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Gabon : des ambitions économiques démesurées pour un Etat prédateur

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Les 7 et 8 juillet derniers, le gouvernement gabonais, en partenariat avec la Fédération des entreprises du Gabon (FEG), a organisé le Gabon Economic Forum, en amont de la préparation de la loi de finances 2026. Quelques jours plus tard, le 23 juillet, le ministère de la Planification tenait un atelier consacré à l’élaboration du Plan national de croissance et de développement (PNCD), qui doit incarner le projet de société du président Brice Clotaire Oligui Nguema. À travers ces initiatives, l’exécutif se fixe un objectif ambitieux : faire passer la croissance économique du pays de 2,4 % à 10 % d’ici cinq ans. Pour y parvenir, le financement du PNCD, estimé à 10 000 milliards de FCFA, devra mobiliser aussi bien des ressources internes que des investissements directs étrangers et des appuis multilatéraux.

Comme de nombreux pays en quête de transformation structurelle, le Gabon tente de se doter des moyens de ses ambitions. Le chef de l’État multiplie les déplacements à l’étranger pour séduire les investisseurs. La Journée de la Finance, organisée le 25 juillet, a permis de rallier les partenaires au développement. La digitalisation fiscale, quant à elle, vise à améliorer la mobilisation des recettes. Mais derrière cette vitrine réformiste, se cache un appareil étatique inefficace, désorganisé et parfois toxique pour l’économie nationale. Une réalité mise à nu par la FEG lors du forum économique, en dénonçant entre les lignes un État qui fabrique la mort de ses entreprises.

Un État prédateur plus que facilitateur

« L’atteinte des objectifs que se fixe le président de la République impose un cadre macroéconomique attractif, stabilisé et équitable », a déclaré le vice-président de la FEG, Jean-Baptiste Bikalou. Or, le climat des affaires au Gabon est empoisonné par des pratiques contre-productives : parafiscalité abusive, prélèvements illégaux, conflits d’intérêts dans la gestion publique, marchés publics attribués à 93 % par entente directe, en totale contradiction avec la législation en vigueur. Ces dérives ne sont pas des anomalies passagères : elles traduisent un mode de fonctionnement ancré, fondé sur l’opacité, le favoritisme et la rente administrative. Les entreprises locales, au lieu d’être soutenues, sont systématiquement pénalisées par un État qui oscille entre amateurisme et prédation.

Ce désordre administratif se traduit également par une instabilité chronique des contrats, notamment ceux signés avec les entités publiques, empêchant toute planification sérieuse pour les PME. À cela s’ajoute une mauvaise gestion des finances publiques : une masse salariale de plus de 825 milliards de FCFA pour une administration peu performante ; près de 90 milliards de subventions au carburant distribués sans ciblage ; et des dépenses ostentatoires sur des flottes de véhicules, alors que les besoins en infrastructures et services sociaux sont criants. La Banque mondiale tire régulièrement la sonnette d’alarme, en appelant à un recentrage des dépenses vers les investissements productifs.

Le contraste entre les discours de transformation et la réalité institutionnelle est criant. Aucune stratégie économique ne pourra aboutir sans une réforme en profondeur de l’État lui-même. Tant que la machine publique restera minée par l’opacité, la politisation, les conflits de personnes et l’absence de redevabilité, les plans de croissance resteront des exercices de communication. Le défi majeur n’est pas uniquement d’attirer les capitaux, mais de réparer l’État de l’intérieur pour qu’il cesse d’étouffer son propre tissu économique.

Karl Makemba

Engagé et passionné, Karl Makemba met son expertise et sa plume au service d’une information rigoureuse et indépendante. Fidèle à la mission de Gabon Media Time, il contribue à éclairer l’actualité gabonaise avec une analyse approfondie et un regard critique. "La liberté d'expression est la pierre angulaire de toute société libre." – Kofi Annan

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