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Bourses à l’étranger : une politique de rigueur qui masque l’échec de la planification nationale ?

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Sous couvert de rationalisation budgétaire, le recentrage annoncé par l’ANBG sur les filières dites prioritaires et les pays « financièrement accessibles » soulève plus de questions qu’il n’apporte de réponses sur la vision éducative et stratégique de l’État. Derrière la volonté affichée de transformation structurelle, c’est l’absence de planification nationale, la faiblesse de l’offre locale et le manque d’ambition internationale qui se confirment.

Depuis son communiqué du 21 juillet 2025, lu sur les antennes de Gabon 1ère, l’Agence nationale des bourses du Gabon (ANBG) justifie sa réforme par les « très hautes instructions » du président de la République. Objectif : recentrer les bourses à l’étranger sur des filières dites stratégiques et sur des pays comme le Maroc ou le Sénégal, moins coûteux que la France ou le Canada. Mais au-delà de cet argument comptable, plusieurs faits publiés ces derniers mois dans la presse nationale contredisent la pertinence réelle de cette orientation.

Une offre locale inadéquate et sans perspective claire

D’abord, aucune des filières dites prioritaires – agronomie, numérique, aéronautique, énergies renouvelables, spécialités médicales – n’est aujourd’hui suffisamment structurée dans le pays. Pour preuve les établissements universitaires de ces pays retenus par la direction générale de l’ANBG ne sont pas reconnus des pôles d’excellence dans les domaines d’apprentissage cités. Et au niveau local, l’Université des Sciences et Techniques de Masuku (USTM) et ses équipements obsolètes, ses laboratoires sous-dotés et les filières techniques désertées faute de moyens ne peut répondre aux « très hautes instructions » du président de la République. 

Former massivement dans ces filières suppose donc des partenariats internationaux solides, y compris avec des universités de référence situées hors du continent africain, notamment en Europe, au Canada ou en Asie. Restreindre l’accès aux pays où l’excellence académique reste inégalement répartie revient à sacrifier l’ambition d’un encadrement de qualité et à tuer l’espoir pour le pays de se doter de techniciens supérieurs et d’ingénieurs  susceptibles de répondre aux défis de l’industrialisation tant souhaitée par les autorités de la Vème République.

Une politique restrictive qui ignore la mobilité des talents

La logique économique présentée par l’ANBG – en se fondant sur les seuls coûts moyens par étudiant – fait abstraction de la valeur ajoutée du réseau, des débouchés professionnels et du rayonnement scientifique qu’offrent certains pays. Or, comme l’ont démontré de nombreux anciens boursiers, la présence gabonaise dans les grandes universités internationales participe activement à la diplomatie du savoir, à l’attractivité du pays et à l’émergence d’une élite technique capable de rivaliser à l’échelle mondiale.

Restreindre arbitrairement l’accès à certaines destinations revient à appauvrir cette diversité académique, à limiter l’horizon de la jeunesse gabonaise et à mettre en péril la compétitivité des futures élites nationales. Surtout que les plus grandes multinationales sont soit européennes soit américaines et leur exigences en main d’œuvre est souvent soutenue par des programmes universitaires qu’elles subventionnent.  

Une incohérence avec les politiques publiques en cours

Par ailleurs, le gouvernement lui-même affiche, à travers son Plan national de croissance et développement (PNCD 2026-2030), une ambition de transformation industrielle et technologique exigeant des ressources humaines hautement qualifiées. Or, il est impossible de développer des filières de pointe sans des formateurs formés à l’étranger dans des établissements de référence.

Comment développer un pôle numérique ou une filière aéronautique sans mobiliser les meilleures ressources pédagogiques formées à l’international ? L’État ne peut pas, d’un côté, promettre l’émergence et, de l’autre, fermer la porte aux écoles et universités les mieux classées dans ces domaines.

Une mesure budgétaire déguisée, sans vision d’ensemble

Enfin, le véritable enjeu de cette réforme semble moins stratégique que financier. La décision d’écarter les pays dits « chers » est avant tout un indicateur du manque de moyens consacrés à l’éducation, dans un contexte où les dépenses sociales se veulent pourtant prioritaires. Mais comme souvent au Gabon, la réforme touche d’abord les étudiants, sans toucher aux coûts de fonctionnement pléthoriques de certaines agences ou aux dérives budgétaires identifiées ailleurs.

Plutôt que de restreindre les ambitions des jeunes, l’État devrait améliorer la sélection des boursiers, renforcer leur suivi et investir dans la contractualisation avec des universités internationales ciblées, en fonction des besoins du pays.


Plutôt que d’invoquer des priorités mal définies et des comparatifs de coûts discutables, le gouvernement gagnerait à bâtir une vraie stratégie d’excellence académique, intégrée à une politique industrielle ambitieuse, et non à une logique purement budgétaire. Sans cela, le recentrage annoncé ne fera qu’accroître les frustrations, renforcer l’exode des talents et reproduire l’inefficacité d’un système éducatif déjà sous tension.

Morel Mondjo Mouega

Titulaire d'une Licence en droit, l'écriture et la lecture sont une passion que je mets au quotidien au profit des rédactions de Gabon Media Time depuis son lancement le 4 juillet 2016 et de GMTme depuis septembre 2019. Rédacteur en chef

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