Quel bilan pour le Comité pour la Transition et la restauration des institutions ?
A la veille du 30 Août 2024,soit un an après le coup d’Etat militaire du Général Brice Clotaire Oligui Nguema et ses compagnons d’armes du CTRI, un premier bilan de la période de la Transition politique s’avère nécessaire.
Ce genre de bilan de la gouvernance politique est la matérialisation de la dialectique de la bouteille à moitié vide, à moitié pleine.Il suscitera indubitablement, si ce n’est déjà engagé, des passions et des controverses.
Pour les transcender,un jugement objectif, des analyses pertinentes et sans complaisance permettront aux autorités de la Transition politique, à la population et aux observateurs de la politique gabonaise d’évaluer l’impact de la rupture avec la gestion du régime précédent.
A titre de rappel, l’impact d’une rupture sur les Politiques publiques revêt deux dimensions :
Une dimension d’autodisciplinarité marquée par la volonté de chaque responsable de s’aligner résolument sur les standards politiques nouveaux axés sur la bonne gouvernance, la volonté inébranlable de réussir un challenge, un pari voire l’acceptation de se sacrifier pour le rayonnement de son pays et pour le bien-être des populations.
Une dimension de disciplinarité collective ou sociale dont le changement des mentalités des populations et des cadres appelés à assurer la gestion de la chose publique devient le véritable levier de la rupture.
En une année de gouvernance, le CTRI a-t-il amorcé une rupture avec le précédent régime ?
Cette question mérite d’être analysée sur quatre points choisis.
I/ La Restauration des Institutions.
La restauration des Institutions porte fondamentalement sur la mise en place d’une nouvelle Constitution par le pouvoir constituant originaire ou la révision substantielle de la Constitution par le pouvoir constituant dérivé. Dans les deux cas, le Régime politique à mettre en place constitue l’ossature de la restauration.
En proposant le Régime présidentiel pour remplacer le régime parlementaire dualiste existant, le Dialogue national inclusif se plaçant dans la posture du pouvoir constituant originaire a amorcé une rupture radicale que je pense maladroite pour plusieurs raisons.
* Le Dialogue national inclusif a fait fi de la relation symétrique entre les régimes politiques et les mentalités des populations.
*Dans un régime présidentiel, le Président forme un ticket avec son Vice -président. Tous les deux bénéficient de la même légitimité,par conséquent, le Président ne peut révoquer son Vice président jusqu’à la fin de leur mandat quelles que soient les divergences entre eux.Ces divergences entraînent une sorte de cohabitation même si elles tournent toujours à l’avantage du Président.
C’est dans cette hypothèse d’éventuelles divergences qu’existe une relation binaire entre le régime politique et les mentalités.Chacun se met à sa place et respecte son statut.
Les mentalités américaines qui pratiquent, depuis des siècles, ce régime présidentiel ne sont pas les mêmes que celles des gabonais.
* Le Vice Président ne constitue pas un fusible du Président qui est le chef de l’administration (Gouvernement).Il n’exerce pas une fonction sacrifice car toutes les attaques de l’opposition convergent directement vers le Président.
*Les réformes du Président, surtout en matière budgétaire, peuvent faire l’objet d’un blocage par un Parlement qui lui est hostile. Dans ce cas,il procède à ce qu’on appelle ” le Parlementarisme de couloir”, c’est -à -dire que le Président négocie avec les parlementaires pour trouver un compromis (Compromis d’opportunité). Le Président ne dispose d’aucun pouvoir d’injonction sur le pouvoir législatif et même du judiciaire. Il n’a d’ailleurs aucun pouvoir pour dissoudre les Chambres du Parlement.
*Les principales nominations du Président sont soumises à l’accord du parlement qui peut même mettre en mouvement la procédure de destitution ( la procédure d’impeachment aux États-Unis).
C’est bien ce régime présidentiel rigide qui a conféré aux théories de Thomas Hobbes et surtout de Montesquieu leurs lettres noblesse. Dans l’Esprit des Lois,Montesquieu écrit :” Pour que l’on n’abuse pas du pouvoir, il faudrait que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir “.
