Affaire Opiangah : quand la justice défie le serment présidentiel

Alors que la justice gabonaise s’enlise dans une affaire aux allures de règlement de comptes politiques, la position de la chambre d’accusation, de la Cour d’appel de Libreville dans le dossier Hervé Patrick Opiangah vient interroger, avec gravité, la promesse solennelle du président de la République « de respecter l’État de droit ». Entre cacophonie judiciaire, tensions internes à la magistrature et absence de victime formellement identifiée, la justice semble plus que jamais en décalage avec les aspirations de la Vème République.
Une décision bancale, un malaise profond. « La chambre d’accusation a décidé de suivre l’ordonnance du doyen des juges pour ne pas prononcer le non-lieu, au motif que l’instruction doit se poursuivre parce que M. Opiangah ne s’est pas présenté », confie une source proche du dossier. Cette position, jugée « incohérente » par les avocats du président de l’Union pour la Démocratie et l’Intégration Sociale (UDIS), ravive les interrogations sur la solidité du dossier judiciaire.
Dans une atmosphère délétère, où la corporation des magistrats elle-même serait divisée, certains professionnels du droit dénoncent une justice « humiliée » et « instrumentalisée ». Selon notre source, « la seule chose qu’il reste à faire à la juge, c’est l’audition de M. Opiangah. Mais sur quelle base, si aucune infraction n’est constituée et qu’il n’y a pas de victime ? ». Une formule glaçante revient alors comme un leitmotiv : « La victime, c’est la justice elle-même ».
Serment présidentiel et réalité judiciaire : le grand écart
Alors que Brice Clotaire Oligui Nguema prêtait serment le 3 mai dernier en s’engageant « à respecter et défendre fidèlement la Constitution et l’État de droit », les faits révélés dans cette affaire mettent à mal cet engagement. Peut-on encore parler de respect de l’État de droit lorsqu’une procédure se poursuit sans plaignante formellement constituée, sur la base d’une plainte déposée a posteriori — le 25 novembre 2024 — pour justifier des actes judiciaires menés dès le 20 novembre ? Peut-on tolérer que la justice refuse de répondre aux sollicitations légitimes de la presse — en l’occurrence, les courriers de Gabon Media Time restés sans réponse depuis février 2025 ?
Le silence du procureur Bruno Obiang Mvé et l’embarras palpable du ministère de la Justice, dont l’ancien titulaire Paul-Marie Gondjout s’était réfugié derrière le « secret de l’instruction », tranchent avec l’urgence de restaurer la confiance des citoyens dans l’appareil judiciaire. Le nouveau ministre, Séraphin Akure Davain, désormais en charge du ministère, devra choisir : perpétuer les zones d’ombre ou s’inscrire dans une rupture authentique.
Un tournant décisif pour la justice gabonaise
L’affaire Opiangah est devenue, bien au-delà de son contenu, un révélateur d’un dysfonctionnement systémique. L’absence de transparence, le refus de l’État de rendre des comptes et l’opacité persistante autour d’un dossier pénal manifestement vicié brouillent les lignes entre justice et manipulation politique. « Pas de victime, pas de crime », martèlent les soutiens de l’ancien ministre, qui s’apprête à engager ses avocats dans une bataille en cassation accompagnée d’une conférence de presse.
Dans une République qui se veut refondée, « juste envers tous », selon les mots du président de la République, ce dossier fait figure de test. De la décision de la justice gabonaise dépendra l’image d’un État capable de reconnaître ses erreurs ou de s’enfoncer dans un autoritarisme judiciaire à peine voilé.
L’histoire retiendra peut-être que l’indépendance de la justice gabonaise ne s’est pas jouée dans un discours au stade de l’Amitié, mais dans les coulisses feutrées d’un dossier d’instruction où la seule infraction en jeu semble être celle portée contre la vérité.
GMT TV