Jeux de hasard : réforme urgente, méthode douteuse

Il ne fait aucun doute que le secteur des jeux et paris en ligne au Gabon a longtemps échappé au contrôle de l’État. Il est tout aussi vrai que des pratiques opaques, des circuits informels et l’absence de fiscalisation claire ont contribué à entretenir un flou nuisible à l’intérêt général. Mais la manière dont le ministère de l’Intérieur a choisi d’engager la réforme de ce secteur soulève, elle aussi, des inquiétudes profondes. Car si le désordre est une dérive, l’autoritarisme administratif en est une autre.
L’arrêté n°001551/MIS du 23 avril 2025, désignant un intégrateur unique des flux financiers des jeux et paris en ligne, a été pris sans appel d’offres, sans mise en concurrence, et surtout sans aucune consultation préalable des acteurs économiques nationaux du numérique. Et cela, dans un pays qui, chaque jour, appelle de ses vœux la promotion des start-ups locales, la souveraineté technologique et la transparence dans la gestion publique.
Une réforme salutaire, mais un procédé contreproductif
Derrière les justifications juridiques de rigueur – flux incontrôlés, moyens de paiement illégaux, pratiques irrégulières – le ministre Hermann Immongault a posé un acte politique : supprimer un marché concurrentiel au profit d’un prestataire unique, eTECH SAS, jeune société issue d’un partenariat public-privé avec une entreprise canadienne. Même si celle-ci est déclarée de droit gabonais, même si l’on nous assure que 95 % des postes sont occupés par des Gabonais, la méthode pose problème.
En conférant un monopole à une entreprise sans historique ni ancrage reconnu dans le secteur local, le gouvernement prend le risque d’éteindre brutalement un écosystème entrepreneurial fragile, mais authentiquement gabonais, bâti sur des capitaux privés, et surtout autonome des circuits de rente. Ces fintechs, que sont MINERVE TECH, DIGITECH AFRICA, PVIT et d’autres, ne sont pas des parasites. Elles sont des bâtisseurs. Et elles ne méritent pas l’humiliation de devoir prouver leur légitimité dans un domaine qu’elles structurent depuis plus d’une décennie.
Éthique de la décision publique : l’appel d’offres n’est pas une option, c’est une exigence
Dans un contexte politique où la transition est censée restaurer la confiance, la transparence et l’équité, on ne peut comprendre que de telles décisions soient prises à huis clos, dans un entre-soi technocratique opaque. La gestion des ressources stratégiques, fussent-elles numériques, ne saurait se réduire à des décisions administratives unilatérales, surtout lorsqu’elles engagent des intérêts financiers massifs.
Pourquoi l’État n’a-t-il pas lancé un appel d’offres ? Pourquoi n’a-t-il pas défini un cadre de certification pluraliste ? Pourquoi écarter les experts locaux pour confier à un opérateur unique la mission de collecter et centraliser des données sensibles ? La régulation ne doit pas être une opération d’éviction. Elle doit être un levier d’organisation, d’équilibre, et surtout d’inclusion.
Gouverner autrement, c’est aussi écouter les bâtisseurs du numérique gabonais
Il ne s’agit pas ici de contester la nécessité de mettre de l’ordre dans un secteur largement informel. Il s’agit de rappeler que la fin ne justifie pas tous les moyens, et que la transition politique que vit le Gabon ne saurait s’accommoder de méthodes qui rappellent les vieux réflexes de verticalité absolue.
Si le gouvernement souhaite réguler, qu’il le fasse. Mais qu’il le fasse dans le respect des règles de concurrence, avec des procédures claires, transparentes, équitables. Qu’il écoute les entrepreneurs gabonais, ceux qui créent des emplois réels et de la valeur ajoutée locale. Car le Gabon de demain ne se construira ni par la marginalisation, ni par les arrangements opaques, mais par le débat, la concertation et la justice économique.
À défaut, cette réforme risquera de n’être perçue que comme une opération déguisée de prédation déguisée en gouvernance. Et c’est bien cela, le danger.
GMT TV