Gabon : la réponse du Synamag au ministère de la Justice
En réaction à la déclaration du ministère de la Justice, par la voix de son secrétaire général, François Mangari, selon laquelle « le gouvernement s’est employé à trouver des solutions à l’ensemble des points de revendications contenus dans le cahier des charges qui lui avait été soumis par le Synamag », le Syndicat national des magistrats du Gabon (Synamag) a tenu à faire la lumière sur les supposées avancées significatives annoncées. Et ce, en reprenant point par point l’argumentaire de l’exécutif dans une communication dont Gabon Media Time a reçu copie et que nous publions ci-dessous in extenso.
1. Le jeudi 8 juin 2023, à la suite de l’audition par l’Assemblée Nationale de Madame le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Chargé des Droits de l’Homme et de l’Égalité des Genres sur le Projet de loi portant Statut des Magistrats, le Syndicat National des Magistrats du Gabon (Synamag) a fait une déclaration au cours de laquelle il fait constater à l’opinion nationale et internationale que le projet présenté devant l’Assemblée Nationale ne correspondait pas à l’avant-projet élaboré de manière consensuelle et contradictoire entre les services du Ministère de la Justice et le Synamag et adopté par le Conseil des Ministres en sa séance du 20 février 2023. En conséquence de quoi, le Synamag a décidé de la suspension du service minimum et appelé l’ensemble des magistrats des juridictions de l’intérieur du pays à rejoindre Libreville pour une concertation nationale de la Magistrature programmée se tenir le mercredi 14 juin à 12 heures.
2. Réagissant à la suite de cette communication, le Ministère de la Justice, Garde des Sceaux a tenu à faire quelques observations dans la nuit du 8 juin 2023. En effet, il fait constater que le Gouvernement, n’a jamais rompu le dialogue et que mieux, celui-ci s’est employé à trouver des solutions à l’ensemble des points de revendications contenus dans le cahier des charges qui lui avait été soumis par le Synamag comme en attestent :
a. la dotation effective de l’ensemble des chefs de juridictions en moyens roulants ;
b. la commande et le paiement effectif des costumes d’audience qui seront livrés avant la prochaine rentrée judiciaire ;
c. la régularisation progressive des situations administratives ;
d. l’insertion dans le processus législatif du projet de loi portant Statut des magistrats.
3. En raison de ces avancées qu’il juge significatives, le gouvernement estime qu’à ce jour rien ne justifie le maintien du mouvement de grève actuel qui paralyse l’appareil judiciaire, rappelle le Synamag à se conformer aux obligations légales et invite ce dernier à faire valoir ses observations et ses remarques devant les deux chambres du Parlement qui sont seules compétentes pour adopter ledit projet de loi dans sa version définitive.
4. Au regard de ce qui précède, le Synamag formule les observations suivantes :
a. S’agissant de la dotation en moyen roulant, le Synamag avait avant l’arrivée des actuels occupants du Ministère de la Justice trouvé une niche sur les fonds générés par l’activité du Parquet du Tribunal de Première Instance de Libreville. Ces fonds versés à la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) dans un compte séquestre ont été transférés, par un arrêt de la Cour des comptes, dans un compte d’affectation spécial qui sera inscrit plus tard dans la loi de finances rectificative de l’exercice 2022. C’est bien le Synamag qui est l’artisan de cette solution et non pas la volonté du gouvernement. Cette contribution visait à trouver des solutions à cette revendication dont la satisfaction a débouché sur un contrefactuel contrefait ;
b. S’agissant des costumes d’audience, le Synamag prend acte de la commande qui sera livrée avant l’hypothétique rentrée judiciaire d’octobre 2023 ;
c. Quant à la régularisation progressive des situations administratives des promotions 2007 et 2009, le Synamag s’étonne d’une telle annonce étant entendu que jusqu’à ce jour, aucun arrêté portant régularisation n’a été notifié à aucun des bénéficiaires.
d. Quant au projet portant statut des magistrats, actuellement en discussion devant les Chambres du Parlement, le Gouvernement précise que : « contrairement aux affirmations du Synamag, le texte actuellement en examen à l’Assemblée Nationale correspond dans ses grandes lignes à l’avant-projet adopté de manière consensuelle avec le Synamag, en dehors de quelques ajustements et de quelques améliorations insérés dans le but de permettre une application effective de ses différentes dispositions ».