Il faut rappeler que sur le plan historique, le Gabon avait déjà expérimenté le régime présidentiel. En effet, la Constitution du 17 Février 1961 était d’essence présidentielle.Elle avait été révisée 14 fois ensuite abandonnée et remplacée par la Loi constitutionnelle no 1/67 du 17 Février 1967.
En proposant un Régime présidentiel, le Dialogue national inclusif avait -il examiné rigoureusement les contours et les conséquences négatives sur le fonctionnement de notre espace politique et nos mentalités? Pour ma part,je pense que les universitaires qui ont pris part à ce Dialogue ont failli à un précieux devoir : Ils n’ont pas fait preuve de rigueur académique et de probité morale et intellectuelle pour convaincre. Une constitution inadaptée aux réalités sociologiques d’un pays tue la Démocratie et attire la méfiance.C’est à juste titre que Jean Jaurès déclarait:” Aller à l’idéal et comprendre le réel “.
Si le Régime présidentiel proposé est adopté, il doit être strictement appliqué comme l’ont conçu ses fondateurs sinon,nous assisterons à une véritable hérésie intellectuelle, morale et politique. Je me référerai à Pascal qui écrivait :” L’homme n’est ni ange ni bête mais qui fait l’ange fait la bête “.Il est temps de revenir sur cette réforme inadaptée.
Je réitère que le Régime parlementaire dualiste que nous appliquons depuis des décennies et surtout renforcé par la Constitution du 26 Mars 1991 est très adapté à notre mentalité. Le Dialogue national inclusif devait simplement revenir sur l’esprit initial de cette Constitution qui ,pour de raisons d’éternité au pouvoir, avait été honteusement vidée de sa substance.
Il/ La Restauration de l’éthique politique et administrative.
Sur ce point, mon analyse sera courte dans la mesure où j’ai déjà traité cette thématique.
Quand on est appelé à servir son pays et son chef,il faut être honnête, disponible et mettre en exergue ses capacités morales et intellectuelles.Si on trompe le chef,alors là, on trompe tout un peuple car le chef est l’incarnation du peuple. Un Président de la République est la première institution d’un pays, par conséquent, il doit être protégé, son travail doit être effectué avec grande précision et son image bien entretenue.
Ici se pose donc la problématique du choix des collaborateurs d’un chef. Ce choix est très déterminant pour la réussite ou l’échec de la gouvernance politique du chef.En effet,si le chef s’entoure des collaborateurs compétents, entreprenants qui prennent des initiatives,traitent les dossiers avec rigueur et professionnalisme, élaborent des stratégies bien structurées et les lui soumettent avec des explications simples et convaincantes,la réussite ne peut être qu’au rendez-vous.
Un travail bien fait place le chef dans la bonne humeur et naîtra une confiance synallagmatique avec son collaborateur.
C’est à partir de ces collaborateurs dévoués, fidèles, travailleurs consciencieux ,attachés à sa personne que le chef forme son premier cercle appelé le noyau dur,le laboratoire.
En revanche, un mauvais casting met le chef en mauvaise posture. En effet ,il est fréquent que le chef s’entoure des bras cassés, de cloportes, des menteurs, des courtisans, des flatteurs dont la rentabilité professionnelle est absolument nulle. Des collaborateurs qui passent tout leur temps à tenir des propos dithyrambiques, à chanter quotidiennement les louanges du chef; n’hésitent pas à se vautrer dans des méchancetés en lui racontant des carabistouilles l’égard des autres,surtout envers ceux qui accomplissement merveilleusement leur tâche.Alors qu’ils s’illustrent par une incapacité notoire pour élaborer une stratégie et pour traiter avec professionnalisme les dossiers. L’objectif des aventuriers politiques est d’obtenir indûment des rétributions, des privilèges et des honneurs.
