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Gabon : la nouvelle loi qui pourrait faire disparaître le patrimoine politique de la démocratie

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Adoptée à l’Assemblée nationale le 17 juin 2025, la nouvelle loi encadrant la création et le fonctionnement des partis politiques instaure un seuil de 12 000 adhérents identifiés par NIP pour valider une formation politique. Derrière cette réforme, promue comme un outil de modernisation, plusieurs voix alertent sur une dérive vers une démocratie verrouillée.

C’est un tournant décisif pour la vie politique gabonaise. En votant massivement en faveur du projet de réforme des partis politiques (59 pour, 7 contre, 3 abstentions), les députés de la Transition ont entériné un texte qui redéfinit profondément les conditions d’existence des formations politiques. À l’avenir, tout parti, existant ou en création, devra justifier d’au moins 12 000 adhérents disposant d’un Numéro d’identification personnel (NIP), sous peine de radiation.

Un seuil d’adhésion jugé prohibitif

Présentée comme une mesure d’assainissement et de structuration du paysage politique, cette réforme suscite de vives inquiétudes, notamment dans les rangs des formations historiques. Pour Jean Valentin Leyama, député de la Transition, « réunir 12 000 signatures, c’est disposer de moyens que seules les écuries proches du pouvoir peuvent mobiliser ». Derrière cette exigence, se profile donc le spectre d’une élimination de facto des partis dits “patrimoniaux”, tels que le PGP, le CDJ ou le Morena, ayant marqué les premières heures du multipartisme gabonais.

La crainte est grande de voir une partie de la mémoire politique nationale rayée du paysage, non par le jeu démocratique, mais par un filtre administratif jugé discriminatoire. « Ce texte signe la mort programmée de partis historiques qui ont accompagné la démocratisation du pays », déplore encore Jean Valentin Leyama.

Une majorité “mécanique” et un consensus rompu

Au-delà du fond, la forme du processus d’adoption cristallise également les critiques. Contrairement aux pratiques antérieures fondées sur le dialogue interpartisan, cette loi n’a pas fait l’objet d’un consensus, ce qui inquiète plusieurs élus. « Pour la première fois, une réforme aussi structurante n’a pas été précédée d’un consensus politique », fait remarquer Leyama, pointant du doigt une majorité parlementaire « redevable » au président de la Transition.

Selon lui, beaucoup de députés ont voté ce texte davantage par loyauté personnelle que par conviction politique, motivés par l’espoir d’une future investiture. Cette logique de « devoir de gratitude » risque de fausser le jeu démocratique à l’approche des législatives, en réduisant le pluralisme à une opposition contrôlée.

Vers un encadrement sévère du pluralisme

En plus du seuil des 12 000 adhérents, la nouvelle loi introduit des contraintes drastiques : obligation d’avoir un siège social, des instances statutaires régulières, un compte bancaire actif, et surtout, la participation obligatoire à au moins deux scrutins successifs sous peine de disparition. Le texte prévoit aussi la possibilité pour l’État de suspendre un parti en cas de trouble à l’ordre public.

Sur le plan financier, les formations devront désormais rendre compte devant la Cour des comptes, avec à la clé un strict contrôle des financements publics et privés. Autant de dispositions qui, si elles peuvent apparaître légitimes dans un souci de transparence, risquent de devenir, dans un contexte autoritaire, des outils de neutralisation politique.

Une réforme sous surveillance

Portée par les ministres François Ndong Obiang et Hermann Immongault, cette loi s’inscrit dans la logique des réformes institutionnelles post-30 août 2023. Elle entend réguler, structurer et moderniser la scène politique. Mais à trop vouloir encadrer, le risque est grand d’étouffer l’expression pluraliste, fondement de toute démocratie vivante.

En toile de fond, une interrogation persiste : cette réforme permettra-t-elle de refonder le champ politique sur des bases saines, ou contribuera-t-elle à concentrer davantage le pouvoir autour d’un futur parti présidentiel ? Le verdict viendra des urnes – et du terrain.

Morel Mondjo Mouega

Titulaire d'une Licence en droit, l'écriture et la lecture sont une passion que je mets au quotidien au profit des rédactions de Gabon Media Time depuis son lancement le 4 juillet 2016 et de GMTme depuis septembre 2019. Rédacteur en chef

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