5. Dans sa déclaration, le Ministère de la Justice reconnaît de manière subtile que le texte a été retouché par le gouvernement ; que les grandes lignes sont intactes, mais se garde de dire que les détails qui fondent l’originalité du texte et constituent l’essentiel des revendications du Synamag ont été extirpés. Nous ne pouvons que lui donner acte de ses aveux.
6. D’ailleurs, le Secrétariat général du gouvernement n’est pas à son premier fait d’arme. Dès la transmission de l’avant projet en 2022, avant l’avis du Conseil d’État et avant adoption par le Conseil interministériel, celui-ci avait déjà procédé à l’élimination physique de certaines dispositions pertinentes, notamment la suppression du régime spécial de retraite du magistrat. Le Synamag détient la copie de cette modification qui avait déjà été rejetée par la Commission présidée par le Secrétaire général du Ministère de la Justice, Garde des Sceaux.
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7. Par ailleurs, le Ministère de la Justice soutient que les quelques ajustements et quelques « améliorations » insérés ont pour but de permettre une application effective de ses différentes dispositions.
8. Il serait souhaitable, par devoir de vérité, de jeter un regard sur lesdites innovations opérées de manière consensuelle sans le Synamag : tout un paradoxe ! Pour mémoire, les revendications du Synamag ont été classées en deux catégories : celles qui nécessitaient une base légale ont été introduites dans l’avant projet de statut des magistrats et le reste constituent les 4 autres points de revendication posés sur la table du Garde des Sceaux. A l’analyse et comparaison des deux textes, il convient de ressortir plusieurs observations sur le fonds et sur la forme.
9. S’agissant de la forme, à l’issue des travaux de la Commission paritaire concernant la rédaction de la nouvelle loi portant statut des magistrats, le texte comportait 193 articles. A ce jour, le texte révisé après son adoption en Conseil des Ministres, compte désormais 185 articles. Si le texte initial comprenait 23 pages, le texte contrefait ne compte plus que 12 pages.
10. Dans le fonds, si le projet initial prenait en compte les revendications des magistrats en grève depuis décembre 2022, aujourd’hui le texte actuel a été complètement vidé de sa précieuse substance comme nous le fait constater, ci-dessous, un observateur averti:
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a. Les articles 9 et 101 du texte transmis au Parlement sont contradictoires sur l’inamovibilité du juge : ce qui a suscité des débats ironiques devant les députés ;
b. L’article 26 du texte initial a été supprimé. Celui-ci prévoyait l’attribution d’une carte d’identité professionnelle aux magistrats dont les modalités de délivrance devaient être déterminées par voie réglementaire. Plus aucune disposition ne prévoit qu’un magistrat soit doté d’une carte d’identité professionnelle ;
c. L’article 51 du projet de texte officiel a été modifié et prévoit que les chefs des juridictions des hautes Cours puissent être choisis parmi les magistrats ayant exercé, entre autres, les fonctions de juge constitutionnel ou d’assistant à la Cour constitutionnelle ;
d. Le dernier alinéa de l’article 102 de l’ancien projet devenu article 101 du texte actuel a été retiré. Cet alinéa prévoyait la nullité de toutes les décisions qui remettraient en cause l’inamovibilité du juge ;
e. L’article 110 du projet actuel a été modifié et ne protège plus le magistrat quant aux pièces qui doivent figurer dans son dossier car l’article 111 du texte initial prévoyait qu’on ne pouvait faire état au dossier du magistrat des opinions ou activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophique, ni d’éléments relevant strictement de la vie privée du magistrat ;
f. L’article 136 de l’actuel projet de loi n’énumère plus les différentes indemnités dont ont droit les magistrats, notamment l’indemnité de judicature. L’ancien article avait le mérite de définir ladite indemnité. Comment comprendre que l’article 137 prévoit que les modalités d’affectation et de versement des indemnités
prévues à l’article 136 soient fixées par voie réglementaire alors que ledit article ne définit aucune indemnité ?
