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Gabon : Le président Oligui Nguema face aux défis de la gabonisation de l’emploi

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Le président de la République Brice Clotaire Oligui Nguema, a relancé le débat sur la sous-représentation des Gabonais dans les entreprises étrangères. La filiale bancaire de BGFI basée au Sénégal était particulièrement visée. Au Gabon, nombre d’entreprises internationales emploient davantage des dirigeants expatriés pour occuper les postes clés, au détriment des gabonais dotés des mêmes des compétences pour autant. À l’instar de Léon MBA et de Omar Bongo, il défend une vision dite : « Gabon d’abord ». Y parviendra-t-il ? par quels moyens ?

Gabonisation des emplois : vers le plein emploi ?

Le 3 mars 2025, le candidat Oligui Nguema officialise sa candidature à l’élection présidentielle. « En moins de 19 mois, j’ai créé 26 900 emplois dans la fonction publique et plus de 12 000 dans le secteur privé », se vantait-il lors d’un discours de circonstance. C’est donc près de 40 000 emplois créés durant la période de la transition. Ces chiffres sont-ils fiables ? Pour certains, ces chiffres sonnent comme des « données de campagne », sans véritablement être vérifiables.

Quoi qu’il en soit, le dégel du recrutement dans la fonction publique, la régularisation de certaines situations administratives ainsi que « l’abondance » des chantiers durant cette période de transition et de post-transition, semblent légitimer ces chiffres mirobolants.

« Entre 2017 et 2021, le nombre d’emplois formels enregistrés au Gabon est passé de 200 329 à 183 608, soit une destruction de 16 721, et donc un recul de 8,3 % sur cinq ans », soulignait en novembre 2022, Mays Mouissi, alors analyste financier. Cette période a vu la destruction de 9457 postes dans la fonction publique, et le reste visiblement dans le secteur privé. De ce point de vue, la création d’emplois s’érige en politique prioritaire.

Gabonisation du capital et du travail : comment rassurer les investisseurs ?

De plus, dans son projet de société, Oligui Nguema propose de créer un fonds de 20 milliards, destiné aux microcrédits, qui permettra de générer 20 000 emplois chez les jeunes. En décembre 2024, lors de son discours à la Nation, Il annonçait de créer 163 000 emplois autour de trois projets : la construction du port en eau profonde de Mayumba, la ligne de chemin de fer Belinga-Bouée-Mayumba, et le barrage hydroélectrique de Bouée. Si lesdits projets sont pensés sur le long terme, leurs impacts sur le chômage actuel sont loin d’être immédiats. Par conséquent, peut-on envisager la Ve République sous l’ère de la gabonisation de l’emploi ?

La politique de gabonisation, qu’il s’agisse de la gabonisation du capital ou de celle des emplois, s’est souvent révélée difficile à mettre en œuvre sous les précédents régimes au Palais du Bord de Mer. Oligui Nguema sera-t-il le « bâtisseur » d’une gabonisation réussie ? L’acquisition de certaines société (Assala et la prise de participation dans CECA-GADIS) montrent certes une certaine volonté de contrôler et de maitriser certains secteurs clés. Toutefois, cette gabonisation par le capital devrait se heurter à un trop grand engagement de l’État dans la sphère économique. Même dans un contexte d’économie dirigée et planifiée, un raisonnement libéral doit subsister. En effet, l’omniprésence de l’État et sa volonté de tout contrôler, peuvent constituer un frein pour les investisseurs étrangers. Historiquement, la limite est incertaine entre la nationalisation et une intervention substantielle de l’État dans l’économie.

Les bonnes intentions suffisent-elles ? Croissance, informel et emploi

Le président de la république est à la mesure de tout pour le bien des gabonais? Ce vieux mythe s’actualise de plus belle avec l’avènement au pouvoir du président Oligui Nguema. Une croyance profondément inscrite dans la conscience populaire, et motivée puis entretenue par des discours politiques. Pourtant, il est essentiel de déterminer si la croissance économique actuelle du Gabon est suffisante pour répondre à la demande d’emploi. A cela s’ajouterait un travail d’inventaire des secteurs d’activité économique susceptible de créer des emplois.


Le FMI révèle par exemple qu’au Gabon, le secteur informel représente jusqu’à 50 % du PIB en 2024. Faut-il croire que ce secteur recèle tous les espoirs ? La réponse est beaucoup plus nuancée. Sans réformes appropriées, les emplois et les revenus générés par l’informel ne contribueront pas de manière optimale à la croissance économique. Le président est-il prêt à réglementer le secteur informel ?

