La bourse d’excellence pour les jeunes collégiens et lycéens gabonais : analyse d’une « bonne » mesure dénuée de méthodologie
C’est à la faveur de son discours de prestation de serment à la tête de l’Etat gabonais, le 04 septembre 2023, au palais Rénovation de Libreville, que le Président du Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI), le Général de Brigade, Brice Clotaire OLIGUI NGUEMA, a annoncé le retour de la bourse d’études au sein des collèges et lycées du Gabon. Cette décision a été accueillie avec faste au sein de toute la communauté éducative, notamment les parents, et les principaux bénéficiaires, c’est-à-dire les élèves.
Au-delà des apprenants, cette mesure a reçu l’adhésion populaire, tant elle venait mettre fin à une longue période d’injustice et de perte d’un acquis ayant meublé la scolarité de plusieurs générations de gabonais, aujourd’hui, cadres dans l’administration publique et privée. Aussi, cette décision du rétablissement de la bourse, par le Président du CTRI, à la tête du pays, a été pleinement intégrée par le Gouvernement de Transition, et réaffirmée par le Premier Ministre Raymond NDONG SIMA, le 07 décembre 2023, à l’Assemblée Nationale, à travers son « Discours de présentation du plan d’action et feuille de route de la Transition ». Il affirmait, en effet, urbi et orbi : « Le rôle de l’Etat est aussi d’encourager le mérite, c’est à ce titre que sur les Très Hautes Instructions du Président de la République, le Gouvernement vient de rétablir le versement de l’allocation d’études aux élèves du secondaire ayant obtenu une moyenne trimestrielle supérieure ou égale à 10 sur 20. Cette allocation sera payée dès la fin du mois de Janvier 2024 pour le montant de 24.000 FCFA par élève et par trimestre échu… »
Cependant, l’annonce faite par la Ministre de l’Education Nationale, Madame Camélia NTOUTOUME-LECLERCQ, sur le plateau de la chaîne de télévision publique Gabon 24, a surpris plus d’un. Cette annonce qui vient contredire fortement celle du Premier Ministre, énoncée un mois plus tôt, dans son discours à l’Assemblée Nationale, pose le problème de la sincérité de la parole politique, la confiance politique, mais aussi la cohésion gouvernementale, loin du principe d’harmonisation des positions et décisions du Gouvernement. En effet, la communication faite par la Ministre de l’Education Nationale, fait passer de 10 à 12/20 (pour le premier cycle) et de 10 à 11/20 (pour le second cycle), la moyenne trimestrielle requise pour avoir droit à la bourse d’études érigée en bourse d’excellence. Cette mesure, pourtant salutaire à plus d’un titre, révèle cependant, des insuffisances dues principalement à un manque de méthodologie et de justice dans la mise en œuvre choisie par le Gouvernement.
De la « bourse au mérite » à la « bourse d’excellence »
Requalifier la bourse d’études en « bourse d’excellence » n’est pas une mauvaise idée, tant l’objectif visé et soutenu par le Gouvernement est de « prôner l’excellence », en « poussant les enfants à donner le meilleur d’eux…. Il faut récompenser les meilleurs », pour reprendre les propos de la Ministre. Cependant, parler de bourse d’excellence ne correspond pas à ce qui semble être proposé et que le Gouvernement entend finalement mettre en place. En effet, une bourse dite d’excellence récompense l’excellence, c’est-à-dire des élèves qui se sont hautement distingués par leurs résultats très satisfaisants et auréolés par des félicitations de l’équipe pédagogique réunie en conseil de classe. En clair, la moyenne correspondante à un excellent trimestre est une moyenne supérieure ou égale à 16/20. Or, parler de culte de l’excellence pour une moyenne minimale de 12/20 (mention assez bien), ou encore 11/20 (mention passable), tombe sous le coup d’un non sens, surtout si la nomenclature des mentions n’a pas été révisée en République gabonaise.
De plus, la différence dans les critères d’excellence entre le collège et le lycée, démontre, à suffisance, la reconnaissance de réalités bien plus profondes et complexes de notre système éducatif pour lequel une « Restauration institutionnelle » s’érige comme un préalable. Par ailleurs, il est bon de rappeler que la bourse qui était versée aux collégiens et lycéens jusqu’en 2017, était une « bourse au mérite ». Son versement était, en effet, conditionné par l’obtention d’une moyenne égale ou supérieure à 10/20. C’est ce principe de mérite qui est, par ailleurs, appliqué pour l’obtention d’une bourse nationale pour des études supérieures au Gabon.
La volonté du Président du CTRI visait à rétablir une injustice et non à supprimer un acquis. Or, l’acquis que constituait la « bourse au mérite » apparaît supprimé et remplacé par la seule « bourse d’excellence », et de fait altère la mesure salutaire du Président de la Transition. Pourtant, le Gouvernement, dans sa volonté d’excellence aurait pu opter pour la conservation de la formule classique de la bourse au mérite, tout en instituant une bourse spéciale dite d’excellence qui récompenserait les élèves ayant obtenu des résultats très satisfaisants et donc dignes de l’excellence clamée par le Gouvernement.
