Pays du Golfe : un modèle d’intégration réussi pour une Cemac balbutiante

Alors que le monde assiste à une résurgence du protectionnisme, illustrée par la multiplication des barrières commerciales, notamment aux États-Unis, certaines régions parviennent à s’imposer comme des pôles d’intégration régionale réussie. C’est le cas du Conseil de coopération du golfe (CCG), qui regroupe l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, le Qatar, le Koweït, Oman et Bahreïn. Une performance que peine à égaler la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), dont les échanges intra-communautaires stagnent à moins de 5 % du commerce total.
Ce contraste saisissant a été mis en exergue lors de la Journée Économie et Finance organisée le 24 juillet dernier à Yaoundé par la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC). Pour l’expert camerounais Narcisse Palissy Chassem, Directeur exécutif adjoint 1 du GECAM, « les pays du Golfe démontrent que l’intégration régionale réussie repose avant tout sur la stabilité institutionnelle, une vision stratégique claire et le réinvestissement massif des revenus extractifs dans des actifs de croissance ».
Vision stratégique et transformation des revenus pétroliers
Inspirés par la « Vision 2030 » de l’Arabie Saoudite, les pays du Golfe ont su orienter leurs ressources pétrolières vers des secteurs stratégiques : infrastructures modernes, zones économiques spéciales attractives, capital humain, industries lourdes, tourisme ou encore services financiers. Cette diversification sectorielle, adossée à des politiques incitatives fortes, a permis d’attirer massivement les investissements directs étrangers (IDE) et d’accroître leur poids dans l’économie mondiale.
À l’inverse, la CEMAC, malgré un potentiel de 51 millions de consommateurs et des ressources naturelles abondantes (bois, pétrole, minerai), reste enlisée dans une intégration institutionnelle timide, plombée par la corruption frontalière, la faiblesse logistique, l’hétérogénéité réglementaire et l’absence d’un projet économique fédérateur.
Des pôles de compétitivité à construire dans chaque État membre
Plutôt que de viser immédiatement une harmonisation économique complète, les experts recommandent de structurer des pôles de compétitivité ciblés, notamment autour des industries extractives, des services logistiques, de l’agro-industrie ou du numérique. Ces zones franches spécialisées pourraient permettre à chaque pays de la CEMAC, y compris le Gabon, d’attirer les investissements, d’augmenter les exportations à valeur ajoutée et de participer à des chaînes de valeur régionales intégrées.
Encore faut-il une volonté politique affirmée. À ce sujet, Narcisse Palissy Chassem rappelle que « la libre circulation des biens, des services et des personnes reste une illusion tant que les États ne mutualisent pas leur vision du développement ». Or, sans chaînes logistiques fluides et institutions régionales renforcées, aucune croissance durable ne pourra être consolidée.
Un impératif de gouvernance et de transparence
Pour devenir un moteur économique crédible sur le continent, la CEMAC doit impérativement réformer sa gouvernance : renforcer les contrôles budgétaires, instaurer une justice économique indépendante, lutter fermement contre la corruption et moderniser ses administrations publiques. Des leviers qui, selon les économistes, conditionnent l’efficacité de tout projet de développement régional.
À l’heure où le Gabon s’engage dans une transition politique et économique post-coup d’État, ce modèle des pays du Golfe pourrait servir de repère stratégique. À condition de dépasser les rivalités nationales et de concevoir enfin l’intégration comme un levier de souveraineté collective et non comme un vœu pieux.
GMT TV