétitivité de notre pays. 

Conformément à une directive de la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), le Gabon, par transposition, avait adopté en mai 2015, la budgétisation par objectifs de programme. En substance, la vocation de cette réforme était de modifier le cadre juridique de l’exécution budgétaire pour améliorer la cohérence, la performance, la transparence et la soutenabilité des finances publiques, en lien avec les priorités de développement.

Malheureusement, en dépit de cette évolution édictée par la CEMAC et mise en œuvre lors de l’exercice budgétaire 2016, le système de gestion des finances publiques du Gabon est demeuré contre-performant, n’offrant aucun gage d’efficience en matière budgétaire. D’ailleurs, en 2018, seulement deux ans après sa mise en application, la Budgétisation par Objectif Programme jugée « contre-productive » par les autorités gabonaises, a été abandonnée, au mépris d’une décision communautaire élargie à l’ensemble des pays de la zone franc. A l’évidence, cette réforme semble avoir été aussi contraignante qu’incommodante pour les tenants du pouvoir au Gabon, accoutumés à une chaîne de préparation, de programmation, d’exécution et de contrôle budgétaire à l’antichtone de l’efficacité et de la sincérité.

Finances publiques : entre défaillance systémique et contre-performance structurelle

À l’instar de l’essentiel des activités de l’État, la gestion des finances publiques présente des défaillances systémiques qui engendrent des contre-performances structurelles, en matière de respect des normes, de procédures de comptabilité publique et de production des états financiers. Les procédures dérogatoires, les opérations extrabudgétaires et les violations du cadre normatif de la collecte des ressources de l’État et de la dépense publique, sont récurrentes. Les dispositifs de contrôle et d’audit interne et externe, de contrôle du Parlement et de certification de la Cour des comptes, sont plus que jamais des passoires, favorisant ainsi, les dérives budgétaires et la déperdition financière.

Dans ce contexte entravant pour la mobilisation des ressources et déficient pour la dépense publique, l’État présente des comptes structurellement au rouge. En l’occurrence, concernant les recettes, les exonérations fiscales oscillent en moyenne entre 25% et 30% des recettes fiscalo-douanières ; le cumul du secteur informel et de la fraude fiscale, est estimé à 52% du PIB ; les  transferts de bénéfice vers l’étranger sont évalués à 4,4% du PIB ; les fortunes offshores détenues par des Gabonais se chiffrent, quant à elles, à 10,8% du PIB. En conséquence, l’État qui fait régulièrement recours à la dette pour assumer ses charges, affiche depuis 2013, à l’exception des années 2014 et 2019,un déficit budgétaire structurel. Plus précisément, en rapport au PIB, le déficit budgétaire du Gabon était de l’ordre de -3,7% en 2013, -1,12% en 2015, -4,71% en 2016, -1,7% en 2017, -0,21% en 2018, -2,19 en 2020, -3,4 en 2021, avec un objectif de -0,3% en 2022, mais qui, vraisemblablement, ne sera pas atteint.

Inéluctablement, l’action publique se trouve limitée dans ses capacités au service de l’inclusion sociale et de la relance économique. En effet, en 2022, 35% de nos compatriotes vivent dans l’extrême pauvreté, contre 33,4% en 2017 et 30% en 2013. Le taux de chômage qui atteint 26% chez les actifs et 35,7% chez les jeunes de moins de 24 ans, est le plus élevé de la CEMAC. Pour ce qui est de la croissance économique, elle était de 0,5% en 2017, pour un objectif de 3%, de 0,8% en 2018, en dessous des 3% visés, exceptionnellement en augmentation à 3,9% en 2019, puis elles’écroule, en récession à -1,8% en 2020, très loin des 3,9% escomptés, avant de revenir à 1,5% en 2021, mais en dessous des 2,1% prévus. Au demeurant, la croissance économique du Gabon, très largement en dessous du minimum de 5% sur plusieurs années, nécessaire pour embrayer la transformation, est sans impact sur le développement.

Le désert infrastructurel et le marasme économique et social

Déplorablement, après treize ans de pouvoir et près de 40 000 milliards de FCFA de budget cumulé, les gouvernants actuels, qui ont promis « l’émergence » du Gabon en 2025, ne proposent aux Gabonais que le contre-pied de leurs aspirations et la déchéance de notre pays. A l’évidence, l’essentiel des projets structurants étant aussi irréalisés qu’improbables, en dépit des financements alloués, notre pays est désormais un désert infrastructurel, un gigantesque zoo aux éléphants blancs.

Pour être plus précis, en matière d’investissements structurants, nous accusons un énorme déficit dans la construction des écoles et des universités ; des centres hospitaliers, des dispensaires et des centres de recherche ; des infrastructures routières, ferroviaires, aéroportuaires et technologiques ; des centres culturels et de loisirs ; des complexes sportifs de proximité ; des complexes touristiques ; des centres d’affaires et de conférence ; des complexes commerciaux ; des logements sociaux ; des réseaux de fourniture d’eau potable et d’électricité ; des équipements industriels et agricoles ; des bâtiments administratifs ; des lieux d’accueil pour les personnes vulnérables. Dans ce contexte, il est impossible pour notre pays de devenir autre chose qu’une ruine.

