Opération Scorpion : quand la justice gabonaise consacre l’impunité et incite aux détournements et à la corruption
La justice et l’Etat gabonais nous ont encore offert une occasion de nous indigner sur la façon dont notre cher pays gère les maux qui le gangrènent. Sur la décision dont a bénéficié Ismaël Ondias Souna, l’opinion publique en est désormais réduite à penser que les tribunaux prennent le parti des hauts cadres et autres dignitaires qui, en plus d’être impliqués dans des scandales financiers à répétition, sont ouvertement corrompus. Les lourdes peines prévues par la loi, en cas de corruption ou de détournements avérés, ne dissuaderont plus les prédateurs des deniers publics puisque, dorénavant, ils bénéficient d’une totale impunité en République Gabonaise.
Plusieurs anciens ministres et hauts cadres écroués et de nombreux scandales financiers en cours d’instruction ; le temps d’une chimère, les Gabonais ont voulu se persuader que la lutte contre la délinquance économique avait passé la vitesse supérieure. Le vieux discours officiel, sans cesse remixé, qui fait de la lutte contre la criminalité financière une priorité absolue dans le cadre de l’assainissement du climat des affaires au Gabon était, semble-t-il, en voie d’application concrète.
Adulés par certains, vomis par d’autres, les « BLA boys » vont encore faire parler d’eux. Les arrestations en cascade des principaux membres de l’association des jeunes émergents volontaires (AJEV) avaient, à l’époque, suscité des réactions mitigées au sein de l’opinion qui oscillaient entre crainte, euphorie et scepticisme. Rappelons d’ailleurs que le scandale économico-financier et institutionnel, résultant de révélations sur l’existence d’un présumé système de détournements organisés de fonds publics au sein des administrations et entreprises publiques gérées par les jeunes premiers de l’AJEV, continue d’ébranler la République.
C’est dans ce contexte qu’intervient le sursis accordé à Ismaël Ondias Souna, qui lui-même fait suite à la mise en liberté conditionnelle de Noël Mboumba. En outre, plusieurs éléments et autres initiatives laissent à penser que d’autres mis en cause bénéficieront de décisions de justice allant dans le même sens.
Aussi, les Gabonais sont en droit de s’interroger sur les motivations de la justice à laisser les « golden boys » du paysage politico-administratif gabonais regagner leurs foyers respectifs au prix de décisions judiciaires pour le moins aberrantes, quand on compare aux préjudices subis par nos finances publiques.
Coupables, mais (libres et) pas responsables : ainsi va la justice au Gabon ? C’est en substance l’interrogation qui brûle les lèvres de nombreux compatriotes qui ne comprennent pas ces décisions de justice qui jettent encore un peu plus le discrédit sur l’institution judiciaire. « On nous dit qu’ils ont volé, sont coupables, mais ils ne purgeront pas de peines fermes. C’est quel genre de justice ça ? »
Nombreux sont les Gabonais, remplis de colère et d’incompréhension, qui crient à l’impunité pour certains et à la justice dans sa plus grande rigidité pour d’autres. En effet, comment comprendre que des coupables de crimes économico-financiers puissent s’en tirer aussi facilement avec des sursis assortis d’amendes et puis basta ! Lesquelles amendes dont on peut être sûr qu’ils ne se gêneront certainement pas de s’acquitter avec le fruit de leur larcin. Si ce n’est pas là de l’incitation au détournement de fonds publics, cela y ressemble fortement.
Dans cet entrelac qui mêle politique, administration, finance, économie, conflits d’intérêts et petits arrangements entre amis, il paraît difficile de dénouer le nœud gordien qui prend attache au Palais Rénovation.
La culture de l’impunité explique la corruption et les détournements chroniques. L’impunité endémique qui règne au Gabon est un cercle vicieux. En effet, de nombreux dirigeants enfreignent les lois, échappent aux sanctions judiciaires et continuent ainsi délibérément d’enfreindre les lois. Dans notre pays, de nombreux individus corrompus jouissent d’une bien curieuse « immunité pénale et politique ». On transgresse allègrement la loi, nul besoin de contourner le système, et on évite les sanctions sans encombre grâce à ses « réseaux ».
Ce type de schéma n’a rien de nouveau. Héritage d’une conception patrimoniale de l’Etat profondément établie, nombreux parmi nos dirigeants bénéficient d’une quasi impunité. La justice, elle, est lente, inefficace voire inexistante. C’est parce que notre Etat a échoué à apporter une réponse efficiente à la culture de l’impunité que la porte de la corruption s’est grande ouverte.
En définitive, quel était donc le but de ce spectacle juridico-financier qui a éclaboussé bon nombre de hauts cadres ? Un règlement de comptes ? Une vengeance ? Une machination pour éliminer des « amis » politiques ? De la jalousie ? Un besoin de réaffirmer une autorité quelque peu perdue ? Ou tout simplement une nouvelle distraction ou diversion pour dissimuler quelque chose de plus grave ?
Voilà une série d’interrogations, certes les unes aussi loufoques que les autres, mais qui attendent des réponses de la part des autorités au cœur de ce feuilleton judiciaire aux allures de parodie.
Gregue Nguele, Éditorialiste