Gabon : voyages officiels des agents publics, une réforme qui ignore la réalité du marché aérien

Adoptée lors du Conseil des ministres du 20 juin 2025, la suspension du paiement des billets d’avion par l’État dans les agences de voyages suscite de nombreuses réserves. Pour plusieurs observateurs, cette mesure, censée rationaliser les dépenses publiques, risque de buter sur la réalité du marché aérien africain.
Dans un souci de sobriété budgétaire, le gouvernement gabonais a décidé de suspendre temporairement tout achat de billets d’avion via les agences de voyages, au profit d’un circuit d’achat direct auprès des compagnies aériennes. Une orientation qui, selon l’exécutif, devrait réduire les surcoûts et renforcer la transparence. Mais cette décision, loin de faire consensus, fait déjà grincer des dents dans les milieux professionnels et diplomatiques.
Une mesure inadaptée au contexte africain
« Les compagnies ont des agences. Et toutes les compagnies empruntées par les officiels gabonais, notamment pour les correspondances, ne sont pas représentées au Gabon », fait remarquer l’analyste politique Romuald Assogho Obiang. Selon lui, l’absence de représentation locale de nombreuses compagnies internationales rend la centralisation des achats directement auprès des transporteurs tout simplement inapplicable dans bien des cas.
En Afrique centrale, où l’interconnexion aérienne reste faible et le nombre de compagnies desservant les capitales est limité, ce sont souvent les agences de voyages qui jouent un rôle de chef d’orchestre en construisant des itinéraires multi-compagnies, avec correspondances complexes. « Seule une agence indépendante peut organiser un voyage impliquant plusieurs compagnies », souligne-t-il.
Un contre-modèle face aux pratiques internationales
L’exemple des Nations unies ou d’autres organisations intergouvernementales, souvent cité comme référence, va à l’encontre de cette mesure. « Les agences de l’ONU négocient avec une agence unique comme Satguru, justement pour bénéficier de services centralisés et de tarifs préférentiels », précise Assogho Obiang.
Dès lors, interdire à l’administration gabonaise de recourir aux agences, c’est nier leur rôle de conseil et d’optimisation des coûts, comparable à celui des courtiers en assurance. « Ce serait comme interdire les courtiers d’assurance pour acheter directement auprès des compagnies : cela n’a pas de sens », conclut-il.
Une réforme qui manque de réalisme
Alors que le Gabon ne dispose d’aucune compagnie aérienne nationale en mesure d’assurer ses besoins diplomatiques ou administratifs à l’international, cette réforme risque fort de se heurter aux contraintes logistiques et aux impératifs diplomatiques. À moins d’un aménagement pragmatique, son application au cas par cas semble inévitable, sous peine de perturber la mobilité des agents publics à l’étranger.
Au lieu d’une interdiction stricte, certains plaident plutôt pour une renégociation des conditions avec des agences partenaires, à travers des appels d’offres transparents, encadrés par des cahiers des charges précis. Une piste de bon sens, à l’heure où l’État gabonais cherche à concilier discipline budgétaire et efficacité opérationnelle.
GMT TV