Concernant les politiques publiques, l’inertie et l’incapacité sont les maîtres-mots de l’action de l’État : insuffisance de postes budgétaires pour les agents publics ; insuffisance des moyens de fonctionnement pour les différents services publics ; inexistence de l’aide aux petites et moyennes entreprises ; absence de mesures pour maintenir le pouvoir d’achat, favoriser l’autosuffisance alimentaire et la création d’emplois ; absence de dispositifs d’aide sociale aux plus démunis et au plus vulnérables ; déliquescence du système de santé ; déchéance du système éducatif ; défaillance du système des retraites, désormais à l’agonie ; menaces permanentes sur les acquis sociaux des salariés et les bourses d’études des élèves et des étudiants. De plus, la parfaite estampe du marasme économique et social de notre pays, c’est la difficulté à se faire établir une simple carte nationale d’identité, une démarche sommaire qui relève du parcours du combattant au Gabon.

La toxicité de la dette publique et l’improbabilité des projets de développement

Au registre de la dette, celle de notre pays culmine à 7000 milliards de FCFA, pour un encours en augmentation de 14%, du fait d’une progression des engagements intérieurs, de l’ordre de 52% entre 2020 et 2021. Le stock global de cet abîme présente désormais un ratio de 77,4% du PIB, alors qu’il était de 59,9% en 2019. En outre, la dette par habitant qui était de 680 000 FCFA en 2009 et de 2,7 millions de FCFA en 2020, se situe à plus de 3,1 millions de FCFA en 2022. Le service de la dette, au plus haut de sa toxicité, n’est pas en reste. Il a coûté à l’État 88,5% des recettes budgétaires en 2020, contre 37% en 2019. Dans ces conditions, avec une dette aussi sombre, il est impossible pour les gouvernants d’impulser la dynamique et susciter la confiance nécessaire à la transformation du Gabon.

Résolument, c’est le produit de l’investissement qui consolide le remboursement de la dette. Un examen de celle du Gabon, en lien avec les projets auxquels elle était destinée, pourrait anéantir l’indulgence des analystes et des gestionnaires les plus exorables. En effet, une revue, non exhaustive, des concours des principaux bailleurs de fonds, durant les sept dernières années, en partant donc de 2015, permet de mesurer l’étendue de la mal gouvernance dans notre pays.

Au titre des interventions de la Banque Africaine de Développement (BAD), le portefeuille couvrant le programme indicatif de prêts du Document de Stratégie Pays (DSP) 2016-2020, s’évaluait à 811 milliards de FCFA. Le Fonds Monétaire International (FMI), pour sa part, a octroyé à notre pays dans le cadre du Mécanisme élargi de crédit, 380 milliards de FCFA pour la période 2017-2019, puis 306 milliards FCFA pour 2021-2023, soit un montant global de l’ordre de 686 milliards de FCFA. En ce qui concerne le groupe de la Banque Mondiale (BM), il a alloué au Gabon plus 400 milliards de FCFA entre 2015 et 2017 et 115 milliards de FCFA en 2019, soit plus de 515 milliards de FCFA. Le portefeuille de la Banque Islamique de Développement (BID) quant à lui, se chiffrait à 300 milliards de FCFA au 1er mars 2022. Enfin, en plus de sa contribution de 530 milliards de FCFA sur la période 2010-2017, qui empiète donc la période retenue pour la présente revue, l’Agence Française de Développement (AFD) avait accordée à notre pays, fin 2017, une aide de 147 milliards de FCFA, portant jusqu’en 2019, complétée en 2022 par un autre appui de 74 milliards de FCFA, soit, 221 milliards de FCFA supplémentaires sur la période 2017-2022.

En dépit de ces différents concours apportés au Gabon, auxquels on peut ajouter les 332 milliards de FCFA, reçus de divers partenaires entre 2020-2022, pour renforcer la résilience face à la Covid-19 et les 458 milliards de FCFA de l’emprunt obligataire de 2021, les projets et programmes prévus pour l’amélioration des conditions de vie des Gabonais, demeurent invisibles, imperceptibles et improbables.

Proche du défaut souverain : la solvabilité et la compétitivité du Gabon plus que jamais dégradées

Unanimement, les agences de notation qui évaluent la solvabilité et la compétitivité des États, ne s’y trompent pas en profilant celle de notre pays. Les trois principales « Big Three » que sont Standard & Poor’s, Fitch Ratings et Moody’s, ont attribué respectivement au Gabon des notes souveraines de CCC+, CCC, réévaluéeen BB-, et Caa1 en 2021, correspondant à « un risque élevé », contre BB-, BB- et Ba3 en 2011, qui traduisait déjà une situation « spéculative », donc instable. La note souveraine du Gabon qui a enregistré une chute de 4 grades en dix ans, se situe désormais 16 grades en-dessous de AAA, qui indique une note « de première qualité » et à 5 grades seulement du D, correspondant « au défaut de paiement », autrement dit, du défaut souverain ou de l’insolvabilité. De plus, le reculpermanent de notre pays, qui est passéde la 99e place en 2013, à la 119e place en 2019, au classement de l’indice mondial de compétitivité, soit une perte de 20 places en six ans, confirme la trajectoire déchéante de nos investissements structurants et de notre développement.  

Il est temps que Le trou noir dans lequel est plongé notre pays, interpelle l’ensemble de nos partenaires techniques et financiers. Ces derniers, à l’instar du Fonds Monétaire International sur la gestion de la Covid-19 au Gabon, doivent exiger aux gouvernants, des audits sur la finalité, la rationalité, la matérialité et l’impact de leurs différents concours et interventions dans notre pays. Aussi, pour répondre aux exigences de transparence et de redevabilité à l’égard des différents acteurs, les rapports de ces audits, en plus d’une transmission à chacun des bailleurs de fonds concernés et à toutes les institutions intéressées, doivent être accessibles aux partis politiques, aux organisations patronales et syndicales, à la société civile et à tous les citoyens.

Christian EMANE NNA, Spécialiste en Management des Politiques Publiques

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