Gabon: faut-il instaurer un juge des libertés et de la détention ?
Alors que la Justice gabonaise tend à légitimer la détention préventive abusive en raison d’une léthargie administrative et des pleins pouvoirs dévolus au juge d’instruction sur la détention préventive, il semble plus que jamais impérieux de mettre en place un double regard sur la liberté individuelle des détenus. Cela passe par l’instauration d’un juge des libertés et de la détention qui aurait compétence en matière de liberté et détention provisoire en lieu et place du juge d’instruction.
Au Gabon, il n’est plus rare d’assister à des procès d’individus qui sont détenus depuis 8 voire 9 ans. Un fait parfaitement « arbitraire » et « illégal » qui s’explique par l’inactivité de certains magistrats chargés de veiller à ces détentions provisoires qui finissent par s’éterniser. D’ailleurs, lors de la première session criminelle de l’année en cours, pas moins de 6 détenus ont été acquittés après avoir passé 7 ans chacun à la maison d’arrêt de Gros-Bouquet dans le 1er arrondissement de la commune de Libreville.
Un suivi approximatif entretenu par le juge d’instruction ?
Une situation ubuesque due au très peu d’intérêt que ces juges d’instruction ont envers les présumés coupables qu’ils s’empressent de placer en détention préventive en décernant des mandats de dépôt tous azimuts. Car faut-il rappeler que la détention préventive est une mesure exceptionnelle qui peut être ordonnée ou maintenue lorsqu’elle est l’unique moyen de conserver les preuves, d’empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ou tout une concertation frauduleuse entre inculpés et complices.
Aussi, cette mesure peut être prise lorsqu’elle vise à préserver l’ordre public du trouble causé par l’infraction, pour mettre fin à l’infraction, prévenir son renouvellement ou pour garantir la représentation de l’inculpé devant la justice. Pourtant dans notre pays, il s’agit bien plus d’une mise à l’écart sans fondement incontestable. Pour prévenir ces écarts entre la loi et les usages, le législateur a prévu aux articles 133 et suivants du Code de la procédure pénale que la détention préventive est respectivement de 6 mois et 1 an en matière correctionnelle et criminelle avec possibilité de prolongement de 6 mois au plus. Mais dans les faits ces délais sont souvent dépassés sans que personne ne s’en émeuve.
De la nécessité de lutter contre les détentions préventives abusives
Siégeant depuis janvier 2021 en tant que l’un des 15 pays élus par l’Assemblée générale pour un mandat de trois ans au Conseil des droits de l’homme de l’Organisation de Nations-Unies (ONU), le Gabon se doit de lutter efficacement contre la pratique abjecte de la détention préventive « abusive ». C’est donc pour veiller au respect de la loi dans un pays qui se veut de droit que les plus hautes autorités publiques devraient songer à instaurer le juge des libertés et de la détention (JLD). Il s’agit d’un magistrat expérimenté du siège du tribunal judiciaire possédant des attributions croissantes en matière d’atteinte à la liberté individuelle.
Un contrepoids à la toute puissance des juges d’instruction puisque que ce dernier devrait être compétent en matière de détention provisoire, qui était dévolu au juge d’instruction. Sous d’autres cieux, le juge des libertés et de la détention jouit de la prérogative exclusive d’ordonner ou prolonger la détention provisoire par ordonnance motivée prise après un débat contradictoire tenu en public. Il peut tout aussi contester un contrôle judiciaire et ce, en cas de violation des obligations ainsi que pour les demandes de mise en liberté auxquelles le juge d’instruction et la chambre d’accusation n’a pas fait droit.