g. L’article 138 nouveau a été modifié en ce sens que la prime d’installation pour les magistrats nouvellement intégrés dans le corps de la magistrature a été extirpée et désormais les véhicules de fonctions et de service sont uniquement réservés aux chefs de juridictions ;
h. L’article 139 qui prévoyait que la quote part résultant des frais issus de tous les actes de procédures devrait être réparti au profit de l’ensemble des magistrats et des autres personnels n’existe plus.
i. La commission paritaire avait estimé pour plusieurs raisons que le départ à la retraite du magistrat devait être fixé à soixante dix (70) ans. Force est de constater que l’article 168 devenu 167 a été modifié et désormais, la limite d’âge à la retraite du magistrat est ramenée à 65 ans.
j. toutes les bonifications relatives à la pension que prévoyaient les articles 172 à 173 ont été retirées ;
k. Les dispositions des anciens articles 185 et suivantes prévoyant l’éméritat qui est le droit pour les magistrats du groupe 7 à la retraite de continuer à bénéficier de son dernier traitement d’activité, ont été effacées du projet de loi ;
11. En somme, toutes les revendications des magistrats contenues dans ce projet ont été rejetées par le Gouvernement. Alors que le SYNAMAG est en discussion avec le
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Gouvernement, cette posture sournoise constitue une cause péremptoire de rupture du dialogue qui pourrait avoir des répercussions graves que ni les promesses de costumes d’audience, ni la dotation partielle en moyens roulants, ni l’hypothétique régularisation d’une centaine de situations administratives ne pourront infléchir la position des magistrats.
12. Le Gouvernement considère à tort la réforme de la magistrature comme étant une énième dépense. Ce paradigme doit être changé. Le Synamag rappelle que la réforme actuelle s’inscrit dans le cadre de la révision générale d’une politique publique dont les effets attendus et les impacts souhaités contribueront à l’enrichissement global de notre
nation qui ne pourra connaître un quelconque développement sans une magistrature qui réponde aux défis multiformes de son temps, la réforme de la Justice est un investissement stratégique.
13. Par ailleurs, et sur un tout autre plan, le Ministère de la Justice formule le vœu de voir le Synamag faire preuve de responsabilité en se conformant aux textes et lois en vigueur. Tout en renvoyant la même politesse, le Synamag prend acte de cette recommandation et fait remarquer qu’il a toujours été du côté de la loi et de l’ordre. Il se tiendra toujours aux côtés des autorités du Ministère de la Justice pour faire avancer la Magistrature.
14. Après consultation de sa base dans les jours qui vont suivre, le Synamag communiquera en temps opportun sur les nouvelles modalités du service minimum qui seront décidées à l’occasion de la concertation nationale de la Magistrature, en vue de garantir l’intérêt général, la continuité du service public et la liberté de travail, le tout conformément aux lois et règlements en vigueur en République Gabonaise et des instruments juridiques internationaux qui font autorités en la matière.
Dans les prochains jours, le Synamag entamera les démarches utiles au niveau du Parlement afin de faire entendre sa voix.
15. Enfin, le Synamag exhorte, à toutes fins utiles, l’ensemble de ses membres à se tenir continuellement la main afin de ne pas rompre le cercle de la cohésion indispensable à la marche historique entamée ensemble et témoigne sa reconnaissance à l’endroit des collègues, partout sur l’ensemble du territoire national, qui font entendre la voix de la Justice en respectant scrupuleusement les orientations du Synamag.
Fait à Libreville, le 9 juin 2023
Pour le Bureau Exécutif,
le Secrétaire Général, Landry Georges Mikala