Dette publique, audits et confiance économique, Difficultés des entreprises locales

Entre 2020 et 2023, plusieurs audits de la dette intérieure et extérieure ont été réalisés au Gabon. L’on se souvient encore de celui conduit sous le régime déchu, sous la direction du Coordinateur général des affaires présidentielles, Monsieur Noureddin Bongo Valentin. Cet audit avait mis en lumière de nombreuses irrégularités et des surfacturations dans l’exécution des marchés publics.
S’agissant plus spécifiquement du règlement de la dette intérieure, l’audit portait sur un peu plus de 1 030 milliards de FCFA. Ses conclusions ont révélé : plus de 60 % de ces dettes, soit environ 623 milliards de FCFA, étaient fictives. Les créances effectivement validées par la Task Force furent ensuite partiellement remboursées.
En 2023, dans la foulée du coup de libération, un nouvel audit fut engagé, dans la continuité des travaux de 2020. Pendant plus de deux mois, les équipes de la Task Force dirigée par Pierre Duro ont passé au crible les dossiers de prestataires, partenaires et autres intervenants liés à la dette intérieure et extérieure. Les conclusions ont été sans surprise : surfacturations massives, non-respect des procédures de passation de marchés publics, et existence d’un vaste réseau de détournement de fonds.
L’audit avait également révélé l’incompétence flagrante de certains coordonnateurs de projets, souvent titulaires de fonctions administratives dans les cabinets ministériels, cumulant ainsi responsabilités et conflits d’intérêts.
Selon les données publiées par la Direction générale de la dette (DGD), l’encours global de la dette atteignait 7 179 milliards de FCFA à fin mars 2025.
Face à cette situation préoccupante, l’actuel Ministre d’État, de l’Économie, des Finances, de la Dette et des Participations chargé de la Lutte contre la Vie Chère, a diligenté un nouvel audit dès son arrivée à l’immeuble Arambo. Celui-ci a révélé des chiffres alarmants : 93 % des marchés publics conclus entre 2023 et 2024 ont été passés par entente directe, contre un seuil légal de 15 %, soit un dépassement de plus de 520 %. Un constat accablant, symptôme d’une gestion des marchés publics entachée de complicités et de favoritisme.
Quelques chiffres clés :
- 93 % : part des marchés attribués par entente directe entre 2023 et 2024 ;
- 241 milliards de FCFA : montant des dettes annulées en 2020 après examen de 70 % des créances ;
- 2 196 milliards de FCFA : dette intérieure recensée en février 2025.
Le 15 septembre 2025, les autorités annonçaient l’ouverture d’un vaste audit sur les ordonnances en instance de règlement pour les exercices 2022 à 2025. Une note du 24 septembre invitait les opérateurs économiques disposant d’ordonnances impayées à les déposer au Trésor public avant le 30 septembre 2025.
Pourtant, à la surprise générale, un communiqué du 6 octobre 2025 émanant du Ministère de l’Économie, des Finances, de la Dette et des Participations chargé de la Lutte contre la Vie Chère a annoncé la suppression totale des ordonnances en instance de règlement antérieures à 2023.
Cette décision constitue un choc administratif et financier majeur pour le tissu économique gabonais. Bien que cette mesure s’inscrive dans une logique de rigueur budgétaire et de redressement des comptes publics, ses effets immédiats risquent d’être dévastateurs : pression accrue sur la trésorerie des entreprises, perte de confiance, et affaiblissement de la compétitivité du secteur privé.
IMPACT DIRECT SUR LES ENTREPRISES LOCALES.
L’État gabonais est le premier client d’une grande partie des opérateurs économiques. Lorsqu’il ne paie pas ses dettes, il met en péril des centaines d’emplois. Les retards de paiement de l’État ont eu des répercussions considérables en 2024 :
- En 2024, la Chambre de commerce estimait que 40 % des PME gabonaises connaissaient des tensions de trésorerie dues aux retards de paiement ;
- Entre 2022 et 2024, les dépôts de bilan ont augmenté de 18 % ;
- Plusieurs secteurs fortement dépendants de la commande publique ont connu des suppressions massives de postes augmentant ainsi un taux de chômage déjà endémique.
Les PME partenaires/prestataires de l’État voient aujourd’hui leurs créances effacées, alors qu’elles les avaient inscrites dans leurs bilans comme des actifs. Ces créances servaient de garanties pour l’obtention de crédits bancaires ou pour couvrir leurs besoins de trésorerie. Leur annulation provoque une perte sèche, un déséquilibre comptable et un affaiblissement de leur liquidité. À terme, cette situation risque d’entraîner retards de paiement de leurs propres prestataires et partenaires, licenciements et faillites en cascade.
UN RISQUE BANCAIRE ET SYSTEMIQUE
Sur le plan bancaire, les conséquences ne sont pas moins préoccupantes. La COBAC a récemment alerté sur la hausse des créances impayées en zone CEMAC : un tiers des crédits accordés sont aujourd’hui en souffrance, soit près de 2 200 milliards de FCFA.
Les banques, ayant préfinancé des marchés publics, se retrouvent directement exposées. La décision gouvernementale pourrait donc dégrader la signature de l’État et restreindre le financement des entreprises partenaires.
Cette méfiance bancaire entraînera inévitablement un resserrement du crédit, une hausse des taux d’intérêt et une contraction du financement des investissements privés.
UN ENJEU DE CONFIANCE ET DE CREDIBILITE
La relation entre l’État et le secteur privé repose sur un principe fondamental : la crédibilité de la parole publique. En annulant unilatéralement des ordonnances pourtant validées — donc fondées sur des travaux réalisés —, l’État envoie un signal d’imprévisibilité aux acteurs économiques. Dans un pays où l’État reste le principal moteur de l’activité, ce retrait brutal de liquidités aura des effets en chaîne : ralentissement des chantiers, baisse des revenus, réduction des emplois temporaires, et par ricochet, contraction de la consommation et du PIB non pétrolier.
EQUILIBRE ENTRE RIGUEUR ET CONFIANCE
Sur le long terme, cette mesure pourrait certes renforcer la crédibilité budgétaire du pays, à condition qu’elle s’accompagne d’une réforme structurelle de la chaîne de dépense publique. Mais si elle se réduit à un simple effacement comptable, sans plan d’assainissement ni mécanisme de compensation, elle risque de rompre durablement la confiance entre l’État et ses partenaires économiques.
Une note d’espoir subsiste toutefois à la lecture du communiqué du Ministère de l’Économie, des Finances, de la Dette et des Participations chargé de la Lutte contre la Vie Chère : la suppression ne serait pas totale. Les opérateurs sont invités à déposer leurs ordonnances accompagnées des justificatifs auprès du ministère d’ici au 17 octobre 2025. La création d’une Task Force de compensation est annoncée — sa transparence et son efficacité seront déterminantes pour restaurer la confiance et préserver la vitalité du tissu économique national.
Si l’assainissement des finances publiques est une nécessité, il ne saurait se faire au détriment de la survie du secteur privé, maillon essentiel de la croissance.
Le véritable défi pour les autorités sera d’allier discipline budgétaire et soutien à l’activité économique, car sans un secteur privé fort, aucune réforme budgétaire ne pourra produire une croissance durable.
Lewis BACHAMA,
Citoyen Gabonais,
Associé gérant du cabinet d’intermédiation d’affaires LPB Conseils et Services
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