C’est le deuxième Cercle composé des transactionnels,des mercantilistes qui ,à tous moments,peuvent sans état d’âme ,se livrer au plus offrant. La jurisprudence politique gabonaise est très dense sur la transhumance.En 1990, lors de conférence nationale,le Président Omar Bongo a bien dégusté les plats de l’opportunisme politique. Brice Laccruche Alihanga et Ali Bongo doivent méditer en ce moment sur la versatilité et le caméléonisme de leurs anciens collaborateurs. “Si tu prends le chemin de je m’en fous, tu arrives au village de si je savais ” dit une chanson ivoirienne. Comme tout flatteur vit au dépend de celui qui l’écoute, la plupart des chefs aiment se faire flatter et négligent parfois la matière grise. Etrange paradoxe!!! L’exemple de Tchibanga démontre le transactionnalisme qui sévit autour du Président de la Transition politique. En effet, le Président de la Transition politique, confronté à de multiples attaques, avait dénoncé la passivité et l’impassibilité de ses collaborateurs, jugés par lui-même, incapables de porter la moindre riposte.
Ces collaborateurs qui ne remplissent pas leurs devoirs doivent être remplacés.
Ill/ La Restauration de l’unité nationale.
Dans un État multiethnique comme le Gabon,la restauration de l’unité nationale est un impératif. Une rupture avec une géopolitique au rabais permettrait d’amorcer une avancée vers la création d’un État/Nation. Il est rappelé que la création d’un État/Nation n’est pas incompatible avec l’existence et l’émergence de nos identités culturelles.
Un État/Nation est un véritable créneau pour l’unité nationale et la cohésion sociale.
La Restauration de l’unité nationale peut être réalisée par deux méthodes adjacentes :
*Les systèmes électoraux notamment par la Représentation proportionnelle approchée pour les élections locales( municipales et départementales).C’est un scrutin de liste dont le département et la commune constituent des circonscriptions électorales.
Sur le plan pratique,les partis politiques qui concourent aux élections devront,pour être validés, présenter la tête de liste et en position éligible des candidats non originaires la Province ,du Département et de la commune.Par exemple, la liste d’un parti politique dans les communes de Mouila,Franceville,Port gentil,Oyem, Lambaréné,Makokou etc…doivent présenter des têtes de listes et en position éligible les non originaires de ces communes.Le même systèmes s’applique à tous les Départements. C’est ainsi que nous aurons des Maires et des Présidents des Assemblées départementales non originaires de ces territoires. Un Fang pourrait désormais être Maire de Franceville,un Nzebi Maire Makokou,un Obamba Maire d’Oyem, un Miené Président de l’assemblée départementale Tsamba Magotsi, un Kota celui de la Noya,un Teké celui de l’Ogoouéet des Lacs etc…
Tous les candidats doivent impérativement habiter dans les territoires où ils sont élus avec leurs familles.
Pour les élections législatives et sénatoriales, le scrutin majoritaire à deux tours est retenu. Chaque parti politique devra présenter la moitié des candidats non originaires de la province dans certains sièges. Par exemple,si la Province de la Ngounié compte huit(8) sièges,un parti politique devra présenter quatre (4) candidats non originaires dans quatre(4) circonscriptions électorales. Ainsi nous aurons un Pongwè Député du Canton Ellelem,un Adouma Député de Mougoutsi,un Eshira Député de Sebé Brikolo etc…
L’avantage de la Représentation proportionnelle,c’est que l’électeur élit la liste du parti et non les personnes.
Si les candidatures indépendantes sont admises,les candidats doivent se présenter en dehors de leur terroir.
*La problématique des nominations.
Sont concernés:
Les membres du Gouvernement. L’ exercice de la fonction ministérielle est d’essence républicaine parce que l’action d’un Ministre s’inscrit dans un ensemble macropolitique qui est la République. Il est Ministre de la République et non d’une Province,d’un Département, d’une Ville et d’un village.
Le profil académique, l’expérience et la compétence doivent constituer des critères fondamentaux de nomination. A partir de ces critères nous aurons des gouvernements serrés et et un personnel compétent.
* Les nominations dans la haute administration.
Ces nominations devront impérativement prendre en compte des profils, la compétence, l’expérience et non des appartenances géo ethnolinguistiques et le népotisme atavique.
Le Président de la Transition politique, Chef de l’Etat, le Général Brice Clotaire Ologui Nguema devra s’impliquer davantage pour marquer une rupture avec cette géopolitique anachronique qui a tué les intelligences,affaibli les performances politiques et administratives et a créé des roitelets.