La bourse : une « émulation saine », mais juste
Remplacer la bourse au mérite par une bourse d’excellence pose un autre problème : celui d’une non-prise en compte des conditions disparates et le fossé abyssal dans les conditions d’apprentissage des élèves, d’un système à un autre, notamment du public au privé. La bourse d’excellence n’a pas vocation à laisser place à l’injustice, en favorisant ceux qui apprennent dans des conditions idoines, au détriment des élèves qui côtoient, au quotidien, plusieurs difficultés liées à leur scolarité, entre autres, les effectifs pléthoriques, le culte de la mystification de cours et de notes par certains enseignants véreux non sanctionnés, un laisser aller dans certaines pratiques pédagogiques sans que les auteurs ne soient inquiétés par l’administration ou l’inspection pédagogique, le calcul de moyennes trimestrielles rendu impossible et arbitraire dans plusieurs cas rapportés, du fait d’une seule évaluation organisée durant tout un trimestre et qui généralement met en mal la moyenne globale trimestrielle des élèves etc.
Le principe qui fonde l’Ecole de la République demeure celui d’égalité, de justice. Dans l’application de cette mesure telle que prévue par le Gouvernement, ce principe d’égalité se dilue dans ces conditions d’apprentissage selon qu’on soit dans un système qui encadre et suit rigoureusement la pratique pédagogique, et un autre système caractérisé une certaine insuffisance multiforme. Concrètement, il apparait beaucoup plus aisé à un élève d’un établissement privé d’avoir une moyenne supérieure ou égale à 12/20, du fait d’un environnement global et des conditions plus propices.
Plusieurs observateurs peu avertis pointent la baisse du niveau scolaire qu’ils imputent essentiellement aux élèves et au manque de suivi de leurs parents. Une telle observation a le l’étrange mérite de passer à côté d’une problématique beaucoup plus globale et profonde que révélaient et traitaient déjà les « Etats généraux de l’Education en 2010 ». Passer d’une bourse au mérite, avec le critère de 10/20 de moyenne attendue à une bourse d’excellence, avec les critères de 12/20 et 11/20, ne règle pas systématiquement le problème de la baisse du niveau scolaire. Les Etats généraux de l’éducation proposaient déjà des pistes nécessaires pour redresser durablement le niveau scolaire, et ne demandent qu’à être remis sur la table du Gouvernement et mis en application.
Pour aller plus loin.
Au-delà du débat actuel suscité par l’annonce de madame Camélia NTOUTOUME-LECLERCQ, une réflexion mérite d’être entamée par les pouvoirs publics sur le système d’accompagnement, par l’Etat, des élèves issus de familles gabonaises défavorisées et économiquement faibles. La mission de l’Etat, à travers l’Ecole de la République, réside aussi et déjà dans l’aide aux plus fragiles, en vue de leur instruction et d’une justice sociale. Cette « bourse sur critères sociaux », cumulable avec d’autres aides de l’Etat, permettra aux familles cibles de couvrir une partie des frais de transports, restauration au collège ou au lycée, l’achat des manuels etc. Une telle mesure serait aussi, dans la continuité d’une des décisions fortes du CTRI, à savoir la gratuité des frais de scolarité dans les établissements scolaires du primaire et du secondaire sur tout le territoire national.
Pour ne pas conclure
En attendant la promulgation du texte intégral qui encadre le versement de la bourse scolaire, ce qui fait querelle et qui doit emmener le Gouvernement à revoir sa copie, ce n’est nullement la volonté de hisser notre pays, à travers son système éducatif sur la voie de l’excellence, avec l’octroi d’une bourse dite d’excellence aux élèves qui tendront à se distinguer par leurs résultats brillants et très honorables, mais le cadre méthodologique et la logique dans la mise en œuvre. A côté de ce défaut de méthode, ce qui laisse perplexe tout observateur averti, c’est le manque de constance dans la parole politique, qui en l’espace d’un mois a connu un revirement justifié par le culte de l’excellence, mais qui révèle, de façon inavouée, des hésitations budgétaires pour financer la mesure initialement et solennellement annoncée à l’Assemblée nationale le 07 décembre 2023. En hissant l’Ecole de la République au rang des priorités, le CTRI et le Gouvernement de Transition devraient opter pour le maintien de la « bourse au mérite » dans son format classique, tout en érigeant une bourse dite d’excellence aux normes des critères très sélectifs attendus et exaltés par une telle allocation d’excellence. Enfin, une réflexion plus élargie mérite d’être mise sur la table du Gouvernement, notamment du fait de la solidarité nationale, à travers l’idée d’une bourse sur critères sociaux qui viendrait se greffer à la politique sociale des Nouvelles Autorités en place.
Dr Jean Steiner Koumba (JSK),Docteur en Lettres, Professeur à l’Académie de Créteil.
Très très juste analyse ! Je suis subjugué !