Gabon : la naturalisation de “L’Oiseau Rare”, pouvoir discrétionnaire du Président !
La décision de naturaliser “L’Oiseau Rare”, célèbre artiste de la scène urbaine gabonaise, a récemment suscité des débats passionnés. Dans un contexte où le Gabon cherche à renforcer son identité culturelle et à promouvoir ses talents, cette initiative éclaire le rôle du Président de la République dans l’attribution de la nationalité. Le Pr Patrice Moundounda Mouity, universitaire et député à l’Assemblée Nationale de la Transition, l’explique dans ce libre propos que nous publions ci-dessous in extenso. Lecture.
« Il est souvent recommandé en communication de ne s’exprimer sur ce que l’on sait et non pas sur ce que l’on croit savoir ».
Je ne sais pas si certains de nos compatriotes connaissent au fond ce que Président de la République veut dire et les pouvoirs dont il dispose y compris à titre discrétionnaire et même exceptionnel.
Pour des raisons de salubrité pédagogique citoyenne, je pense qu’il est utile et bienvenu de remettre à l’endroit, le débat à l’envers, volontairement et politiquement orienté sur la naturalisation de “L’oiseau Rare”. Néanmoins, je l’admets. Quoique discutable, il reste pour le moins respectable. C’est la Démocratie. Chacun se positionne selon son angle de vue.
Si j’ai fort bien compris, le problème posé est celui semble-t-il du non-respect des conditions d’attribution de la nationalité gabonaise, en lien avec les pratiques de l’ancien pouvoir, il demeure néanmoins que le Président de la République dispose, dans le contexte actuel, de ce pouvoir de naturalisation à titre discrétionnaire en fonction de ses avis et considérations, dès lors qu’ils sont de prime abord conformes à la législation en vigueur.
C’est dire, que cette attribution ne repose pas que sur les motivations personnelles du Chef de l’État. Sa discrétion est encadrée par le droit, c’est-à-dire, les conditions objectives d’acquisition de la nationalité. Le Président de la République étant soumis à la loi, sa discrétion ne peut pas la remettre en cause. Il l’a donc visiblement fait conformément à la loi qu’il ne peut outrepasser. Dire publiquement que les conditions d’attribution n’étaient pas réunies restent à démontrer en attaquant cette décision devant les juridictions compétentes et non uniquement à travers les réseaux sociaux.
Conformément à un certain nombre de textes juridiques conformes à la Constitution, notamment :
-La loi n°37/98 du 20 juillet 1999 portant Code de la Nationalité Gabonaise, ensemble les textes modificatifs subséquents ;
-Le décret n°000767/PR/MJGS du 16 octobre 2002 portant application de certaines dispositions du Code de la Nationalité Gabonaise ;
-Le décret n°00808/PR/MJGS du 20 octobre 2008 portant modification de certaines dispositions du chapitre V du décret n°000767/PR/MJGS du 16 octobre 2002 portant application de certaines dispositions du Code de la Nationalité Gabonaise ;
-L’acquisition de la nationalité gabonaise est possible par voie de naturalisation sous l’effet d’une décision discrétionnaire du Président de la République, qui prend la forme d’un décret.
Étant un artiste de la culture urbaine qui participe à travers ses sonorités au rayonnement du Gabon sur le plan national et même international, ce facteur seul autorise à penser que, l’artiste “L’Oiseau Rare” qui porte haut, les couleurs du Vert-Jaune-Bleu, et qui vit régulièrement au Gabon, ne mérite pas moins d’obtenir la nationalité.
“L’oiseau Rare” naturalisé est un modèle d’exemplarité et d’espoir à bien des égards pour une partie de la jeunesse : on peut passer du statut de vie pathologique à celui de vie normale en procédant à l’ajustement de nos comportements et habitudes. La réinsertion sociale après la prison est donc tout aussi possible dans la vie au Gabon.
Sortons des condamnations sans appel et des prescriptions fatalitaires pour construire le “nouveau village”.
Pour ne pas conclure, retenons ici que la discrétion du Président de la République porte sur, d’une part, la décision d’agir en ce sens, et ce, en faveur de la personne de “L’oiseau Rare” et, d’autre part, sur l’opportunité de le faire sur la base d’une large marge d’appréciation de certaines conditions d’attribution dont il bénéficie, avant de décider in fine de matérialiser cette décision. Elle est donc fondée sur certaines conditions et celles-ci sont fixées par la loi. Le Président de la République ne peut ni les outrepasser ni en créer de nouvelles.
C’est donc un truisme de rappeler qu’un pouvoir, fut-il discrétionnaire, doive s’exercer conformément à la loi dans un État de droit.
“L’oiseau Rare” remplit les conditions d’âge, de résidence (qui peut connaître des exceptions) y compris celles relatives à la bonne vie et aux mœurs dont la marge d’appréciation appartient amplement au Chef de l’État, et à l’aptitude physique. Ainsi, la condition qui semble faire polémique est celle qui est relative à ses anciennes condamnations. Or, il se trouve qu’une ancienne condamnation permet d’interdire la naturalisation d’un individu seulement si cette condamnation n’a pas été effacée par la réhabilitation ou l’amnistie. Il semblerait que “L’oiseau Rare” est censé bénéficier d’une réhabilitation de plein de droit conformément à l’article 60 al 1 à 5 du Code pénal, qui efface toutes les incapacités et déchéances qui résultent de certaines condamnations en vertu de l’alinéa 6 de la même disposition.
Le Président de la République se fonde par conséquent sur toutes ces conditions légales pour naturaliser qui il veut, pourvu que son appréciation de certaines d’entre elles pour le moins subjectives, ne soit pas manifestement contraire à la loi. Et dans ce cas de figure, c’est surtout la violation manifeste qui peut rendre l’appréciation du Président de la République illégale. Mais cela, c’est surtout à un juge compétent d’en décider.
Compatriotiquement et bien fidèlement ! »
Pr Patrice Moundounda Mouity
Universitaire et Député à l’Assemblée Nationale de la Transition