Pierre Rizogo Rousselot : «Je suis venu à la mairie de Port-Gentil servir et non me servir»

Deux ans après sa nomination à la tête de la mairie de Port-Gentil, le général des Corps d’Armée Pierre Rizogo Rousselot, délégué spécial, dresse un bilan sans détour de son action. Dans un entretien exclusif accordé à Gabon Media Time, le samedi 23 août 2025, l’autorité municipale revient sur les mesures prises pour rétablir l’ordre urbain, les défis liés à la salubrité et la protection de la mangrove, mais aussi sur les critiques adressées à sa gestion. Entre rigueur militaire et volonté de redonner à la capitale économique son lustre, le discours du délégué spécial se veut franc et sans concession.
Gabon Media Time : Général, vous êtes à la tête de la mairie de Port-Gentil depuis près de deux ans. Quel premier constat faites-vous ?
Pierre Rizogo Rousselot : Mon premier constat est simple : Port-Gentil était une ville désordonnée. Et dans une société désordonnée, sans méthode de travail, on n’avance pas. Prenez le cas de la zone de La Balise ou encore du marché du Grand Village : il était presque impossible de circuler, encore moins de stationner pour faire ses courses. Avec de la sensibilisation mais aussi de l’autorité, nous avons remis de l’ordre. Aujourd’hui, du carrefour Tobia jusqu’au Château, les usagers peuvent circuler librement et stationner sans être encombrés. C’est, à mon sens, une première victoire pour le retour de la discipline urbaine.
Plusieurs habitants évoquent vos initiatives en matière d’aménagement et de valorisation du patrimoine. Quelles ont été vos priorités ?
Port-Gentil est la capitale économique du Gabon, mais elle ne disposait pas de véritables repères historiques ou culturels visibles. J’ai donc fait ériger un musée à ciel ouvert le long du mur du cimetière Pax qui fait face à la tribune officielle (un ancien cimetière désaffecté, [Ndlr]) Aujourd’hui, les habitants et les visiteurs peuvent découvrir l’histoire de la ville à travers ce lieu, se promener et même prendre des photos. Cela redonne une identité à Port-Gentil.
Nous avons aussi revu l’entrée de la ville partant de l’aéroport Joseph Rendjambé Issani. Les arbres qui y étaient plantés n’étaient pas adaptés, en plus d’obstruer la vue ils représentaient un réel danger pour les automobilistes, ils ont été remplacés par des palmiers Royaux, plus conformes à notre climat et à l’image que nous comptons donner à ce boulevard. Ces initiatives peuvent sembler symboliques, mais elles participent à redonner à la ville son attractivité et son rang.
La salubrité reste un problème récurrent dans la capitale économique. Quelles solutions avez-vous mises en place ?
La question de la propreté urbaine est un défi majeur. La mairie traîne une dette de plus de 6 milliards de francs CFA envers la société GPS depuis 2015. La subvention allouée pour la collecte s’est réduite comme peau de chagrin ces dernières années Avec seulement 60 millions de francs disponibles par mois pour le règlement, il est impossible d’éponger cette dette. Certes, nous avons reçu de la haute autorité quelques engins pour renforcer notre flotte et nous avons aussi procédé à la réparation de plusieurs engins longtemps restés en panne dont un camion de type multibenne, ce qui a permis d’augmenter notre capacité de collecte. Mais les moyens restent insuffisants pour une ville de plus de 200 000 habitants.
Au-delà des moyens matériels, le problème vient surtout de l’incivisme. Malgré des campagnes de sensibilisation et des horaires fixés pour la collecte des déchets, certains habitants continuent de jeter leurs ordures à toute heure, parfois même en les brûlant dans les bacs plastiques. Ces comportements rendent la tâche encore plus difficile et compromettent nos efforts pour une ville propre.
Vous avez également beaucoup insisté sur la protection de la mangrove. Pourquoi en avez-vous fait un cheval de bataille ?
Parce que la mangrove est une barrière naturelle essentielle. C’est une zone de reproduction aquatique, un écosystème vital qui protège la ville contre l’érosion et les effets du réchauffement climatique. Malheureusement, elle a été transformée en zone d’habitation par des populations qui y déversent leurs déchets. Résultat : l’eau est polluée, les poissons sont contaminés, et des maladies comme la typhoïde se propagent. On a même enregistré des décès d’enfants, c’est dire la catastrophe écolo-sanitaire.
Nous avons donc demandé aux habitants installés illégalement de quitter ces zones fragiles. Nous avons fait preuve d’humanité, en épargnant momentanément par exemple une école qui aurait du être détruite, parce que érigée dans l’emprise du projet, mais la réalité est là : si rien n’est fait, Port-Gentil, qui est presque au niveau zéro de la mer, risque de disparaître. Déjà, le grand phare qui servait de repère aux navires est en grande partie englouti par la montée des eaux. Voilà pourquoi il est urgent d’agir.
Certaines voix critiquent votre gestion et estiment que la ville reste désorganisée. Que leur répondez-vous ?
Les critiques sont inévitables, mais elles ne reflètent pas toujours la réalité. Je compare souvent cela à un match de football : le spectateur a l’impression que le joueur joue mal, mais il ne connaît pas les efforts et les difficultés du terrain.
Je le répète : je suis venu à Port-Gentil pour servir, pas pour me servir. Les occasions de m’enrichir n’ont pas manqué, mais à Dieu ne plaise je n’y ai pas prêté le flanc. Parce que la dignité et la loyauté valent plus que tout. Nous travaillons avec les moyens limités dont nous disposons, et les résultats sont visibles. Peut-être pas à la vitesse espérée par certains, mais la dynamique est là.
Quel message adressez-vous aujourd’hui aux Port-Gentillais ?
J’invite les habitants à comprendre que le développement d’une ville est une responsabilité partagée. Les autorités ne peuvent pas tout, surtout si les citoyens refusent de respecter les règles. Port-Gentil est une ville belle et stratégique, elle mérite que chacun fasse un effort. Ensemble, si nous adoptons une nouvelle mentalité et une discipline collective, nous pourrons faire de cette capitale économique une cité moderne et respectée.
GMT TV