IV/ La Restauration de la Morale
La morale est le socle de la vie sociale.
Elle revêt deux aspects:
La morale sociale qui définit le bien et le mal dans une société. C’est elle qui assure la cohésion sociale et la sauvegarde des intérêts collectifs.
Comme au temps jadis, la Morale devrait être restaurée dans des écoles primaires, l’instruction civique dans des Lycées et collèges et les émissions d’éducation populaire diffusées dans tous les médias.
La création d’un Ministère de l’Education nationale, de l’Intelligence collective et de la Morale sociale aurait dû marquer une rupture révolutionnaire avec des dénominations anachroniques. Ce Ministère restaurerait également l’école adulte en aménageant des heures de cours dans les villages et les centres urbains comme à la belle époque.
La Morale préparera les populations et notre jeunesse à la citoyenneté, à la civilité,au patriotisme, à l’intérêt général,au savoir vivre collectif,au respect des biens publics,des Institutions et des personnalités qui les incarnent, et à la conscience professionnelle .
*La morale professionnelle.
Elle se réfère à la déontologie et à la conscience professionnelle. Elle met en évidence l’ensemble des obligations qui incombent à toute personne physique dans l’exercice de ses fonctions ou de son travail.Obligation lui est faite d’agir avec responsabilité, discernement,efficience.
V/ La restauration du tissu économique.
Sur le plan économique, la probité intellectuelle m’oblige à être très laconique. Mon intervention se situera
deux points :
Le stock de la dette comprend l’encours et les arriérés. L’argent emprunté dans les marchés financiers par l’Etat devrait servir à l’investissement. Mais malheureusement, il y a une relation asymétrique entre les emprunts et les investissements productifs.
Le dernier rapport du Fond monétaire international a évolué la dette du Gabon à sept milliards cent trente un millions( 7131000000)francs cfa en 2022; le montant de cette dette devrait dépasser les huit mille milliards (8 000000 000)frs cfa en 2924.Le taux d’endettement dépasse le seuil de 70% du produit
intérieur brut ” PIB”fixé par la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale.
Selon ce rapport présenté par Monsieur Gomez Agon ,la situation économique du Gabon est alarmante: ” Le Gabon reste un pays à revenu intermédiaire mais ses populations s’enfoncent dans la pauvreté ;on s’est rendu compte qu’il y a un recul du niveau de revenu.Pour donner un exemple, au gabon,si un habitant en moyenne gagnait cent mille (100 000)francs cfa en 1990,aujourd’hui ce même habitant gagne quatre vingt mille (80 000) francs cfa “. Le représentant ajoute: “Ce recul du revenu s’est accompagné de deux éléments importants au Gabon: l’accroissement du chômage et l’accroissement de la pauvreté. Le chômage, aujourd’hui est autour de 35 à 40%au sens de la population en âge de travailler ;et la pauvreté, c’est un gabonais sur trois qui est pauvre .La situation pourrait empirer si le rythme d’endettement avant le 30 août 2023 se poursuit dans les années avenir.La dette du Gabon pourrait atteindre dans quatre(4)ou cinq (5)ans 100%du PIB” conclut il.côté
La Banque mondiale a de son suspendu ses décaissements en raison des impayés. Elle reproche au Gouvernement gabonais d’accumuler plusieurs mois d’arriérés d’une valeur de dix milliards (10)de francs cfa.
Le 30 Août 2023,date du coup d’Etat pacifique, fut vraiment un coup de libération. Si le Gabon est sorti de la gadoue, de la caverne,du totalitarisme et des ténèbres,le Général Brice Clotaire Oligui Nguema, compagnons du Comité pour la Transition et la restauration des institutions et le Gouvernement doivent faire preuve de réalisme.Ne pas agir dans la précipitation,réduire la dépense publique, planifier les investissements productifs, s’entourer des compétences et des personnes dévouées qui placent les intérêts du Gabon au dessus des ambitions personnelles,lutter contre la corruption endémique et respecter les droits de l’homme.
J’ai toujours pensé qu’il fera beau quand il pleut. Les difficultés d’un moment créent l’espérance de toute une vie.
Alfred Nguia Banda