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Gabon : Fuite des cerveaux, quand le Gabon fabrique l’exil qu’il déplore

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En annonçant la suspension des bourses d’études pour le Canada et les États-Unis à partir de 2026, au motif de la « fuite des cerveaux », le président de la République et Chef du gouvernement Brice Clotaire Oligui Nguema a relancé un débat aussi vieux que récurrent. Mais derrière la dénonciation, c’est l’aveu d’un échec collectif. Car si les jeunes refusent de rentrer, c’est moins par rêve d’ailleurs que par absence d’horizon ici au Gabon.

L’exil n’est pas un projet, c’est un refuge. La fuite des cerveaux n’est pas un choix délibéré, encore moins une trahison. C’est la conséquence directe d’un pays qui ne donne plus envie à une partie importante de sa jeunesse. Quand des jeunes Gabonais brillants, formés dans les plus grandes universités étrangères, choisissent de rester là-bas, ce n’est pas parce qu’ils détestent le Gabon. C’est parce qu’ils savent qu’en revenant, ils risquent de s’éteindre à petit feu comme cela a déjà été le cas pour nombreux d’entre eux.

Absence de débouchés professionnels, mépris des compétences, règne du piston et de l’arbitraire : voilà ce qui attend la plupart de nos diplômés au retour au pays. Au lieu d’un parcours d’intégration digne, c’est le déclassement social assuré. Et dans ce contexte, espérer leur retour sans rien changer relève du cynisme.

Former pour exporter ? Ou créer pour accueillir ?

Plutôt que de fermer les portes du monde à notre jeunesse, ne faudrait-il pas ouvrir celles du pays à ses talents ? Si le Gabon investit pour former des étudiants à l’étranger, c’est pour qu’ils reviennent et bâtissent. Mais ils ne reviendront pas dans un désert d’opportunités où seule la Fonction publique, selon le gouvernement, constitue une débouchée. Ils ne reviendront pas pour être méprisés, sous-payés, ou marginalisés. Ils ne reviendront pas dans un pays où le mérite est un handicap, et où la compétence est suspecte.

Et lorsqu’ils osent créer leur propre entreprise, malgré toutes les embûches, le système les frappe à nouveau. Même lorsqu’un contrat est signé dans les règles de l’art, homologué par la Direction générale des impôts (DGI), avec paiement des taxes à l’appui et prestation dûment exécutée, il suffit qu’un nouveau directeur général arrive à la tête d’une structure publique ou parapublique pour que tout soit remis en cause. Plus rien n’existe. La structure étatique oublie ses engagements, et l’entrepreneur, lui, est étranglé par des dettes.

Le cas de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), dirigée par Marius Issa Nkori, en est une des illustrations dramatiques. Cette institution, pourtant censée soutenir le développement, refuse depuis des mois de payer une PME gabonaise, prestataire légalement engagé, qui emploie près d’une vingtaine de jeunes Gabonais, pour la plupart chefs de famille. Le contrat est ignoré, les preuves balayées, les procédures piétinées. Résultat : la société est poussée vers la faillite. Voilà comment on tue l’ambition. Voilà une des raisons pour lesquelles des cerveaux fuient le Gabon.

Le vrai défi, c’est de faire du Gabon un pays qui fait rêver

Tant que l’on ne reconstruira pas un pays dans lequel un ingénieur n’est pas confiné à des tâches subalternes, où une jeune diplômée n’attend pas des années un contrat digne de ce nom, rien ne changera. Le discours patriotique, aussi légitime soit-il, ne suffira pas à inverser la tendance. Car servir son pays, c’est noble. Mais on ne peut servir un pays qui vous ostracise et vous réduit à la précarité quand bien même vous vous battez déjà pour survivre. À défaut d’un électrochoc, la fuite des cerveaux deviendra la norme. Et le Gabon, une pépinière de talents pour les économies étrangères.

Le politique ne peut plus détourner le regard. Le président Brice Clotaire Oligui Nguema a clairement affiché sa volonté de rupture et de reconstruction nationale. Mais cette reconstruction commence par une vérité : un pays sans stratégie d’accueil pour sa propre élite intellectuelle est condamné à rester dépendant et vulnérable. Il ne s’agit pas de dénoncer les jeunes qui partent, mais de se demander pourquoi ils ne reviennent pas. Et plus encore : pourquoi ceux qui reviennent et entreprennent sont étouffés, déconsidérés et marginalisés par les institutions censées incarner l’État.

La fuite des cerveaux n’est pas une anomalie. C’est un symptôme. Celui d’un pays qui doit cesser de se regarder dans le rétroviseur et prendre enfin le virage du mérite, de la compétence et de l’audace. Il est temps que le Gabon devienne un choix, pas une contrainte. Et pour cela, l’État doit cesser d’accuser ceux qui partent, et commencer à protéger véritablement ceux qui rentrent et entreprennent. Parce qu’en réalité, ce n’est pas la jeunesse qui fuit le pays. C’est le pays qui abandonne sa jeunesse.

Harold Leckat

Juriste contentieux, Fondateur et Directeur de publication. "La chute n'est pas un échec. L'échec est de rester là où l'on est tombé ", Socrates

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