Quotas des travailleurs étrangers : Une réponse suffisante ?

La mobilisation d’une partie de l’administration de la présidence de la République dans la zone spéciale de Nkok, interpelle encore. Les revendications des employés locaux de Nkok aspiraient le rétablissement de la fierté du travail par l’accession aux postes de direction et du respect strict du Code gabonais du Travail. Qu’en est-il aujourd’hui ? Nkok est-il maintenant exclusivement réservé aux Gabonais, en particulier les postes de direction ? Que dire du cas emblématique de Forbd-Gabon ? Le PNPE annonçait devant plusieurs médias le recrutement de 129 Gabonais. Effet de mode ou pas, la communication semble interpeller les autres entreprises à suivre le pas.


La vision de la gabonisation de l’emploi se consolide avec la publication du décret en mars 2025, fixant le quota d’emplois de la main-d’œuvre étrangère à 30 % en vertu de l’article 137 du code gabonais du travail. Le Gabon n’est pas le seul pays dans cette démarche. En effet, compte tenu du fort taux de chômage, plusieurs pays instaurent des contingents pour les travailleurs étrangers. Le décret a été promulgué, donc toutes les entreprises sont censées l’appliquer !


Dans une émission « Les grands dossiers » diffusée par la chaîne nationale Gabon 1ère, le ministère du Travail et de la Lutte contre le Chômage admettait l’insuffisance des ressources, notamment le personnel et le matériel, pour veiller au respect scrupuleux du Code du travail. Doit-on toujours s’en inquiéter ?

Taxi Gab+ : une stratégie assumée de préférence locale ?

Les Gabonais n’oseront pas se lancer dans l’entrepreneuriat. Voici un imaginaire bien enfoui dans la mémoire de certains. Cette classification sociale infondée est une forme d’internationalisation des stéréotypes qui consiste à généraliser un effet. L’arrivée de Taxi-Gab+ marque-t-elle la fin d’une domination étrangère sur le marché du transport urbain, car près de 800 Gabonais se lancent dans ce secteur ? Le projet Taxi Gab+ attire du monde et s’impose comme modèle efficace dans la politique de gabonisation puis qu’il est exclusivement réservé au gabonais.


Cette démarche pourrait être élargi aux autres secteurs d’activité au sens du décret de 1991 sur les activités réservées aux seuls Gabonais. Il est impératif de mener à bien une démarche pour sortir les autres secteurs de l’économie informelle. C’est d’ailleurs le sens du communiqué final du conseil des ministres du 12 août 2025.


Ces secteurs pourraient accueillir une partie de 120 000 demandeurs d’emploi ? Cependant, il est réellement trop tôt pour dire si le projet Taxi Gab+ est une réussite, étant donné que les Gabonais seront propriétaires de leurs taxis après plus de 24 mois.


La Banque pour le commerce, et l’entrepreneuriat du Gabon (BCEG) est décrite comme un outil de financement pour les entrepreneurs nationaux. Cependant, comment sélectionne-t-elle les bénéficiaires ? L’entrepreneuriat semble aujourd’hui le choix plus qu’évident devant la rareté de l’emploi dans le public comme dans le privé. Pourtant, les 120 000 jeunes ayant postulé à la fonction publique ne pourront pas tous entreprendre. La question de l’adéquation entre la formation et l’emploi interpelle celle de la réorientation ou reconversion professionnelle.

L’État, acteur clé ou frein à la gabonisation ?

L’État doit jouer un rôle fondamental dans ce processus. Sans son appui déterminé, l’entrepreneuriat au Gabon pourrait subir le même sort que les initiatives précédentes de gabonisation. L’engagement de l’État doit se traduire par sa capacité à soutenir les entrepreneurs, même ceux qui ne disposent pas de fonds initiaux, mais qui ont des projets solides. À ce stade, la BCEG, l’Agence nationale pour la promotion des investissements (ANPI) et le Pôle nationale de promotion de l’emploi (PNPE) deviennent des acteurs cruciaux et porteurs de la vision de la gabonisation de l’emploi et même de l’entreprenariat.

La gabonisation de l’emploi sous Oligui Nguema oscille entre volontarisme politique et réalités économiques. Si les intentions sont claires, leur concrétisation dépendra de la capacité de l’État à réformer, accompagner et réguler, sans étouffer l’initiative privée. Le pari de la gabonisation reste, à ce jour, un défi entre rupture et mirage.

Albin-Baptiste MABICKA MABICKA
Dr. en Histoire économique, spécialiste des investissements directs étrangers

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