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Gabon : entre pacte tacite et République, quel avenir pour la Mairie de Libreville ?

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La publication de la tribune de Flavienne Adiahenot, députée de la Transition, défendant l’« équilibre tacite » confiant la mairie de Libreville aux autochtones de l’Estuaire, a suscité une réplique ferme de Me Anges Kevin Nzigou, candidat déclaré à l’Hôtel de Ville. Ce dernier rejette toute logique communautaire et plaide pour un choix fondé uniquement sur la compétence et le suffrage populaire. Entre mémoire historique et exigence républicaine, l’avenir de la gouvernance locale dans la capitale cristallise un débat national sur le vivre-ensemble et l’essence même de la démocratie gabonaise.

Un équilibre fragile défendu par Flavienne Adiahenot. Dans sa tribune publiée le 18 août, la députée de la Transition Flavienne Adiahenot évoque un « accord silencieux » qui, selon elle, a garanti la paix sociale à Libreville depuis des décennies. Cet équilibre consisterait à alterner la gestion municipale entre les communautés autochtones de l’Estuaire, principalement les Mpongwe et les Fang. Une logique de préservation : reconnaître la légitimité historique de ceux pour qui Libreville fut d’abord le village ancestral avant de devenir la capitale nationale.

Pour Flavienne Adiahenot, ce pacte tacite aurait permis d’éviter les fractures identitaires et communautaires observées dans d’autres métropoles africaines comme Abidjan ou Jos. « On ne vient pas dans la maison de l’hôte pour changer les règles qui en assurent la paix », écrit-elle, estimant que rompre cet équilibre reviendrait à ouvrir la porte à des tensions que Libreville a su éviter.

Mais si ce raisonnement entend préserver une stabilité héritée de l’histoire, il comporte une limite majeure : celle de réduire l’accès à la gestion de la capitale à un critère d’appartenance ethnique, au détriment du principe universel de la République qui reconnaît des citoyens égaux en droits et en devoirs.

La réplique républicaine d’Anges Kevin Nzigou

Face à ce discours, Anges Kevin Nzigou, avocat et secrétaire exécutif du Front démocratique socialiste, a opposé une réfutation claire et vigoureuse. Pour lui, « Libreville n’est pas un héritage réservé à quelques-uns : elle est la maison commune de tous les Gabonais ».

Sa réponse s’articule autour d’une conviction : la capitale n’appartient pas à une communauté, mais à la Nation entière. L’élever au rang d’apanage clanique serait une trahison de l’idéal républicain et une insulte à tous ceux qui, de diverses origines, ont bâti la ville. « Libreville est une capitale nationale, le cœur battant d’un pays uni, où l’on ne saurait distinguer des citoyens de première et de seconde zone », rappelle-t-il avec force.

En plaçant la compétence et l’intégrité au-dessus des appartenances, Me Nzigou reprend à son compte le mot d’ordre du président Brice Clotaire Oligui Nguema : « faire primer la compétence sur l’origine ethnique ». Une exigence qui renvoie à l’essence même de la démocratie : le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple.

Une capitale hétéroclite face au défi démocratique

Libreville n’est pas un village isolé mais une métropole hétéroclite, façonnée par des migrations internes et des brassages successifs. Y vivent côte à côte toutes les ethnies gabonaises, mais aussi des communautés étrangères qui participent à son dynamisme économique et social. Dès lors, comment justifier qu’un poste aussi stratégique que la mairie soit réservé à une catégorie spécifique de citoyens ?

La démocratie voudrait que ce choix émane du suffrage universel, et non d’un pacte clanique. Autrement dit, c’est au peuple de Libreville, peuple pluriel, peuple métissé, de désigner son maire. Lui seul détient la légitimité de trancher entre les ambitions, qu’elles soient locales ou nationales.

L’exemple d’autres capitales africaines le montre : c’est en ouvrant la gouvernance à tous, sur la base du mérite, que l’on renforce la cohésion. À l’inverse, enfermer la mairie dans une logique identitaire, c’est prendre le risque d’institutionnaliser une discrimination à rebours, alimentant le ressentiment et fragilisant l’unité nationale.

Entre mémoire et République : quel choix pour le Gabon ?

Il serait simpliste de nier la valeur symbolique du pacte évoqué par Flavienne Adiahenot. Mais il serait encore plus dangereux de l’ériger en règle politique intangible. Un pays ne se bâtit pas sur des considérations géopolitiques de pouvoir ou sur la perpétuation d’accords implicites, mais sur l’affirmation claire de principes républicains.

Le véritable socle de la paix ne réside pas dans la distribution clanique du pouvoir, mais dans la justice sociale, l’égalité de traitement et le respect du suffrage universel. Libreville n’a pas besoin d’un maire choisi en fonction de son origine. Elle a besoin d’un maire compétent, visionnaire, intègre – capable de répondre aux défis concrets d’une capitale : l’urbanisation galopante, les services de base, la sécurité, l’assainissement et la gouvernance locale.

À l’heure où le Gabon s’efforce de rompre avec les logiques héritées de l’ère Bongo, persister dans des pratiques claniques reviendrait à trahir la promesse de rupture. L’alternance ne peut plus se concevoir comme un troc entre ethnies, mais comme un exercice démocratique fondé sur le mérite et la confiance populaire.

Conclusion : le mérite, seul passeport républicain

Dans ce débat croisé, la position de Me Anges Kevin Nzigou apparaît plus en phase avec l’exigence républicaine et les aspirations démocratiques du Gabon. Elle rappelle une évidence : Libreville appartient à tous les Gabonais et ne saurait être gérée au nom d’un pacte clanique.

Préserver l’équilibre de la capitale ne signifie pas figer son avenir dans un héritage communautaire, mais l’ouvrir à tous dans le respect du suffrage universel. Car, en définitive, le véritable ciment du vivre-ensemble n’est ni l’origine, ni la géopolitique, mais la compétence, la justice et l’égalité.

Libreville ne doit pas être un champ clos réservé à certains. Elle doit demeurer ce qu’elle est : la maison commune de tous les Gabonais, bâtie par tous et pour tous.

Harold Leckat

Juriste contentieux, Fondateur et Directeur de publication. "La chute n'est pas un échec. L'échec est de rester là où l'on est tombé ", Socrates

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