Gabon : le fusil de chasse, arme silencieuse d’un fléau national que l’État ne contrôle plus

Alors que le cadre légal encadrant l’usage des armes au Gabon demeure strict, les récents faits divers survenus à Bongoville, Mayumba ou Port-Gentil révèlent une constante glaçante : le fusil de chasse, pourtant réglementé, devient l’outil récurrent de violences sanglantes, dans les foyers, les campagnes et parfois même entre les mains de ceux censés incarner l’ordre. Constate notre confrère Gabonreview dans une analyse publié ce mardi 29 juillet 2025.
Derrière les visages endeuillés de familles brisées, un même instrument revient avec insistance : le fusil calibre 12. Longtemps utilisé pour la chasse ou la protection dans les zones rurales, il devient de plus en plus l’arme d’un drame conjugal, d’une expédition punitive, d’un crime ordinaire, échappant à tout contrôle rigoureux. À Bongoville, le soir du 24 juillet dernier, une femme a été tuée à bout portant par son conjoint, avant que ce dernier ne retourne l’arme contre lui. À Mayumba, un jeune homme succombait quelques jours plus tôt à ses blessures après avoir été atteint au thorax dans une altercation villageoise.
Des chiffres inquiétants et une régulation quasi inexistante
Selon des données obtenues auprès de sources sécuritaires, près d’une douzaine de décès par armes à feu ont été enregistrés au Gabon depuis juillet 2024, dans huit provinces. Fait marquant : dans plus de 80 % des cas, l’arme en cause était un fusil de chasse. Pourtant classé comme arme de 3ᵉ catégorie, son acquisition reste relativement simple : peu de contrôles chez les armuriers, absence de marquage systématique, et surtout inexistence d’un registre numérique fiable dans la majorité des brigades de gendarmerie.
« L’État a laissé ces armes entrer dans les foyers sans en mesurer les conséquences. Ce n’est pas le fusil qui tue, c’est l’absence de contrôle », déplore un magistrat du parquet de Mouila, qui évoque des dossiers de plus en plus fréquents de meurtres domestiques par arme à feu.
Un encadrement légal ignoré sur le terrain
Si la loi de 1983 encadre théoriquement l’acquisition, le port et l’usage des armes à feu au Gabon, dans la pratique, ce dispositif est contourné ou tout simplement ignoré. La révision du Code pénal de 2021 n’a pas suffi à rétablir un contrôle effectif. Dans les zones rurales, de nombreux fusils circulent sans aucun enregistrement. Ils sont transmis de père en fils, prêtés à des proches, parfois loués contre quelques billets. Une situation à haut risque.
Même les forces de l’ordre ne sont pas épargnées. À Port-Gentil, un policier a récemment abattu un civil lors d’une opération de routine. « Il était seul, non encadré, sans caméra ni témoin », confie une source interne à la PJ. Une intervention armée en dehors des standards de sécurité, devenue trop fréquente dans un pays en pleine refondation sécuritaire.
Traçabilité, encadrement et transparence : une réforme de fond s’impose
Face à ce danger devenu structurel, les experts plaident pour une réforme complète du système de régulation des armes civiles. D’abord, en imposant le marquage obligatoire de tous les fusils de chasse encore en circulation. Ensuite, en instaurant un registre électronique départemental centralisé, accessible aux forces de l’ordre et régulièrement mis à jour. Enfin, en conditionnant chaque port d’arme à une autorisation renouvelable, liée à une formation obligatoire.
« Il faut désarmer le silence », martèle un officier supérieur à la retraite. « Le gouvernement doit publier des rapports réguliers sur les homicides liés aux armes à feu, province par province. On ne peut plus cacher cette réalité sous le tapis. »
Car au Gabon, chaque fusil non contrôlé est une menace potentielle. Chaque drame est une plaie qui s’ouvre dans le tissu déjà fragile du vivre-ensemble. Il ne s’agit plus d’attendre qu’un autre tir retentisse dans un village, dans un poste de police, ou au sein d’un foyer. Il s’agit d’agir. Et vite.
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