Réinventer le Gabon : abandon de la géopolitique au profit de l’expertise et de la compétence

A l’occasion de la célébration du 65e anniversaire de l’Indépendance du Gabon, le Président de la République, Son Excellence Brice Clotaire OLIGUI NGUEMA a prononcé le traditionnel discours à la nation le 16 aout dernier. Le tout premier en tant que Président élu et aussi le tout premier de la Ve République naissante.
C’est sous un ton chaleureux, utilisant volontairement une rhétorique simple à la portée de tous que l’illustre orateur par une humilité affichée a voulu convaincre de son pragmatisme et de sa détermination à poser les fondements du Gabon nouveau.
Dans le sillage des illustres figures qui ont marqué notre histoire à qui il a rendu un vibrant hommage, le Chef de l’État a invité ses compatriotes à ne plus être de simples spectateurs, mais à devenir de véritables acteurs dans la construction de notre avenir en tant que nation.
À travers l’ensemble du territoire, chacun a pu observer les efforts déployés pour lancer de nombreux chantiers, notamment dans le domaine des infrastructures, bien que certains aient connu des ralentissements, voire des arrêts. À ce sujet, le Président a rassuré les Gabonais en affirmant que tous les projets seront menés à leur terme à la faveur d’une stratégie de priorités.
Au cours de son allocution, le Président a fait d’importantes annonces notamment celle du plan de développement communautaire qui s’étendra de 2026 à 2032.
Cependant, une en particulier a captivé l’attention de tous, rallumant la flamme d’un véritable changement et incitant à divers commentaires. C’est effectivement celle qui marque la fin de la géopolitique dans les nominations et désignations des agents, collaborateurs et hauts fonctionnaires de l’État.
Se positionnant en homme de vision, le Président de la République souhaite rapidement y mettre un terme car selon lui, cette politique aurait montré ses limites. À partir de maintenant, la compétence sera le critère principal pour accéder à des postes, y compris des fonctions élevées dans l’administration.
Faut-il rappeler ici que dans les pays considérés comme développés, le choix des cadres et hauts responsables repose essentiellement sur la compétence. Les nominations aux postes de responsabilité élevée sont réservées aux meilleurs élèves issus des grandes écoles. Alors pourquoi cette approche qui a fait ses preuves ailleurs ne serait pas également adoptée chez nous.
Il est impossible de désirer le changement et le développement auxquels aspirent les Gabonais sans se donner les moyens d’y parvenir.
Auparavant, la plupart des nominations aux hautes fonctions étaient davantage motivées par un besoin d’équilibre ethnique et régional. Cette politique de préférence ethnique n’a pas apporté les résultats escomptés, entraînant plusieurs conséquences, parmi lesquelles :
- La stigmatisation des individus nommés, qui se sentent choisis en raison de leur origine plutôt que de leurs compétences.
- Le ressentiment chez ceux qui estiment que des candidats moins qualifiés sont préférés uniquement en raison de leur origine.
- La discrimination inversée, où les membres de groupes majoritaires peuvent se sentir désavantagés pour certains postes.
- Un risque accru de polarisation, qui renforce les divisions et fragilise l’unité nationale.
- Une focalisation sur l’appartenance ethnique ou régionale qui réduit les individus à leur ethnicité, négligeant d’autres aspects de leur identité, tels que leurs compétences, expériences, et valeurs personnelles.
Par ailleurs, comme le Président de la République l’a même rappelé lui même, le Gabon a existé avant nous et continuera d’exister après nous. Il est donc essentiel de nous entourer de toutes les garanties nécessaires dans notre volonté légitime d’avancer rapidement et efficacement.
Ceux qui nous ont précédés ont tracé la voie et posé les premières pierres de notre histoire. Leur héritage nous rappelle l’importance de bâtir sur les fondations qu’ils ont établies, tout en cherchant à améliorer et à adapter notre vision pour un Gabon encore plus rayonnant.
Le choix de la géopolitique en son temps répondait à des préoccupations, à savoir l’unité nationale. C’est pourquoi, il est important à ce stade de rappeler que c’est la diversité ethnique qui fait notre identité et sa représentation dans toute la société qui pose les fondements de notre vivre ensemble.
Notons que la géopolitique appliquée jusqu’à présent bien que décriée aujourd’hui présentait ses avantages, notamment :
- Une représentation accrue, favorisant l’émergence de personnes issues de groupes minoritaires dans les sphères décisionnelles, ce qui renforce le sentiment de démocratie et de justice sociale.
- La diversité des perspectives, apportant une richesse indéniable dans les discussions et les décisions, propice à des solutions créatives et innovante
- Un renforcement de la cohésion sociale en incluant diverses communautés, favorisant le dialogue interculturel et la compréhension mutuelle, contribuant ainsi à l’unité nationale.
Le développement de notre pays est le souhait de tous les gabonais. Il est cependant illusoire d’attendre des résultats différents tout en conservant les mêmes méthodes qui ont conduit à l’immobilisme actuel.
Alors que cette nouvelle page de notre histoire s’écrit, il est crucial de prendre les bonnes décisions.
La désignation de personnes à des postes stratégiques a été trop longtemps galvaudée. Bien que le diplôme ne soit qu’une présomption de connaissances, il sera toujours bénéfique de nommer une personne ayant des compétences dans un domaine plutôt qu’une personne dépourvue d’expertise ou avec des connaissances superficielles.
Il est également essentiel d’associer à la compétence les valeurs morales telles que la probité et le sens élevé du patriotisme, d’où l’importance des enquêtes de moralité pour guider les autorités dans le choix des profils.
En conclusion, on ne peut qu’encourager ce qui apparaît déjà comme la réforme majeure de la Ve République. Cependant, comme j’ai tenté de le démontrer, il s’agit d’un sujet complexe qui nécessite un équilibre délicat. Bien que l’application de la géopolitique ait conduit à une plus grande inclusion et diversité, elle a également mis en évidence ses limites en compromettant le mérite, l’égalité des chances et la cohésion sociale. Il est donc recommandé d’adopter une approche intégrée qui prenne en compte à la fois les compétences et la diversité, afin de maîtriser tous ces enjeux.
Melissa Bendome
Communicatrice, Expert genre spécialisé en paix et sécurité, Ancien conseiller du Premier Ministre
GMT TV