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Gabon : comprendre la notion de prescription en matière de diffamation par voie de presse

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L’affaire récente impliquant Monsieur Harold Leckat, directeur de publication de Gabon Média Time, convoqué par la Direction Générale des Recherches pour des faits remontant à Janvier 2023, nous invite à examiner avec précision le régime juridique applicable à la diffamation par voie de presse au Gabon, particulièrement au regard des délais de prescription et des évolutions législatives récentes. D’ores et déjà, la diffamation constitue, selon la doctrine juridique établie,l’allégation ou l’imputation d’un fait précis de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne ou d’un corps constitué. Cette infraction se distingue de l’injure publique par son caractère factuel et précis, nécessitant l’établissement d’éléments constitutifs rigoureux. Au Gabon, cette définition s’inscrit dans un cadre législatif dual, combinant les dispositions du Code pénal et celles du Code de la communication audiovisuelle, cinématographique et écrite.

Néanmoins, l’examen de la matière ne saurait faire l’économie de la prise en considération du droit du public à l’information et du rôle démocratique fondamental des journalistes. À ce titre, l’article 37 du Code gabonais de la communication consacre expressément que « les professionnels de la communication bénéficient d’une totale liberté quant à l’accès, la collecte et l’exploitation de l’information », tandis que l’article 24 précise que « le journaliste doit être libre de toute obligation envers tout intérêt autre que le droit du public à connaître la réalité des faits ». Une telle architecture juridique révèle la tension permanente entre la protection des droits de la personnalité et la garantie constitutionnelle de la liberté d’expression et d’information. Par conséquent, la bonne foi journalistique constitue ici un critère déterminant dans l’appréciation de la licéité des propos tenus, notamment lorsque l’information diffusée procède d’un impératif d’intérêt général et respecte les exigences déontologiques de vérification et de contextualisation.

Analysons ensuite la notion du délai de prescription de Six Mois  sous le prisme du Droit Gabonais. L’article 134 du Code gabonais de la communication issue de la Loi  07/2001 avant sa réforme, institue un délai de prescription particulièrement bref de six  mois pour engager une action en diffamation par voie de presse. Il s’agit d’un délai d’ordre public et d’interprétation stricte, qui court à compter de la date de première publication ou diffusion des propos litigieux. Cette brièveté s’inscrit dans une logique de célérité propre au contentieux de presse, permettant une résolution rapide des différends tout en évitant que des poursuites ne puissent être engagées de manière intempestive après un délai excessif.

Abordons à présent la révolution juridique qui consacre la dépénalisation du délit de Presse. C’est une évolution majeure dans le paysage juridique gabonais intervenue avec l’Ordonnance n°00012/PR/2018 du 23 février 2018, laquelle a consacré la dépénalisation du délit de presse. Cette réforme fondamentale, complétant la loi n°019/2016 du 9 août 2016, a retiré au droit pénal sa compétence traditionnelle en matière de contentieux de presse. L’article 199 bis du Code de la communication dispose désormais explicitement que « les sanctions applicables aux infractions commises par voie de presse ne peuvent être d’ordre pénal ». Ladite dépénalisation entraîne des conséquences procédurales majeures dont la principale implique que les officiers de police judiciaire, les procureurs de la République et les juridictions pénales n’ont plus compétence pour connaître des infractions de presse. La Haute Autorité de la Communication (HAC) devient ainsi l’organe de régulation exclusif, seul habilité à sanctionner les manquements professionnels par voie administrative. Le principe de ce bouleversement majeur s’inscrit dans un mouvement international de protection renforcée de la liberté de presse, le Gabon ayant d’ailleurs progressé de la 56ème à la 41ème place au classement mondial de Reporters Sans Frontières entre 2024.

Enfin, pour revenir au cas d’espèce de l’affaire Harold Leckat, convoqué par la DGR pour des faits remontant à Janvier 2023 à la suite d’une plainte du principal du collège de Bakoumba suspendu pour des dysfonctionnements dans son établissement, plusieurs observations juridiques s’imposent. Premièrement, le délai de prescription de six mois prévu par l’article 134 du Code de la communication gabonais dans sa rédaction antérieure (2001) demeure en vigueur, en l’absence de dispositions contraires dans la nouvelle loi de 2016, et paraît manifestement expiré si les faits allégués datent effectivement de 2023. D’ailleurs, l’article 13 de la loi n°019/2016 dispose expressément que : « L’exercice du droit de réponse ou de rectification se prescrit par trois mois à compter de la date de diffusion du contenu jugé litigieux », droit qui n’a pas été exercé par le plaignant, tandis que la prescription est quant à elle acquise. Deuxièmement, la convocation par les services de police judiciaire d’un journaliste pour des faits relevant de son activité rédactionnelle constitue une violation flagrante de l’ordonnance de 2018 dépénalisant les délits de presse et confiant la compétence exclusive à la HAC. 

Cette situation illustre malheureusement la persistance de pratiques contraires au droit positif et nécessite une clarification urgente des procédures applicables en la matière.

#Être & #Durer 

Me Vivien PEA

Avocat à la Cour

Gabon Media Time

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